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Burundi : Le nouveau projet de loi sur les médias musèlerait les journalistes

Le Sénat devrait veiller à ce que la version finale restaure la liberté des médias

(New York, le 13 avril 2013) – L'adoption d'une nouvelle loi sur les médias par l'Assemblée nationale du Burundi le 3 avril 2013 est une tentative de restriction de la liberté d’expression et de l'indépendance du journalisme, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le Sénat et le président devraient rejeter cette version du projet de loi, qui porterait atteinte aux libertés fondamentales durement acquises par les Burundais.

Plusieurs dispositions de la version adoptée par l'Assemblée nationale restreindraient de manière significative la capacité des journalistes à couvrir les événements au Burundi, a précisé Human Rights Watch. Entre autres provisions, cette loi compromettrait la protection des sources, limiterait les sujets pouvant être couverts par les journalistes, imposerait de nouvelles amendes aux médias accusés d’enfreindre la loi, et exigerait que les journalistes disposent d’un niveau minimal de formation et d’expérience professionnelle.

« Ce projet de loi est une tentative pour réprimer les journalistes alors que le harcèlement et l'intimidation continuels n'ont pas permis de les faire taire », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Le Sénat doit insister pour que ces restrictions sévères soient retirées de la loi. »

Ce projet législatif est particulièrement préoccupant dans le contexte des élections prévues pour 2015, a expliqué Human Rights Watch. Des journalistes et d’autres détracteurs supposés du gouvernement ont été régulièrement harcelés et menacés pendant la période électorale de 2010.

Le droit à la liberté d'expression est garanti par la Constitution burundaise et par les conventions régionales et internationales, dont la Charte africaine sur les droits de l'homme et des peuples, que le Burundi a ratifiée.

En 2012, le gouvernement a initialement présenté à l'Assemblée nationale une proposition de loi similaire à celle adoptée le 3 avril. La Commission des affaires politiques a apporté plusieurs amendements positifs à ce projet, supprimant de nombreuses restrictions. Cependant, lorsque le projet a été soumis à l'Assemblée nationale plénière, bon nombre des restrictions originales ont été réintroduites. Finalement, le projet de loi a été adopté par un vote de 82 voix contre 15, avec deux abstentions.

La loi a été soumise au Sénat pour approbation. Une fois approuvée par le Sénat, la loi devra être signée par le président Pierre Nkurunziza pour être promulguée.

Le projet de loi contient plusieurs articles qui entraveraient la capacité des journalistes burundais à travailler de manière indépendante et pourraient les exposer à un éventail de sanctions pour des délits mal définis, a expliqué Human Rights Watch.

Par exemple, le projet de loi prévoit que les journalistes doivent s'abstenir de rapporter des informations qui pourraient affecter « l’unité nationale ; l’ordre et la sécurité publics ; la moralité et les bonnes mœurs ; l’honneur et la dignité humaine ; la souveraineté nationale ; la vie privée des personnes ; la présomption d’innocence ». Les reportages sont également restreints sur les questions qui impliquent « la propagande de l’ennemi de la nation burundaise en temps de paix comme en cas de guerre » et « des informations susceptibles de porter atteinte au crédit de l'État et à l’économie nationale ».

« Ces formules très vagues signifient que les sujets que les journalistes pourront couvrir légalement seront considérablement restreints », a expliqué Daniel Bekele. « Il se peut qu'ils ne soient même pas autorisés à écrire sur l'inflation, encore moins sur les questions de sécurité ou les assassinats politiques. »

Le projet de loi prévoit que les journalistes sont tenus de « ne diffuser que des informations équilibrées et dont les sources sont rigoureusement vérifiées », sans explication complémentaire.

La loi éliminerait les peines d'emprisonnement pour les délits qui sont incluses dans la loi de 2003, que la nouvelle loi viendrait remplacer. Mais celle-ci imposerait des amendes exorbitantes – certaines allant jusqu'à 8 millions de francs burundais (environ 5 000 dollars américains) – que la plupart des stations de radio et des journaux ne seraient pas en mesure de payer, a précisé Human Rights Watch. La loi exigerait aussi que les journalistes soient titulaires d'une licence en journalisme ou d’un diplôme équivalent, ou qu'ils aient au moins deux ans d'expérience professionnelle.

Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui fournit l'interprétation définitive du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Burundi est un État partie, déclare dans son Observation générale n° 34 sur la liberté d'expression que les systèmes généraux d'enregistrement ou d’octroi de licence pour les journalistes par l’État sont incompatibles avec la liberté d'expression.

« Cette loi constituerait un retour en arrière », a déclaré à Human Rights Watch le président de l'Union burundaise des journalistes, Alexandre Niyungeko. « C'est une attaque contre la démocratie, parce qu'on ne peut pas avoir un niveau même élémentaire de démocratie dans un pays où il n'y a pas de liberté d'expression. »

Alors que le Burundi a réalisé d'importants progrès sur la voie du redressement après une longue guerre civile, le pays a connu des pics de violence ces dernières années, avec une forte hausse du nombre d’assassinats politiques après les élections de 2010. Human Rights Watch a documenté l'implication d'agents de l'État dans de nombreux cas. Les journalistes burundais ont joué un rôle essentiel dans la diffusion d'informations sur ces assassinats et pour faire entendre la voix des familles des victimes.

Dans le cadre de la loi adoptée par l'Assemblée nationale, tout reportage sur ces affaires et sur l'impunité des agents de l'État pourrait être considéré comme illégal s'il était interprété comme affectant l'unité nationale ou l'ordre public.

Le Burundi est caractérisé par un environnement médiatique paradoxal. Le pays dispose d'un secteur médiatique indépendant dynamique, mais les journalistes ont signalé à Human Rights Watch qu'ils sont fréquemment menacés et intimidés par des agents de l'État pour des articles et des émissions considérés comme critiques à l'égard du gouvernement.

En 2010, la plupart des partis d'opposition ont boycotté les élections et plusieurs de leurs dirigeants ont fui le pays. Suite à cela, le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), a semblé traiter les journalistes, les organisations de la société civile et les avocats comme la nouvelle opposition. Les déclarations gouvernementales ont souvent décrit des journalistes comme des porte-paroles de l'opposition politique.

Un journaliste, Jean Claude Kavumbagu, a été emprisonné pendant 10 mois pour avoir écrit un article dans lequel il remettait en cause la capacité du pays à répondre à de potentielles attaques terroristes. Il a été acquitté pour le chef d'inculpation initial de trahison, mais a été déclaré coupable de « porter atteinte à l'économie nationale ». Il a été libéré en mai 2011.

Tout au long des années 2011 et 2012, les journalistes de radio au Burundi ont été fréquemment harcelés et convoqués au parquet pour rendre des comptes sur leurs émissions.

En 2012, Hassan Ruvakuki, un correspondant de Radio France Internationale et de Radio Bonesha FM, a été condamné à une peine de prison à vie pour des actes terroristes présumés après avoir interviewé un nouveau groupe rebelle à la fin de l'année 2011. Sa peine a été réduite à trois ans en appel, et il a été libéré le 6 mars après avoir passé 15 mois en prison.

Le 19 février, à Bujumbura, la capitale, la police a lancé des gaz lacrymogènes pour disperser des journalistes participant à une marche en soutien à Hassan Ruvakuki.

« Un élément fondamental pour l'avenir démocratique du Burundi est la capacité des journalistes à travailler sans entrave et à réaliser des reportages sur les questions sensibles », a conclu Daniel Bekele. « Le gouvernement devrait valoriser et préserver le secteur médiatique dynamique du pays au lieu d'essayer de le fragiliser par une législation répressive. »
 

 

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