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Au milieu des scènes de carnage, de meurtres et de saccage qui déchirent la République centrafricaine, le photographe Jérôme Delay est tombé par hasard hier sur une scène inattendue : une maison en cours de pillage dans le quartier de Miskine à Bangui était jonchée de négatifs de photos et de tirages papier maculés de boue. Curieux, il est entré pour en savoir plus et est tombé en arrêt quand il a réalisé ce qu'il avait découvert. Éparpillé tout autour de lui, se trouvait le travail de toute une vie de l'un des plus célèbres photographes africains, Samuel Fosso.

 Fosso est une véritable légende dans le monde de la photographie, où il est connu en particulier pour ses auto-portraits revisitant des moments emblématiques de l'Histoire africaine et afro-américaine. Fosso, qui a quitté la République centrafricaine et se trouve actuellement en France – s'est photographié sous les traits de Kwame Nkrumah, le premier président de l'Afrique post-coloniale; de Malcolm X et de Martin Luther King prononçant des discours; de Mohammed Ali avec ses gants de boxe; de Bob Marley avec ses nattes; et s'est mis en scène dans de nombreuses autres reconstitutions de moments historiques. Son travail constitue une exploration profonde et magnifique de l'expérience africaine et afro-américaine.

Des tirages papier, des négatifs et des planches contact faisant partie des archives du photographe Samuel Fosso en République centrafricaine. Deux photojournalistes, Jérôme Delay et Marcus Bleasdale, avec l’aide du directeur de la division Urgences de Human Rights Watch Peter Bouckaert, ont sauvé ces documents du pillage le 5 février 2014. Fosso, photographe primé et de renommée internationale, est connu notamment pour ses auto-portraits, où il incarne diverses personnalités africaines et afro-américaines.
© 2014 Peter Bouckaert/Human Rights Watch

Depuis plusieurs mois, mon collègue Marcus Bleasdale et moi-même avons documenté et exposé les crimes horribles commis en République centrafricaine. Cela a été un travail épuisant et bouleversant. Mais aujourd'hui, nous avons fait quelque chose de différent, passant des heures à essayer de sauver quelque chose de beau – les archives irremplaçables de Fosso.

Au moment où nous sommes arrivés, des pillards étaient en train de démanteler le toit de la maison de Fosso, tandis que sa bonne tentait désespérément de les éloigner. Les appareils photo que Fosso aimait tant et ses meubles étaient déjà partis. De jeunes hommes armés de grenades circulaient autour de nous. Parfois, les militaires des missions de maintien de la paix français et africains pénétraient dans le quartier et tiraient en l'air pour disperser les pillards, mais ceux-ci ne tardaient pas à revenir dès que les soldats s'en allaient.

L'équivalent de toute une vie en négatifs de photos était éparpillé dans la maison et avait été étalé sur le sol par les pillards à la recherche d'objets de valeur. L'ironie était que certains des tirages signés et numérotés qui étaient à nos pieds pourraient rapporter des milliers de dollars dans une vente aux enchères, alors que les pillards étaient surtout occupés à arracher les tôles du toit. Nous avons passé des heures à placer les négatifs et les tirages papier dans des boîtes, remplissant à deux reprises notre camionnette pickup pour emporter l'œuvre photographique inestimable de Fosso et la mettre à l'abri. Les pillards ont trouvé très amusant de voir des blancs – dont ils présumaient qu'ils se livraient aussi au pillage – se piquer au jeu à leur tour.

Quand nous avons joint Samuel Fosso au téléphone en France pour lui dire que nous avions tenté de sauver ses archives autant que possible, il était ravi. Il nous a dit que la perte de ses appareils était douloureuse mais que ses archives, résultat de toute une vie de travail et de souvenirs, étaient tout ce qui comptait pour lui.

Alors que la République centrafricaine sombre de plus en plus dans la violence, ce ne sont pas seulement des vies et des communautés qui sont détruites. Comme dans d'autres conflits, c'est véritablement l'héritage culturel d'une nation et d'un continent qui est menacé. Après avoir fait face pendant des mois à des abominations, ce fut un soulagement et un plaisir de sauver l'œuvre d'un photographe très original.

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RFI.fr 03.07.14

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