Skip to main content

C'est désormais une tradition. Chaque été, les Roms migrants en France sont la cible d'une vague d'expulsions et de reconduites à la frontière. C'est devenu la norme depuis que Nicolas Sarkozy a annoncé à Grenoble, il y a près de trois ans, qu'il mettrait "un terme aux implantations sauvages de campements de Roms".

De la parole aux actes

En mars 2012, François Hollande, alors candidat à l'élection présidentielle, déclarait que c'était la politique du gouvernement de Sarkozy qui était responsable "de la précarité intolérable dans laquelle se trouvent ces familles [Roms] et qui fabrique un groupe de population, bouc-émissaire idéal pour justifier des politiques toujours plus répressives." Encore candidat, François Hollande avait même appelé à mettre un terme aux mesures discriminatoires contre les Roms.

Pourtant, sous sa présidence, ce sont les mêmes images d'abris de fortune détruits et de parents roms avec leurs enfants en bas âge et leurs bagages, se demandant où aller. Pour paraphraser le candidat Hollande, des familles sont chassées d'un endroit à l'autre sans solution.

En août 2012, une circulaire signée par sept ministres donnait pour instruction aux préfets de procéder à une évaluation des campements "illicites", d'essayer de trouver une solution d'hébergement pour leurs habitants et de veiller à ce que ceux-ci bénéficient d'un accès continu aux soins de santé et à la scolarité. Mais cette circulaire, qui n'a pas de caractère contraignant, comporte des contradictions et des ambiguïtés, proclamant dans le même temps que les décisions de justice prononçant l'expulsion des occupants d'un campement doivent être exécutées.

Circulaire: une application hétérogène

Dans un rapport récent, le Défenseur des droits a estimé que la circulaire avait souvent été appliquée de manière insuffisante ou hétérogène, voire pas du tout. Il a appelé le gouvernement à la faire appliquer pleinement.

Alain Régnier, le délégué interministériel désigné par le Premier ministre pour assister les préfets et dans la mise en oeuvre la circulaire, a expliqué qu'il était confronté à des enjeux, tels que le manque de logements en région parisienne ainsi que les stéréotypes négatifs contre les Roms. Il a confié qu'il s'agissait de la mission la plus difficile de sa carrière.

De fait, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, s'est montré très clair quant à sa ligne personnelle, déclarant que "plus que jamais, les expulsions sont nécessaires et se poursuivront".

Les renvois de Roms de France se poursuivent également, et des informations font état d'ordres d'expulsion, émis par la police, à l'encontre de personnes vivant dans des campements sans qu'il ait été procédé au préalable à une évaluation de la situation individuelle de chaque personne. 

Une loi adoptée sous Sarkozy, qui semble viser spécifiquement les Roms de Roumanie et de Bulgarie et qui permet de les expulser au motif qu'ils auraient "abusé" de leur droit à la liberté de circulation en vertu du droit de l'Union Européenne, est toujours en vigueur. Pourtant, les tribunaux ont annulé de nombreuses obligations de quitter le territoire français s'appuyant sur ce motif en raison du manque de preuves de séjours répétés de courte durée en France.

Obligations de la France en vertu du droit international

Soucieuses de faire quelque chose pour aider les Roms, certaines municipalités ont pris l'initiative de fournir un hébergement aux familles Roms et de scolariser les enfants, ou d'améliorer les conditions dans les campements en leur fournissant l'eau courante et l'électricité. Mais ces initiatives, au cas-par-cas, n'affranchissent pas le gouvernement français de ses propres obligations.

En tant qu'État partie au pacte de l'ONU relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la France a l'obligation de procéder à une véritable consultation des personnes exposées à une expulsion, de les avertir suffisamment à l'avance et de veiller à ce que personne ne se retrouve sans abri de ce fait. Ces garanties devraient être inscrites dans la loi de façon explicite, plutôt que sous forme d'instructions figurant dans une circulaire non contraignante. La France devrait garantir que toute décision d'expulsion du territoire soit précédée d'une évaluation individuelle de la situation des personnes concernées, et abroger la mesure qui autorise l'expulsion au motif d'"abus" du droit au court séjour en France, accordé par le droit de l'Union Européenne.

Lorsque le bilan de la France en matière de droits humains a été examiné devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU cette année, le gouvernement français a accepté de lutter contre la discrimination contre les Roms et de revoir ses politiques afin de s'assurer que les droits des Roms vivant dans des campements soient respectés. Toutefois, il a rejeté une recommandation visant à modifier ses lois afin de mettre un terme aux expulsions forcées.

Certes, le gouvernement actuel a pris certaines mesures pour améliorer la situation de ces personnes. Par exemple, il a amélioré les possibilités d'emploi pour les Roms roumains et bulgares en supprimant la taxe pour ceux qui les emploient et en augmentant le nombre de catégories de métiers auxquelles ils ont accès. Et il est vrai que le gouvernement actuel s'est quelque peu démarqué du discours de son prédécesseur, qui stigmatisait les Roms et les associait à la criminalité.

Quels changements?

Mais lorsque j'entends les affirmations de Manuel Valls selon lesquelles les Roms vivant dans des campements "ne souhaitent pas s'intégrer pour des raisons culturelles ou parce qu'ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution", je me demande ce qui a réellement changé.

Des changements législatifs, bien que nécessaires, ne suffisent pas. Le gouvernement doit également clairement affirmer que la discrimination contre les Roms ne sera pas tolérée, et que toute personne, quelle que soit sa situation administrative, a le droit de vivre dans la dignité.

A l'approche des élections municipales de 2014, l'adoption d'une position ferme de la part du gouvernement est plus que jamais cruciale. La question des Roms et des campements sera sans doute abordée dans de nombreuses communes. Ces hommes, ces femmes et ces enfants qui vivent dans des conditions indignes de la France d'aujourd'hui ne devraient pas avoir à supporter une nouvelle vague de stigmatisation.

Il est plus que temps pour François Hollande de prouver qu'il est différent. Non aux promesses creuses. Non à une nouvelle vague d'expulsions au mois d'août.

Par Izza Leghtas, chercheuse sur l'Europe de l'Ouest, au sein de l'ONG Human Rights Watch.

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.