(Washington) – Le président de la Guinée équatoriale devrait prendre des mesures concrètes pour respecter les droits humains, s’attaquer à la corruption et améliorer la transparence, ont déclaré Global Witness, Human Rights Watch, Open Society Foundations et Oxfam America aujourd'hui. Le 15 juin, les quatre groupes doivent rencontrer le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, à Washington, afin de l’exhorter à mener des réformes significatives.
La corruption, la pauvreté et un piètre bilan en matière de droits humains figurent parmi les caractéristiques de la Guinée équatoriale aujourd'hui. Les abondantes recettes pétrolières financent des modes de vie somptueux pour la petite élite qui entoure le président, tandis que la plupart des habitants de ce pays se voient refuser l'accès aux droits fondamentaux économiques et sociaux, et sont donc piégés dans la pauvreté. Le président Obiang exerce un contrôle étendu sur toutes les branches du gouvernement. Les groupes de la société civile ne sont pas autorisés à fonctionner librement et de manière indépendante, et la liberté de parole et de la presse sont régulièrement restreintes.
« Le président Obiang s'est engagé à plusieurs reprises aux principes de bonne gouvernance et au respect des droits humains, et cette réunion est une occasion importante pour une discussion directe et franche au sujet de ces engagements », a déclaré Arvind Ganesan, directeur de la division Entreprises et droits humains au sein de Human Rights Watch. « Nous espérons que la visite du président conduira à des mesures décisives en vue de réformes. »
Il y a eu de nombreuses enquêtes à l'étranger sur la corruption de haut niveau liée à la richesse en ressources naturelles de la Guinée équatoriale. Cette semaine, le ministère américain de la Justice a modifié son dossier de plainte déposé en octobre 2011 cherchant à saisir les biens du fils aîné d’Obiang, Teodoro Nguema Obiang Mangue, connu sous le nom de Teodorin, alléguant qu'il avait obtenu des centaines de millions de dollars grâce à la corruption. D’autres enquêtes sur la corruption et le blanchiment d'argent impliquant Teodorin ou d’autres autorités sont en cours en France et en Espagne.
« Alors que les détails de ces enquêtes émergent, le nuage de corruption entourant le gouvernement s'épaissit », a déclaré Corinna Gilfillan, directrice du bureau de Global Witness aux États-Unis. « Le président Obiang devrait répondre à ces allégations publiquement et expliquer comment le gouvernement envisage d'enquêter sur celles-ci – et il devrait laisser les procédures judiciaires suivre leur cours sans ingérence. »
Dans un discours très médiatisé lors du Forum mondial de Cape Town en juin 2010, Obiang avait promis davantage de transparence, de développement social, de réforme juridique et de respect des libertés fondamentales. En 2011, il a prononcé des discours à l'Assemblée générale des Nations Unies et, en tant que président à l'époque de l'Union africaine, a fait l’éloge de la démocratie et des principes des droits humains. En mars 2010, son gouvernement a accepté de mettre en œuvre des dizaines de recommandations émises lors de l'examen de la performance en droits humains de la Guinée équatoriale devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Toutefois le gouvernement d'Obiang a fait des progrès très limités dans la réalisation de ces engagements. Les modifications constitutionnelles approuvées en novembre 2011, par exemple, imposent des limites de durée du mandat présidentiel, mais servent par ailleurs à consolider et élargir les pouvoirs incontrôlés d’Obiang. Elles lui permettent de désigner un nombre indéterminé de membres d'un Sénat nouvellement créé et de nommer ou d’agréer les dirigeants d'institutions « indépendantes » ostensiblement chargées d'améliorer la redevabilité du gouvernement. En mai, Obiang a promu son fils Teodorin à un nouveau poste – deuxième vice-président – qui n'est pas spécifié dans la Constitution récemment modifiée du pays.
Les quatre groupes ont déclaré qu'ils exhorteraient Obiang à prendre des mesures concrètes afin d’accroître la transparence publique, de lutter contre la corruption, de donner la priorité aux dépenses anti-pauvreté, de cesser la répression politique, d’adopter des réformes judiciaires et de permettre aux militants de la société civile et journalistes nationaux et étrangers de poursuivre librement leurs activités. Plus précisément, ils ont appelé le gouvernement du président Obiang à :
- Améliorer considérablement la transparence et la responsabilité fiscales, notamment par la publication de tous les revenus, budgets et dépenses du gouvernement ; par la réalisation et la publication d'audits annuels de tous les comptes du gouvernement, notamment ceux détenus à l'étranger ; et en faisant appliquer une obligation pour les autorités publiques de déclarer leur actifs.
- Prendre des mesures pour lutter contre la corruption des représentants de l’État et rendre compte de l'utilisation des fonds publics par la divulgation des revenus des ressources naturelles, et supprimer les obstacles à la participation de la société civile avant de chercher à rejoindre l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), un effort international visant à promouvoir une plus grande transparence concernant les bénéfices du pétrole, du gaz et des exploitations minières.
- Stimuler considérablement la croissance des dépenses pour la réduction de la pauvreté, l'éducation primaire et les soins de santé de base.
- Défendre les libertés politiques, en respectant le droit des membres de l'opposition de se déplacer librement, de tenir des réunions, d'exprimer leurs opinions et d'avoir accès aux médias sans discrimination. Le gouvernement devrait également mettre en place un organisme électoral indépendant pour s'assurer que tous les processus électoraux soient libres, équitables et tenus de rendre des comptes.
- Entreprendre une réforme globale afin de garantir l'indépendance judiciaire et de plus veiller à ce que le système judiciaire soit en conformité avec les instruments internationaux relatifs aux droits humains que la Guinée équatoriale a signés.
- Cesser le harcèlement et les représailles contre les Équato-guinéens exprimant des opinions critiques, et leur permettre d'opérer librement et de manière indépendante et d'exercer leurs professions.
- Permettre et clairement autoriser les organisations non gouvernementales étrangères, les journalistes et les experts en droits humains des Nations Unies à entrer en Guinée équatoriale, à se déplacer librement, à rencontrer diverses personnes publiques et privées, et à effectuer un travail indépendant, sans entrave ni risque de représailles contre les personnes qui partagent des informations.
« Le gouvernement reçoit des milliards de dollars en recettes pétrolières non divulguées. Tout progrès sur la responsabilisation et les dépenses du gouvernement en faveur des pauvres doit inclure une transparence totale sur les revenus et les dépenses publiques. Les citoyens et les journalistes doivent avoir la liberté de suivre l'utilisation de la richesse pétrolière de près et les groupes de surveillance doivent être autorisés à opérer librement », a déclaré Ian Gary, directeur principal des politiques pour les industries extractives à Oxfam America.
La réunion officieuse à Washington, organisée à la fois par le Département d'Etat américain et le Woodrow Wilson Center, représente la première rencontre entre Obiang et ces groupes de la société civile. Les groupes ont noté la nécessité d'une reconnaissance plus large des organisations de la société civile, à la fois nationales et étrangères. Par exemple, EG Justice, une organisation de premier plan basée à Washington, qui est le seul groupe au monde exclusivement dédié à travailler sur les droits humains et la justice sociale dans le pays, n'a pas été invitée. La société civile est tellement restreinte à l'intérieur de la Guinée équatoriale que le pays ne dispose d'aucune organisation de défense des droits humains enregistrée.
« Nous espérons que cette réunion est un signe que le président et le gouvernement s'impliqueront régulièrement auprès des groupes de la société civile au lieu de les attaquer », a déclaré Sarah Pray, analyste principale des politiques pour les Open Society Foundations. « Il sera crucial pour un plus large éventail de groupes d'avoir des occasions similaires d'engagement ouvert et pour la société civile d'être en mesure d'opérer librement dans le pays. »
Contexte sur la Guinée équatoriale
Obiang est le chef de l'État en Guinée équatoriale depuis sa prise du pouvoir par un coup d’État en 1979 et il est actuellement le chef d’État en exercice ayant le plus d'ancienneté au monde. Du pétrole a été découvert dans ce pays ouest-africain peuplé par quelque 680 000 personnes dans le milieu des années 1990. Il est maintenant le quatrième plus grand producteur de pétrole en Afrique sub-saharienne.
Les dépenses sociales
Le gouvernement Obiang a quelque peu augmenté les niveaux de dépenses sociales, mais continue de privilégier des investissements publics dans des projets qui bénéficient peu aux pauvres, comme plusieurs palais présidentiels et un complexe de 830 millions de dollars US utilisé pour accueillir le Sommet de l'UA de juin 2011 près de Malabo, la capitale nationale. Les taux de mortalité maternelle et infantile ont baissé, en partie grâce à un programme de prévention contre le paludisme largement financé par des compagnies pétrolières étrangères, mais ils restent élevés. Près d'un enfant sur huit meurt avant son cinquième anniversaire, selon les statistiques de 2010 de l'ONU et de la Banque mondiale.
Corruption
Dans sa plainte modifiée datée du 11 juin 2012, le ministère de la Justice des États-Unis allègue que Teodorin, le fils d'Obiang, a extorqué des fonds auprès d'entreprises forestières et de construction par le biais de sociétés fictives, a frauduleusement gonflé de près de 500 pour cent des contrats publics de construction, et détourné de l'argent public sur un compte bancaire privé sous son contrôle alors qu'il occupait le poste de ministre de l'Agriculture et des Forêts. La plainte décrit en détail comment Teodorin a dépensé plus de 300 millions de dollars US de 2000 à 2011 dans des achats importants comme un manoir d’une valeur de 80 millions de dollars US à Paris, des œuvres de Renoir et d’autres peintres de renom à hauteur de 45 millions de dollars, un manoir de 30 millions de dollars US à Malibu, en Californie, une propriété 15 millions de dollars US à Sao Paulo, des propriétés d'une valeur totale de 8 millions de dollars US à Cape Town, un jet Gulfstream de 38,5 millions de dollars US, et plus de 2,7 millions de dollars US en souvenirs de Michael Jackson, en utilisant des fonds qui seraient obtenus par la corruption.
L'administration Obama a mis en place une unité spéciale « anti-kleptocratie » chargée d’enquêter sur les allégations de corruption étrangère de haut niveau. En vertu d'une proclamation de 2004, signée par le président George W. Bush, qui a lancé l'initiative anti-kleptocratie du gouvernement des États-Unis, les autorités publiques actuelles et anciennes et autres personnes impliquées dans, ou bénéficiant de, la corruption doivent être interdites d'entrée aux États-Unis.
Une enquête française a jusqu'ici mené à la saisie de grandes quantités d’objets de haut de gamme achetés avec des fonds suspects et à un mandat d'arrêt international en cours contre Teodorin.
Obiang et son gouvernement ont défendu Teodorin avec véhémence, affirmant qu'il a amassé sa fortune grâce à des entreprises commerciales légitimes. Par le biais de ses avocats, Teodorin a nié toutes les allégations de corruption en France et aux États-Unis.
Peu de temps après une saisie initiale par la police française de 11 voitures de sport de luxe de Teodorin, en septembre 2011, Obiang a nommé son fils comme délégué permanent adjoint de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO (l'Organisation économique scientifique et culturelle des Nations Unies), basée à Paris, dans une tentative apparente visant à lui accorder l'immunité diplomatique contre les poursuites.
Une Cour des comptes a été créée dans le cadre de la nouvelle constitution de la Guinée équatoriale, chargée d'examiner les dépenses publiques et d'enquêter sur les soupçons de corruption, mais son dirigeant est censé être directement nommé par le président.
Le harcèlement des voix dissidentes
Le Dr Wenceslao Mansogo Alo, un éminent médecin et défenseur des droits humains, a été libéré le 6 juin, après près de quatre mois de prison mais reste soumis à des amendes ordonnées par le tribunal, la suspension de sa licence de médecine et la fermeture de sa clinique médicale privée. Ponciano Mbomio Nvó, un des avocats de M. Mansogo, s’est vu infliger en avril 2012 une suspension de son permis de pratiquer le droit pour une durée de deux ans pour avoir critiqué le gouvernement dans ses réquisitions et plaidoiries dans le procès de Mansogo.
Alfredo Okenve Ndo, un militant œuvrant pour promouvoir la transparence et la gouvernance réactive a également été victime de harcèlement persistant. Okenve a été licencié de deux postes à l'Université nationale après avoir fait la critique du bilan de transparence du gouvernement lors d’un colloque à Washington en mai 2010. Une société privée qui voulait embaucher Okenve a retiré l'offre d'emploi sous la pression du gouvernement équato-guinéen.
Auparavant, le gouvernement a accusé les organisations internationales de la société civile qui ont fait la critique de son bilan de vouloir « salir l'image » de la Guinée équatoriale, d’avoir une « attitude irresponsable et ouvertement injuste et raciste », de « chantage » et de « diffamation, préjugés, calomnie et désinformation ».
Obiang a poursuivi ses détracteurs devant les tribunaux. Le 30 septembre 2011, un tribunal français a statué contre Obiang dans un procès en diffamation qu'il avait intenté contre le CCFD-Terre Solidaire, une organisation non gouvernementale française, à propos d’un rapport publié par ce groupe et détaillant les biens mal acquis de différents dirigeants, notamment Obiang.
Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE)
La Guinée équatoriale a été exclue de l'ITIE en avril 2010 pour avoir omis de répondre à ses conditions de base. Le gouvernement d’Obiang n'a pas renouvelé sa demande et n'a pas non plus fait de progrès pour remédier aux restrictions sur la participation de la société civile qui ont nui à sa candidatureantérieure.
La section 1504 de la Loi Dodd-Frank (Wall Street and Consumer Protection Act) oblige toutes les sociétés pétrolières, gazières et minières à divulguer publiquement les paiements relatifs aux recettes des ressources qu’elles versent aux gouvernements pour chaque projet sur lequel elles opèrent. L'Union européenne envisage des règles similaires.