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Mali : La justice, un élément indispensable des pourparlers de paix

Le projet d’accord sur le conflit de 2012-2013 doit être renforcé

(Nairobi, le 10 novembre 2014) – Le projet d’accord de paix pour mettre fin à la crise militaire et politique dans le nord du Mali ne traite pas de manière adéquate la nécessité de justice pour les crimes internationaux graves commis pendant le conflit, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le prochain cycle de négociations entre le gouvernement malien et les groupes armés impliqués dans le conflit doit commencer le 20 novembre 2014 à Alger.

Toutes les parties au conflit armé de 2012-2013 dans le nord du Mali ont commis des violations graves du droit de la guerre, y compris de possibles crimes de guerre. Les accords qui ont mis fin aux précédents conflits armés au Mali de 1962 à 2008 ont omis de traiter les problèmes de l’impunité endémique et de la faiblesse de l’État de droit, et certains comportaient des dispositions conférant une immunité contre les poursuites judiciaires.

« Les pourparlers de paix du Mali doivent réussir là où les accords précédents ont échoué en traduisant en justice les responsables des atrocités », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « L’accord final devrait inclure des dispositions pour soutenir les poursuites pour crimes de guerre, renforcer la commission de recherche de la vérité et garantir la vérification minutieuse des antécédents du personnel des forces de sécurité. »

La sécurité s’est détériorée dans le nord du Mali. Alors que le gouvernement malien a largement repris le contrôle du Nord en 2013 suite à une intervention menée par l’armée française, les groupes négociant avec le gouvernement et d’autres groupes liés à Al-Qaïda occupent le territoire et commettent des abus contre les civils et les soldats de maintien de la paix.

À l’issue du troisième cycle des pourparlers de paix à la fin du mois d’octobre 2014, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a indiqué que l’équipe de médiation internationale avait rédigé un « avant-projet d’accord de paix globale », qui constituerait la base des discussions lorsque les pourparlers reprendraient.

Les recherches menées par Human Rights Watch au Mali et ailleurs suggèrent que le fait de ne pas traduire en justice les individus responsables d’abus graves en temps de guerre constitue une porte ouverte, voire une incitation, à de futurs abus. L’immunité accordée aux auteurs de crimes de guerre prive les victimes et leurs familles d’une mesure de justice pour les souffrances subies.

Human Rights Watch et d’autres organisations ont documenté des centaines de crimes de guerre présumés et d’autres abus graves commis pendant le conflit armé de 2012-2013. Ceux-ci incluent l’exécution sommaire de 153 soldats maliens à Aguelhok par des groupes d’opposition armés ; les cambriolages, les pillages et les violences sexuelles généralisés perpétrés par le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) de l’ethnie touareg ; ainsi que le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, les amputations illégales et la destruction de sanctuaires par les groupes armés islamistes. Des soldats maliens ont aussi été impliqués dans des abus graves, y compris des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des actes de torture ou des mauvais traitements à l’encontre de rebelles suspectés.

Le gouvernement a fait peu de progrès dans la poursuite des auteurs de crimes de guerre et d’autres abus. La libération conditionnelle de plusieurs dizaines d’hommes arrêtés dans le cadre du conflit, dont plusieurs commandants de groupes armés du Nord vraisemblablement impliqués dans des abus, a soulevé des inquiétudes quant à une amnistie de facto pour ces crimes.

Le droit international encourage les pays à accorder une amnistie ou un pardon généralisé aux combattants capturés et aux autres individus arrêtés pour avoir participé à un conflit, à condition qu’ils n’aient pas commis de crimes de guerre et d’autres abus graves.

Cependant, les libérations qui ont commencé à la fin de l’année 2013 en vertu de l’accord de Ouagadougou du 18 juin 2013 et qui ont été qualifiées par le gouvernement de « mesures de confiance » avant les négociations ont été effectuées sans vérification suffisante pour déterminer si les individus libérés étaient impliqués dans des crimes internationaux graves. Les amnisties pour les auteurs de crimes internationaux graves ne sont pas reconnues en vertu du droit international.

« Il est temps de mettre fin au cycle de plusieurs décennies de conflit, d’abus et d’impunité. Tout accord qui ferme les yeux sur la nécessité de justice non seulement ignorera les droits des victimes et de leurs familles, mais encouragera également les abus futurs et sabotera l’instauration d’une paix vraiment durable » a expliqué Corinne Dufka. « L’intégration dans les négociations de mesures pour lutter contre l’impunité de longue date est d’autant plus urgente que la situation sécuritaire se détériore et que les groupes armés dans le Nord intensifient les attaques, les actes criminels et les actes de banditisme. »

Recommandations
Les prochaines négociations à Alger devraient remédier aux lacunes en matière de droits humains et de responsabilisation des accords précédents entre les factions belligérantes au Mali, notamment les accords de Tamanrasset de 1991, le pacte national de 1992, les accords de Bourem de 1995 et les accords d’Alger de 2006.

Tout accord final sur le Mali devrait inclure les recommandations suivantes, a déclaré Human Rights Watch.

Mesures pour garantir la responsabilisation en matière de droits humains
Le projet d’accord présenté aux parties à la fin du mois d’octobre 2014 et intitulé « Éléments pour un accord pour la paix et la réconciliation au Mali » soutient une « réforme profonde de la Justice » pour contribuer à mettre un terme à l’impunité, affirme le « caractère imprescriptible des crimes contre l’humanité » et appelle toutes les parties à coopérer avec une commission d’enquête internationale. Mais il ne fournit aucun détail sur le mandat de la commission ni de calendrier pour sa mise en place, et ne prévoit pas spécifiquement de rendre justice pour les crimes commis pendant le conflit. L’accord final devrait :

  • Stipuler clairement qu’aucune immunité ne sera octroyée à tout individu qui a commis ou commandité des crimes de guerre et d’autres crimes graves en violation du droit international ou qui avait une responsabilité de commandement dans ce contexte ;
  • Appeler le gouvernement malien à enquêter sur les violations présumées du droit humanitaire et des droits humains internationaux perpétrées par toutes les parties pendant et depuis le conflit armé de 2012-2013, et à traduire en justice les responsables devant des tribunaux équitables, impartiaux et indépendants ;
  • Encourager l’établissement d’une unité d’enquête spéciale implantée à Bamako composée de procureurs, de juges d’instruction et d’autres personnes afin d’enquêter sur les crimes allégués. La création d’une telle unité augmenterait la probabilité d’avoir des enquêtes dignes de foi pour les atrocités commises en temps de guerre et :
    • Centraliserait l’expertise sur des crimes généralement non traités par les tribunaux maliens ;
    • Contribuerait à faire face à l’absence d’avocats de la défense dans le Nord ;
    • Réduirait le risque d’attaque contre le personnel judiciaire, les témoins, les lieux de conservation des preuves et l’infrastructure judiciaire ; et
    • Faciliterait la création d’un système efficace de protection des témoins.
  • Apporter des précisions sur la mise en place, le mandat, le calendrier et les pouvoirs de la commission d’enquête internationale, et appeler à la diffusion publique du rapport final ; et
  • Soutenir l’établissement des cellules d’écoute mobile, un programme envisagé par le ministère malien de la Justice pour réunir des témoignages de victimes et de témoins du conflit de 2012-2013, à titre de référence ultérieure pour le système judiciaire, la commission de recherche de vérité ou d’autres organismes.

Mécanisme de justice, de recherche de la vérité et de réconciliation
Le projet d’accord signale « la nécessité de renforcer le mandat et l’organisation de la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) » mise en place par le gouvernement en 2014, même s’il ne prévoit pas de recommandations spécifiques. Les commissions de recherche de vérité peuvent apporter des contributions importantes lorsqu’elles exposent des atrocités peu signalées commises pendant les conflits armés, qu’elles explorent les dynamiques qui ont sous-tendu les crises cycliques, y compris la mauvaise gouvernance et la corruption, et qu’elles préconisent des réformes pour empêcher la répétition des violations passées. Les parties aux négociations devraient encourager les changements suivants au sein de la commission actuelle :

  • Garantir que la commission soit indépendante des autres organes du gouvernement. Le rattachement actuel de la commission au ministère de la Réconciliation nationale et du Développement des régions du Nord la soumet à des interférences politiques et compromet le sentiment de neutralité ;
  • Créer un processus de consultation large et structuré sur le mandat de la commission et le choix des commissaires, en impliquant les groupes de défense des droits humains, les groupes de femmes, les groupes de jeunes, les partis politiques, les syndicats, les groupes de victimes, la diaspora, les différentes confessions religieuses, les forces de sécurité et les factions d’opposition, entre autres ; et
  • Mettre en œuvre des réglementations qui prévoient des pouvoirs d’enquête, notamment celui de convoquer des témoins, des audiences publiques et la diffusion d’un rapport public final formulant des recommandations pour la responsabilisation, incluant les réparations et les affaires devant faire l’objet d’enquêtes pénales.

Démobilisation et intégration des combattants dans les forces de sécurité
Le projet d’accord appelle à la démobilisation et à l’intégration des combattants des factions belligérantes dans les forces de sécurité gouvernementales, mais ne prévoit pas de programme de « vetting » (vérification des antécédents). L’accord devrait proposer la mise en place d’une commission de vérification indépendante, mandatée pour superviser un mécanisme qui :

  • Passerait au crible tout nouveau membre proposé des forces de sécurité afin d’éviter de recruter des individus vraisemblablement impliqués dans des violations graves des droits humains ;
  • Recommanderait le retrait de membres des forces de sécurité actuellement en service vraisemblablement impliqués dans des violations graves des droits humains, contre lesquels une procédure disciplinaire juste et appropriée (allant jusqu’au renvoi) devrait être instaurée ; et
  • Pourrait se concentrer d’abord sur le contrôle des officiers avant de se pencher sur les rangs inférieurs, étant donné la taille des services de sécurité maliens.

Négociations de paix du Mali et récentes hostilités
Le gouvernement malien négocie actuellement avec plusieurs groupes armés : le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le Haut-Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), la Coordination des mouvements et forces patriotiques de résistance (CMF-PR 2) et la Coordination du peuple pour l’Azawad (CPA).

L’équipe de médiation internationale facilitant les pourparlers est dirigée par l’Algérie et inclut des membres de l’Union africaine, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de l’Union européenne, des Nations Unies et de l’Organisation de la coopération islamique, ainsi que des membres des gouvernements du Burkina Faso, du Nigeria, du Tchad, du Niger et de la Mauritanie.

Depuis la fin du mois de septembre 2013, des groupes d’opposition armés ont organisé plusieurs embuscades et attentats-suicides et ont déployé des dispositifs explosifs improvisés et des mines. La plupart des attaques visaient les troupes maliennes et françaises, mais certaines ciblaient des civils et des soldats de maintien de la paix, en violation du droit de la guerre. Les mines sur les routes principales et les attaques à la roquette touchant les grandes villes ont tué et blessé des civils et généré un climat de peur. Plus de 30 Casques bleus de l’ONU sont morts dans des attaques.

Plusieurs groupes armés continuent de recruter et d’armer des enfants soldats et occupent quelque 20 écoles. Une visite du Premier ministre au bastion du MNLA à Kidal en mai 2014 a conduit à une brève reprise des hostilités dans la ville, au cours de laquelle huit civils, dont six fonctionnaires, auraient été sommairement exécutés par les groupes armés occupant la ville.

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