(Paris, le 29 septembre 2011) - Les autorités françaises expulsent et éloignent de façon massive les Roms originaires d’Europe de l’Est séjournant en France, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch, tout en rendant public un document d’information envoyé en juillet à la Commission européenne.
La Commission européenne avait exhorté la France il y a un an à se préoccuper du caractère abusif de ses politiques, sous peine d’éventuelles sanctions devant la Cour de justice de l’Union européenne. En août 2011 et malgré l’absence de réformes réelles, la Commission s’est déclarée satisfaite des mesures prises par la France en réponse à cet avertissement.
« L’expression française ‘Plus ça change, plus c’est la même chose’ est particulièrement pertinente dans ce cas », a déclaré Judith Sunderland, chercheuse senior au sein de la division Europe et Asie Centrale de Human Rights Watch. « Un an après l’avertissement de la Commission européenne et malgré la promulgation de la nouvelle loi sur l’immigration, les Roms de France sont toujours la cible d‘évacuations de camps en série, d’éloignements injustes et de discriminations. »
Dans un document d’information de vingt pages, Human Rights Watch précise de quelle manière la nouvelle loi sur l’immigration, entrée en vigueur en juin 2011, permet à la France de largement se soustraire à ses obligations, tant au regard des règles européennes en matière de liberté de circulation que du droit international relatif aux droits humains. Le document affirme aussi que de nombreux éléments démontrent que la France vise illégalement les Roms dans ses opérations d’évacuation de camps et d’éloignement.
Au cours de l’année écoulée, des milliers de Roms roumains et bulgares ont reçu l’ordre de quitter la France dans le cadre de procédures qui violent leurs droits, explique Human Rights Watch. Ces notifications sont souvent délivrées à grande échelle dans les jours précédant les évacuations des campements informels, ou au moment même des évacuations, sans que la situation individuelle des personnes présentes ne soit suffisamment examinée.
Les personnes qui reçoivent de telles « Obligations de quitter le territoire français » (OQTF) doivent soit interjeter appel, soit quitter le pays dans les trente jours, sous peine d’être mises en détention et reconduites de force à la frontière. Les tribunaux ont adopté des approches variées et non-concertées face aux recours formés contre ces décisions portant OQTF. À Lyon, par exemple, entre octobre 2010 et avril 2011, une chambre du tribunal administratif a annulé douze OQTF au motif de l’absence d’évaluation individualisée, tandis qu’une autre chambre rejetait onze recours formés à l’encontre de décisions identiques.
Des interventions policières répétées dans des campements informels sont régulièrement signalées, au cours desquelles la police interroge les personnes présentes sur la durée de leur séjour en France et sur leurs sources de revenus. Les policiers ont imposé aux habitants du campement, dont beaucoup ne lisent pas le français, de signer des documents sans leur en expliquer le contenu et sans leur en laisser une copie.
Depuis la mi-septembre, des centaines de Roms ont été délogés de campements informels à Lyon dans le cadre d’une série d’évacuations. La plupart du temps, aucune alternative d’hébergement ne leur a été proposée. En une occasion, il semble que la police a, dit à un groupe de 80 à 100 Roms, dont de nombreux enfants, qui avaient cherché un nouvel abri pendant les deux jours et les deux nuits après leur évacuation, de se rendre dans un autre campement informel. Des évacuations de campements ont eu lieu dans d’autres régions de France, notamment à Marseille et Paris. Fin août, dans la ville de Saint-Denis, près de Paris, la police a évacué quelque 150 Roms roumains et bulgares et les a escortés par tramway jusqu’à une gare RER (gare de banlieue).
« La Commission européenne a donné un satisfecit à la France, mais la situation des Roms n’a fait qu’empirer dans ce pays », a déclaré Judith Sunderland, « Il faut absolument que la Commission réexamine scrupuleusement ces pratiques abusives, qui enfreignent le droit européen et le droit relatif aux droits humains. »
Certains Roms quittent la France dans le cadre du programme « d’aide au retour volontaire », sous l’égide de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, en vertu duquel les adultes reçoivent 300 euros et les enfants 100 euros pour repartir en Roumanie ou en Bulgarie. Nombre d’entre eux n’ont eu recours à cette aide qu’après avoir reçu l’ordre de quitter le pays ; des militants pour la défense des droits des Roms indiquent également que certains Roms se rendent en France dans le but précis de percevoir cette aide. Environ 150 Roms de la région lyonnaise ont été expulsés le 20 septembre, par vol charter.
D’après les chiffres officiels , 4 714 Roumains et Bulgares ont été expulsés de France au cours du premier trimestre de l’année 2011. À peine plus de 9 500 avaient été expulsés pour toute l’année 2010. Les organisations de défense des droits des Roms soulignent que le nombre estimé de Roms originaires d’Europe orientale et séjournant en France est resté stable, aux alentours de 15 000, depuis plusieurs années.
La loi de juin relative à l’immigration cible les Roms pour les expulser aux motifs, notamment, de courts séjours répétés en France, de mendicité et d’occupation de terrains. Lorsque les mesures ont été proposées pour la première fois, en août 2010, des ministres éminents du Gouvernement ont expressément fait référence aux Roumains et aux Bulgares ainsi qu’aux campements de Roms. Claude Guéant, l’actuel ministre de l’Intérieur, annonçait à la mi-septembre qu’un magistrat de liaison venant de Roumanie commencerait incessamment à travailler à Paris pour faciliter le rapatriement des enfants roumains présumés délinquants, même si l’assise juridique de tels retours demeure floue.
La loi permet aux autorités d’éloigner des ressortissants européens pour “abus de droits” s’ils multiplient les séjours de courte durée ou se trouvent en France “dans le but essentiel ” de bénéficier du système d’assistance sociale. Ceci va à l’encontre du droit européen qui permet aux ressortissants des pays membres de demeurer, sans condition, jusqu’à trois mois, dans tout pays de l’Union européenne. Pour les séjours d’une durée supérieure à trois mois, les personnes concernées doivent être salariées ou avoir créé leur propre emploi, ou disposer de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins sans devenir une charge pour le système d’assistance sociale du pays d’accueil.
Dans différentes régions, les pouvoirs publics ont depuis longtemps pour habitude d’expulser des Roms sur la simple hypothèse qu’ils pourraient un jour percevoir une aide sociale. Depuis juin, des Roms ont été contraints de quitter la France pour la simple raison qu’ils y étaient déjà venus auparavant, même si leur séjour du moment datait de moins de trois mois.
« Ces pratiques violent l’esprit et la lettre des règlements européennes sur la liberté de circulation », a expliqué Judith Sunderland. « Et il faut se demander ce qu’il se passerait si des Allemands ou des Suédois, par exemple, devaient être expulsés à l’occasion d’une deuxième visite en France. »
La nouvelle loi exige des autorités qu’elles évaluent la situation de l’intéressé, en prenant en considération son âge, son état de santé, sa situation économique et familiale, ainsi que son intégration en France, avant de délivrer une obligation de quitter le pays ou un arrêté de reconduite forcée pour des motifs de sécurité publique.
Toutefois cette importante garantie n’englobe pas tous les critères nécessaires, comme l’incidence d’un éloignement sur la situation économique, personnelle et familiale de l’intéressé et les difficultés auxquelles le conjoint/partenaire et les enfants risquent d’être confrontés dans le pays d’origine, rappelle Human Rights Watch.
L’absence de toute véritable évaluation individualisée est préoccupante. En outre, la nouvelle loi permet aux autorités de reconduire de force aux frontières, sans qu’il soit explicitement exigé de procéder à une évaluation personnalisée, les étrangers considérés comme représentant une menace à l’ordre public au motif qu’ils pourraient éventuellement être poursuivis pour mendicité ou occupation abusive d’un terrain, par exemple.
« Cette loi était censée apporter une meilleure protection contre les expulsions injustes, mais elle pourrait bien les banaliser plus encore, au lieu de les raréfier », a expliqué Judith Sunderland. « Des garanties faibles et ponctuelles, des mesures ciblant spécifiquement les Roms – l’amélioration est difficilement perceptible. »
En dépit des graves lacunes de la législation et des preuves d’une discrimination continuelle à l’encontre des Roms, la Commission européenne a publié le 25 août une déclaration faisant état de sa satisfaction au regard des mesures prises par la France [hyperlien vers communiqué de presse CE].
Il y a un an, à la suite d’une campagne largement médiatisée de démantèlement des campements roms informels et d’expulsion des Roms provenant de Roumanie et de Bulgarie, Viviane Reding, la Commissaire européenne chargée de la Justice et des droits fondamentaux, avait menacé de déclencher une procédure d’infraction contre la France.
À l’époque, Viviane Reding avait vivement réagi à une circulaire interne du ministre de l’Intérieur, datée du 5 août, que la presse avait publiée à l’occasion d’une fuite, en septembre 2010. Cette circulaire ordonnait aux préfets d’adopter “une démarche systématique de démantèlement des camps illicites, en priorité ceux de Roms” et d’associer ces mesures à la “reconduite immédiate des étrangers en situation irrégulière”. Confrontée aux critiques, la France avait adopté une nouvelle circulaire qui ne mentionnait plus les Roms. Dans une décision d’avril 2011, le Conseil d’État français statuait que la circulaire d’août 2010 contenait des dispositions illégales et discriminatoires à l’encontre des Roms.