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Tunisie: Le président Hollande devrait aborder la question des droits humains

Des développements inquiétants pour la liberté d’expression

(Tunis) – Le président de la République française François Hollande devrait aborder des questions essentielles en matière de droits humains lors de ses rencontres avec les officiels tunisiens les 4 et 5 juillet 2013, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. C’est la première visite d’un président français en Tunisie depuis celle que Nicolas Sarkozy avait rendue au président Zine El Abidine Ben Ali en 2008, trois ans avant que celui-ci n’ait été chassé du pouvoir.

Parmi les principaux sujets d’inquiétude, figurent les mises en examen (voire dans certains cas les peines de prison) de personnes ayant exprimé leur opinion de façon non violente. Bien que la liberté d’expression se soit considérablement développée en Tunisie depuis la chute de Ben Ali, les autorités utilisent des lois répressives pour poursuivre des formes d’expression jugées répréhensibles, a déclaré Human Rights Watch.

« Dans cette ère nouvelle pour la Tunisie, personne ne devrait être poursuivi pour avoir exprimé son désaccord avec l’opinion dominante sur le plan politique, religieux ou culturel », a déclaré EricGoldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Le président Hollande devrait user de l’influence de la France, comme partenaire économique clé et comme allié stratégique, pour faire pression sur la Tunisie pour qu’elle protège la liberté d’expression. »

Depuis le départ de Ben Ai, les autorités des gouvernements provisoires tunisiens ont fait d’importantes avancées vers la démocratie et la consolidation des droits humains grâce au processus, toujours en cours, de rédaction d’une nouvelle constitution. Elles ont aussi abrogé les lois répressives sur les associations, les partis politiques et les médias.

Pourtant aucun changement n’a encore été constaté dans les dispositions du code pénal qui prévoient des peines de prison pour diffamation ou pour des délits définis de manière très vague, tels que « nuire aux bonnes mœurs » et « à l’ordre public. » Des personnes ayant soulevé des questions d’ordre religieux ou politique ont été condamnées en vertu de ces dispositions.

Deux Tunisiens sont derrière les barreaux pour des délits liés à des propos non violents ; un autre a fui la Tunisie pour échapper à l’emprisonnement et bénéficie du statut de réfugié en France. Au moins cinq autres pourraient écoper de peines de prison s’ils étaient reconnus coupables dans le cadre de procédures judiciaires en cours. D’autres encore ont été condamnés à verser des amendes ou à d’autres peines.

Le 13 juin, un tribunal de Tunis a condamné Alaa Eddine Yaakoubi, plus connu sous le nom de Weld El 15 (« le garçon de 15 ans »), à deux ans de prison pour « outrage à la police  » et diffamation de fonctionnaires, en vertu des articles 125, 128 et 226 du code pénal, pour une chanson intitulée « Les flics sont des chiens »accompagnée d’un clip vidéo.

Le 4 janvier, la cour d’appel militaire a alourdi la peine prononcée par le tribunal militaire de première instance de Tunis contre Ayoub Massoudi, ancien conseiller du président par intérim Moncef Marzouki, pour outrage à la renommée de l’armée, en vertu de l’article 91 du Code de justice militaire, et pour diffamation d’un fonctionnaire public. Massoudi avait accusé le chef d’état-major et le ministre de la Défense de manquement à leur devoir pour avoir négligé d’informer le président, au moment opportun, de l’extradition planifiée de l’ancien Premier ministre libyen, Baghdadi Mahmoudi, vers la Libye. En appel, la condamnation est passée de quatre mois à un an de prison avec sursis et il a été privé de certains de ses droits civiques.

Le 29 mai, le tribunal militaire de Sfax, au sud-est de la Tunisie, a jugé Hakim Ghanmi pour « outrage à la renommée de l’armée », « diffamation d’un fonctionnaire public » et « perturbation de la quiétude des tiers à travers les réseaux publics des télécommunications », pour avoir publié en avril sur son blog, Warakat Tounsia, une lettre adressée au ministre de la Défense. Dans cette lettre, il demandait au ministre de la Défense d’ouvrir une enquête sur la gestion, par son directeur, de l’hôpital militaire de Gabès. Ghanmi risque jusqu’à trois ans de prison.

En mars, les autorités ont lancé des poursuites pénales pour diffamation contre Raja Ben Slama, une professeure d’université qui avait critiqué le rapporteur général de l’Assemblée nationale constituante, et contre Olfa Riahi, une bloggeuse qui avait mis en ligne des informations sur un usage abusif defonds publics qu’aurait fait Rafik Abdessalem avant de quitter son poste de ministre des Affaires étrangères en mars. Les procédures judiciaires contre les deux femmes sont toujours en cours. Elles encourent jusqu’à deux ans de prison.

En septembre 2012, un procureur a inculpé deux artistes plasticiens pour des œuvres d’art jugées dangereuses pour l’ordre public et les bonnes mœurs. Nadia Jelassi et Mohamed Ben Salem, dont les travaux étaient présentés en juin 2012 lors d’une exposition à La Marsa, dans la banlieue nord de Tunis, risquent jusqu’à deux ans de prison. Leurs dossiers sont entre les mains d’un juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis.   

Le 28 mars 2012, la chambre criminelle du tribunal de première instance de Mahdia a condamné deux internautes à des peines de sept ans et demi de prison, confirmées en appel, pour avoir mis en ligne des écrits perçus comme insultants envers l’Islam. L’un d’eux, Ghazi Beji, a fui le pays avant de devenir le premier réfugié politique tunisien en France depuis la révolution de 2011. Le second, Jaber Mejri, purge sa peine à la prison de Mahdia.

Le 3 mai 2012, la chambre criminelle du tribunal de première instance de Tunis a infligé une amende de 2 300 dinars tunisiens (1 070€) à Nabil Karoui, le propriétaire de la chaîne de télévision Nessma TV, d’après l’article 121(3) du Code pénal, pour distribution ou diffusion d’informations « de nature à nuire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs .». Nessma avait diffusé le film d’animation Persépolis, dénoncé par certains islamistes comme blasphématoire.

Interrogés sur cette série de procès pour délits d’expression, certains dirigeants tunisiens ont déclaré que les tribunaux étaient indépendants dans l’établissement de leurs verdicts et que l’exécutif n’avait pas à les dicter. Mais c’est bien le bureau du procureur, placé sous l’autorité du ministre de la Justice, qui prend la décision des mises en examen.

« Le président Hollande devrait être aux côtés des Tunisiens qui soutiennent la liberté d’expression », a conclu Eric Goldstein. « Il doit dénoncer l’emprisonnement de Tunisiens ayant tenu des propos non violents, ainsi que des lois répressives qui le permettent ».

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