(Erbil, le 14 septembre 2014) – Le gouvernement irakien devrait enquêter sans délai sur un raid aérien qui a frappé une école abritant des personnes déplacées près de Tikrit, le 1er septembre 2014, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Cette frappe a tué au moins 31 civils, dont 24 enfants, et a blessé 41 autres personnes. Selon trois survivants, aucun combattant du groupe armé État islamique ni d'autres objectifs militaires ne se trouvaient à l’intérieur ou aux alentours de l'école à ce moment-là.
L'attaque s'est produite dans la nuit du 1er septembre vers 23h30, contre le Lycée professionnel industriel Al-Alam dans le quartier Alwayi Al-Thawri d'Al-Alam, situé à 18 kilomètres au nord-est de la ville de Tikrit. La zone est sous le contrôle de l'État islamique, précédemment connu sous le nom d’État islamique d'Irak et au Levant (EIIL, ou ISIS en anglais).
« Les alliés de l'Irak dans la lutte contre l’EIIL doivent faire pression sur Bagdad pour mettre fin à ce genre de violence », a déclaré Fred Abrahams, conseiller spécial à Human Rights Watch. « L’EIIL fait preuve d’une brutalité incroyable, mais ce n'est pas une excuse pour que le gouvernement irakien agisse ainsi. »
Le 13 septembre, le nouveau Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, a donné l'ordre aux forces aériennes irakiennes de « cesser de bombarder les zones civiles même dans les villes contrôlées par l'EIIL ». Cet ordre sans précédent pourrait contribuer à réduire le nombre de victimes civiles, mais il est toujours nécessaire d'exiger des comptes pour les attaques illégales antérieures, selon Human Rights Watch.
Les trois survivants ainsi qu’un résident local ont confié à Human Rights Watch qu'ils avaient entendu un aéronef, probablement un hélicoptère, survoler la zone peu avant minuit, suivi par une grande explosion à l'école. La munition non identifiée a frappé la cour de l'école, où des dizaines de personnes déplacées en provenance de Tikrit s'étaient rassemblées.
D’après une liste fournie par l'un des survivants, l'attaque a tué six hommes, huit femmes et 24 enfants. Trente-deux personnes sont mortes immédiatement et six autres sont mortes plus tard des suites de leurs blessures, a indiqué le témoin survivant. Quinze des 41 blessés étaient des enfants.
La députée d’Al-Alam, Ashwaq al-Jabouri, a déclaré que 31 personnes ont été tuées lors de l’attaque et que 11 autres ont été blessées. Elle a appelé la présidence du parlement irakien à mener une enquête.
Le gouvernement irakien a déclaré à Human Rights Watch le 13 septembre que le pilote impliqué dans cette attaque avait pris pour cible une voiture qui selon l’armée transportait des combattants de l'État islamique. Cette voiture, qui roulait près de l'école quand elle a été frappée par le missile, était apparemment utilisée pour transporter des explosifs, ce qui a provoqué une explosion « beaucoup plus puissante que dans d’autres circonstances », selon le gouvernement.
Plan du quartier de Tikrit où se situe l'école attaquée :
Les trois survivants, interrogés par téléphone, ont déclaré à Human Rights Watch qu’environ 70 personnes de la famille élargie Jurefat avaient été installées dans l'école, depuis à peu près deux mois avant l'attaque. Ce groupe avait fui Tikrit lorsque l'État islamique s’est emparé de cette ville à la fin juin. L’EIIL a pris le contrôle d'Al-Alam le 23 juin après que des habitants les aient combattus pendant deux semaines.
« Il n'y avait pas de membres de l’EIIL dans l'école », a affirmé l'un des survivants. « Nous sommes tous des membres de la tribu et selon nos traditions, nous ne laissons pas d’étrangers se mêler à nos familles. »
Des combattants de l'État islamique se trouvaient dans la région d'Al-Alam et le quartier Alwayi Al-Thawri, notamment parfois dans un poste de police à 250 mètres à l'ouest de l'école, ont déclaré deux des survivants ainsi que deux résidents locaux. Mais les trois survivants que Human Rights Watch a interrogés ont affirmé qu'il n'y avait pas de combattants ni de matériel militaire à l’intérieur ou aux environs de l'école au moment de l'attaque.
Deux des survivants ainsi qu’un résident du quartier ont affirmé que des combattants de l'État islamique avaient tiré sur un appareil aérien du gouvernement irakien survolant la ville vers 18 heures le 1er septembre, soit environ cinq heures avant l'attaque de l'école. Il n'y a pas eu d’affrontements dans la région après cela, ont-ils ajouté.
L'armée irakienne a mené plusieurs attaques sur Tikrit et ses environs dans le cadre de sa lutte contre l'État islamique. Un homme qui a fui Tikrit a déclaré à Human Rights Watch que le 27 août un raid aérien gouvernemental a frappé une maison où sa famille et huit autres personnes, tous membres de la famille élargie Albu Nassir, étaient hébergées dans le village de Samra, à huit kilomètres au nord d'Al-Alam. L'attaque a tué six membres de la famille de cet homme, notamment deux enfants et deux femmes enceintes, et a blessé 20 autres personnes, a-t-il déclaré.
En juillet, Human Rights Watch a documenté 17 frappes aériennes irakiennes qui ont tué au moins 75 civils et blessé des centaines d'autres personnes, notamment six attaques avec des barils d’explosif. Les attaques ont eu lieu à Falloujah, Beiji, Mossoul, Tikrit et al-Cherqat.
Les attaques ont été caractérisées par des bombardements aériens sur des zones résidentielles par les forces gouvernementales utilisant des hélicoptères, des avions et autres aéronefs. Les attaques ont frappé des zones à proximité de mosquées, de bâtiments gouvernementaux, d’hôpitaux ainsi que de centrales électriques et hydrauliques.
Depuis janvier, les États-Unis ont envoyé une aide militaire en Irak, notamment des missiles Hellfire, des munitions et des drones de surveillance. Les attaques illégales menées par le gouvernement irakien suggèrent que le gouvernement pourrait utiliser des armes américaines d'une manière qui tue illégalement des civils. Le 8 août, les États-Unis ont commencé des frappes aériennes contre des cibles choisies de l’État islamique.
Les gouvernements étrangers fournissant du soutien et une assistance militaire à l'Irak devraient s'assurer que leur aide ne soit pas utilisée dans des violations des lois de la guerre, selon Human Rights Watch.
Les lois de la guerre obligent toutes les parties à prendre toutes les précautions possibles à tout moment afin de minimiser la mise en danger de la vie des civils et des biens civils. Les forces de l’État islamique sont donc tenues d’éviter, dans la mesure du possible, de déployer leurs forces dans les bâtiments ayant une finalité civile ou situés à proximité des civils. Lorsqu’elles ne le font pas, cependant, le gouvernement irakien doit tout de même prendre en compte le risque et l'impact probable sur les civils avant de lancer une attaque.
« La lutte contre l'État islamique, qui perpètre des exactions atroces, ne peut pas donner carte blanche au gouvernement irakien pour tuer des dizaines de civils en l’absence d’objectif militaire clair », a conclu Fred Abrahams. « Les États-Unis et les autres gouvernements fournissant une aide militaire à l'Irak doivent veiller à ce que leurs armes ne soient pas utilisées d’une manière qui viole le droit international. »