Le procès prévu au Tchad de 26 anciens agents de l’appareil sécuritaire de la dictature de Hissène Habré est une avancée significative dans la longue lutte des survivants en faveur de la justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Face aux craintes que les autorités s’empressent de boucler le dossier, l’organisation a toutefois insisté pour que le procès, qui doit s’ouvrir le 14 novembre à N’Djaména, soit organisé de manière transparente et équitable.
Le procès de responsables du régime de Hissène Habré (1982-1990) va s’ouvrir alors que les Chambres africaines extraordinaires mises en place dans la capitale du Sénégal, Dakar, finalisent leurs enquêtes sur les supposés crimes commis par l’ancien dictateur. Cette juridiction a inculpé Habré en juillet 2013 et, si les juges des Chambres considèrent que les preuves contre lui sont suffisantes, son procès pourrait débuter en mai 2015.
« Les survivants, les veuves et les orphelins du régime de Hissène Habré luttent depuis 24 ans pour que Hissène Habré et ses complices soient traduits en justice », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch et qui travaille avec les victimes depuis 1999. « Le procès des supposés sbires de Habré pourrait être un événement majeur de l’histoire du Tchad, mais un procès vicié serait une insulte aux victimes. »
Les prévenus sont accusés d’assassinat, torture, séquestration, détention arbitraire, coups et blessures et actes de barbaries. Deux des prévenus sont Saleh Younouss, un ancien directeur de la Direction de la documentation et de la Sécurité (DDS), et Mahamat Djibrine qui était, selon la Commission nationale d’enquête, l’un des « tortionnaires les plus redoutés » du Tchad. Ces suspects sont aussi visés par les Chambres africaines extraordinaires, mais les autorités tchadiennes ont refusé de les transférer et ont aussi rejeté une demande de commission rogatoire des Chambres visant à les auditionner. Une délégation de l’Union africaine est arrivée au Tchad le 9 novembre pour y mener des consultations et voyagera au Sénégal le 17 novembre.
En 2000, dix mois après le dépôt d’une plainte à Dakar contre Hissène Habré, un groupe de victimes avait porté plainte à N’Djaména contre 50 anciens responsables de l’appareil répressif de son régime. L’affaire au Tchad a toutefois piétiné pendant plus de dix ans. C’est seulement en mai 2013, peu après la création des Chambres africaines extraordinaires à Dakar, que la justice tchadienne a relancé ces poursuites en arrêtant et inculpant plusieurs anciens présumés tortionnaires.
Le 4 septembre 2014, le juge d’instruction du premier cabinet du Tribunal de grande instance de N’Djaména, Amir Abdoulaye Issa, a rendu une ordonnance de renvoi permettant le procès de 21 agents du régime de Hissène Habré. Après les réquisitions du Procureur général et les différents appels des parties civiles et des accusés, la Chambre d’accusation a, le 23 octobre, mis en accusation 29 anciens agents de l’administration de Habré.
Les avocats des victimes craignent que les autorités tchadiennes ne soient en train d’expédier le dossier sans l’attention et la préparation qu’il mérite, peut-être pour justifier le non-transfèrement de Younouss et de Djibrine à Dakar. Selon les avocats des parties civiles, ces derniers n’ont été notifiés que le jour même de l’enrôlement du dossier au calendrier de la Chambre d’accusation. De façon inhabituelle, la décision a été prononcée depuis le banc et distribuée à l’audience sous forme manuscrite. Toutes les victimes présentées n’ont pas été auditionnées par la juridiction d’instruction qui n’a pas non plus organisé les confrontations entre les présumés tortionnaires et les parties civiles. La date du procès a été annoncée par le procureur de la République le 30 octobre, une semaine après la décision de la Chambre d’accusation, ne laissant que deux semaines aux parties pour se préparer pour ce procès d’envergure.
« Si le procès respecte les normes internationales, alors les victimes commenceront à retrouver la dignité qu’elles cherchent depuis 24 ans », a déclaré Jacqueline Moudeina, principale avocate des victimes du régime de Habré et présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (ATPDH). « Mais la vitesse avec laquelle le pouvoir judiciaire tchadien fait avancer le dossier, après des années de retard, laisse craindre que le procès sera expéditif et mal préparé. »
La décision de la Chambre d’accusation vise 29 personnes, mais trois étaient listées par le juge d’instruction comme décédées, autre signe de précipitation. Une quatrième personne ne peut être localisée. Le nom d’un autre présumé tortionnaire inculpé par le juge d’instruction a disparu de la liste arrêtée par la Chambre d’accusation sans raison apparente. Vingt-cinq anciens agents du régime devraient donc être présents à l’audience.
Parmi les autres inculpés figurent notamment Warou Ali Fadou, ancien chef de la sécurité fluviale de la DDS, et Nodjigoto Haunan, ancien directeur de la Sureté nationale, tous deux mis en cause dans la répression contre les membres de l’ethnie Zaghawa. Khalil Djibrine, ancien chef de service de la DDS dans le sud en 1983-1984, est également inculpé. Une liste complète des personnes sur le point d’être jugées peut être consultée ici.
Hissène Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, date à laquelle il a été renversé par l’actuel président tchadien Idriss Déby Itno, et s’est réfugié au Sénégal. Son régime à parti unique a été marqué par des atrocités commises à grande échelle, y compris des vagues d’épuration ethnique. Des documents de la DDS, la police politique de Habré, récupérés par Human Rights Watch en 2001, ont révélé les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention, et de 12 321 victimes de violations des droits humains. Il a été inculpé par les Chambres africaines extraordinaires en juillet 2013 et placé en détention provisoire.