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Yémen: Des mineurs délinquants risquent d’être exécutés

Au moins 22 mineurs se trouvent dans le couloir de la mort ; des dizaines d'autres risquent d’être condamnés à mort

(Sanaa, le 4 mars 2013) – Le gouvernement du Yémen devrait cesser de requérir et d'appliquer la peine de mort pour des mineurs délinquants, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Le président Abdu Rabu Mansour Hadi devrait immédiatement annuler les ordres d'exécution visant trois mineurs délinquants présumés, qui se trouvent actuellement dans le couloir de la mort après avoir épuisé tous leurs recours, et qui pourraient à tout instant se retrouver devant un peloton d'exécution.

Le rapport de 30 pages, intitulé "Look at Us with a Merciful Eye": Juvenile Offenders Awaiting Execution on Yemen’s Death Row (« "Jugez-nous avec miséricorde" : Les mineurs délinquants dans le couloir de la mort au Yémen »), conclut qu'au moins 22 individus ont été condamnés à mort en dépit des preuves indiquant qu'ils avaient moins de 18 ans au moment de leurs crimes présumés. Au cours des cinq dernières années, le Yémen a exécuté au moins 15 jeunes hommes et femmes qui affirmaient être mineurs à l'époque où ils auraient enfreint la loi. Tout récemment, le 3 décembre 2012, un peloton d'exécution gouvernemental à Sanaa a exécuté Hind al-Barti, une jeune femme condamnée pour meurtre dont le certificat de naissance indique qu'elle avait 15 ans à l'époque du crime qu'elle aurait commis.

« Le président Hadi devrait tourner la page de la justice arbitraire et des violences d’État du Yémen, en annulant les ordres d'exécution visant trois jeunes hommes pour lesquels des décrets ont été signés », a déclaré Priyanka Motaparthy, chercheuse sur les droits de l'enfant chez Human Rights Watch. « En mettant fin aux exécutions de mineurs délinquants, le gouvernement du Yémen peut démontrer de façon claire et résolue son intention d'honorer ses engagements en matière de droits humains. »

Selon Human Rights Watch, le président Hadi devrait donner l'ordre de réexaminer toutes les condamnations à mort pour lesquelles il n'est pas certain que l'individu ait eu au moins 18 ans à l'époque du crime, et commuer toutes les peines prononcées dans les affaires où les preuves relatives à l'âge du délinquant s'avèrent peu concluantes ou divergentes. Le code pénal du Yémen ainsi que le droit international interdisent l'exécution de mineurs délinquants.


Human Rights Watch a interviewé cinq jeunes hommes et une jeune femme dans le couloir de la mort de la Prison Centrale de Sanaa, et étudié les dossiers judiciaires de 19 autres mineurs délinquants présumés. Parmi les personnes interviewées figurait Hind al-Barti, qui a raconté à Human Rights Watch en mars 2012 comment elle avait dû faire de faux aveux après que des agents de police l'aient frappée et menacée de la violer. Les autorités gouvernementales n'ont informé sa famille de son exécution que quelques heures avant qu'elle ait lieu.

« Il y a des éléments solides indiquant qu'Hind al-Barti n'était qu'une jeune fille quand elle a été accusée de meurtre, et pourtant elle a été condamné à la peine capitale et exécutée », a déclaré Priyanka Motaparthy. « Le gouvernement yéménite aurait dû réduire sa peine s'il y avait la moindre raison de croire qu'elle avait moins de 18 ans au moment du crime. »

Comme Hind al-Barti, de nombreux mineurs délinquants ont raconté à Human Rights Watch avoir subi des menaces, des violences physiques, et des actes de torture alors qu'ils étaient en garde à vue, affirmant que ces mauvais traitements les avaient poussé à faire de faux aveux.

« Ils m'ont frappé avec les poings, et plusieurs fois ils m'ont infligé des électrochocs jusqu'à ce que je m'effondre, » a raconté Ibrahim al-Omaisy, l'un des jeunes rencontrés par Human Rights Watch. « A un moment, s'ils m'avaient demandé, "As-tu assassiné 1000 personnes ?" j'aurais pu répondre oui tellement j'avais peur. »

Les trois mineurs délinquants présumés qui ont épuisé tous leurs recours sont Mohammed Taher Sumoom, Walid Hussein Haikal, et Mohammad al-Tawil. L'ancien président du Yémen, Ali Abdullah Saleh, a signé leurs décrets d'exécution avant de terminer son mandat en février 2012. Pour la peine capitale, la signature du président constitue l'ultime étape avant l'exécution de la sentence.

Walid Hussein Haikal a raconté à Human Rights Watch comment il a été accusé d'avoir assassiné un homme dans son quartier en 2000, alors qu'il n'était qu'en quatrième. Il a déclaré avoir passé deux mois à la Division des Enquêtes Criminelles du ministère de l'Intérieur suite à son arrestation, et que les policiers l'avaient frappé et torturé pendant toute cette période, ce qui l'a poussé à livrer de faux aveux.

Depuis 1994, le code pénal du Yémen interdit lui aussi l'exécution des mineurs délinquants, et fixe à 10 ans de prison maximum la sentence applicable aux individus âgés de moins de 18 ans qui commettent des crimes passibles de la peine capitale. Pourtant, les mineurs délinquants rencontrent de sérieux obstacles quand ils essaient de prouver leur âge au tribunal, a constaté Human Rights Watch. Dans certains cas, les accusés n'ont tout simplement pas les papiers nécessaires pour prouver qu'ils avaient moins de 18 ans au moment de leur crime présumé. Le taux d'enregistrement des naissances au Yémen est l'un des plus faibles au monde : sur une population de plus de 24 millions de personnes, le gouvernement n'enregistre que 22 pour cent des naissances, et seulement 5 pour cent parmi les populations pauvres et rurales, selon le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance, l'UNICEF.

Le gouvernement du Yémen devrait créer une commission d'évaluation indépendante – séparée du bureau du procureur public – pour développer des procédures et des directives claires concernant la façon de déterminer l'âge d'un accusé, a affirmé Human Rights Watch. Cette commission devrait avoir la responsabilité d'étudier les dossiers passés et futurs, et de garantir que tous les mineurs accusés de meurtres et d'autres crimes aient accès à un processus indépendant et impartial pour déterminer leur âge, fondé sur des preuves médicales, des éléments objectifs, et des entretiens.

Mais même dans les cas où les accusés sont en mesure de prouver qu'ils avaient moins de 18 ans au moment où un crime présumé a été commis, les juges ignorent souvent ces éléments de manière flagrante, a constaté Human Rights Watch. Bashir Muhammad al-Dihar, condamné à mort par un tribunal de première instance de Sanaa, a raconté à Human Rights Watch que lorsque sa peine a été prononcée, « le juge a dit que, "même s'il avait 10 ans … le châtiment pour un meurtre c'est la mort."  ». En février 2013, al-Dihar a été informé qu'une cour d'appel avait réduit sa peine à sept ans de prison, en se fondant sur son âge. Il a déclaré à Human Rights Watch qu'il avait peur que la cour suprême du Yémen ne rétablisse la condamnation à mort le concernant.

Le Yémen a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que la Convention relative aux droits de l'enfant, qui interdisent expressément la peine capitale pour toute personne âgée de moins de 18 ans au moment où elle commet un crime.

Quand les tribunaux ne peuvent pas établir de façon concluante qu'un accusé avait 18 ans ou plus au moment du crime présumé, le droit international stipule qu'ils ne peuvent pas prononcer de peine de mort. Le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies, responsable de l'interprétation de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE), a déclaré qu'« à défaut de la preuve de son âge, l’enfant a le droit à un examen médical fiable ou à une enquête sociale propre à déterminer son âge et, en cas d’éléments non concluants ou divergents, a le droit au bénéfice du doute ».

Le Yémen fait partie des quatre seuls pays au monde connus pour avoir exécuté des personnes au cours des cinq dernières années, pour des crimes commis alors qu'elles étaient mineures. Les autres pays sont l'Arabie Saoudite, l'Iran et le Soudan.

Human Rights Watch s'oppose à la peine de mort dans toutes les situations, en tant que châtiment fondamentalement irréversible et inhumain.

« Le gouvernement yéménite dispose là d'une véritable opportunité de prouver son engagement en faveur de la protection des enfants – les membres les plus vulnérables de sa population – en annulant les ordres d'exécutions concernant les dossiers urgents de mineurs, et en observant l'interdiction qu'il a lui-même décrété sur la peine de mort pour les mineurs délinquants », a conclu Priyanka Motaparthy. « Ce n’est pas envoyant des mineurs délinquants devant des pelotons d'exécution que le Yémen pourra démontrer son respect des droits humains. »

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