(Paris) – Le ministère français de la Justice devrait rapidement prendre des mesures pour émettre un mandat d’arrêt international contre le fils de Teodoro Obiang Nguema, le président de Guinée équatoriale, ont déclaré aujourd’hui EG Justice, Human Rights Watch et SHERPA. Le 11 avril 2012, des sources judiciaires ont confirmé qu’un procureur français avait souscrit à la requête de juges d’instructions d’émettre un mandat contre Teodoro Nguema Obiang Mangue (« Teodorín »), pour des allégations de blanchiment d’argent en rapport avec ses luxueuses acquisitions en France.
La prochaine étape, pour le ministère français de la Justice, devrait consister à diffuser le mandat à travers les bases de données européennes et internationales des services de police, dites Système d’information Schengen (SIS) et Interpol, pour permettre son arrestation.
Teodorín occupe les postes de ministre équato-guinéen de l’Agriculture et des Forêts, et de vice-président du parti au pouvoir. La plupart des observateurs s’attendent à ce qu’il succède à son père grâce aux révisions constitutionnelles que le gouvernement a réussi à faire passer en novembre. La Guinée équatoriale est un pays d’Afrique de l’Ouest riche en pétrole, où sévit la corruption de haut vol et où les taux de pauvreté élevés sont disproportionnés par rapport à la richesse nationale par habitant. Teodorín fait l’objet d’une enquête aux États-Unis et en France, où des juges d’instruction suspectent que c’est grâce au détournement des richesses naturelles du pays que le fils du président a acquis des biens.
« La corruption de haut niveau en Guinée équatoriale constituerait un coût énorme pour le peuple », a déclaré Tutu Alicante, directeur de EG Justice, un groupe basé aux États-Unis qui milite pour les droits humains et l’État de droit en Guinée équatoriale. « La France devrait contribuer à combattre la corruption et l’impunité en s’attaquant énergiquement au blanchiment d’argent ».
En février, la police française a perquisitionné un hôtel particulier utilisé par Teodorín à Paris, emportant dans au moins deux camions des objets de valeur pour un total estimé à plus de 40 millions d’euros – dont un bureau de 1,5 million d’euros ayant appartenu au roi Louis XIV, a-t-on rapporté. En septembre 2011, la police avait perquisitionné le même hôtel particulier et saisi au moins 11 voitures de sport haut-de-gamme appartenant à Teodorín.
La France a ouvert son enquête officielle suite à une plainte déposée par SHERPA, un groupe de défense des droits humains, et par Transparency International France, contre plusieurs leaders africains qui auraient utilisé des fonds publics pour acquérir des propriétés de luxe et des biens en France. Seulement deux semaines après la perquisition et la saisie de septembre, le président Obiang a nommé Teodorín délégué permanent adjoint auprès de l’UNESCO. Une coalition d’associations, dont EG Justice, Human Rights Watch et SHERPA, ont condamné cette initiative comme une tentative de lui octroyer l’immunité diplomatique face aux poursuites en France, au moment où l’enquête contre lui prend de l’ampleur.
« Il est inacceptable que les responsables politiques se servent d’une organisation internationale telle que l’UNESCO comme bouclier contre la justice », a déclaré William Bourdon, président de SHERPA. « Le ministère français des Affaires étrangères est la seule institution qui a le pouvoir d’arrêter cette nomination, et il devrait prendre des mesures pour la bloquer. »
SHERPA a lancé une pétition en ligne appelant le ministère des Affaires étrangères à refuser à Teodorín le visa nécessaire pour prendre ses fonctions à l’UNESCO.
Dans une affaire séparée, le gouvernement des États-Unis a entrepris de saisir plus de 70 millions de dollars de biens appartenant à Teodorín, alléguant qu’ils avaient été acquis avec de l’argent obtenu par « extorsion et/ou malversation, vol, ou détournement de fonds publics ».
La propension de Teodorín à faire des dépenses somptuaires dans divers pays contraste crument avec les dures réalités quotidiennes qu’endurent la majorité des gens en Guinée équatoriale. La plupart n’ont même pas accès de façon fiable à des services basiques comme l’eau potable, l’électricité et les soins de santé abordables. Récemment, les habitants de la capitale, Malabo, ont souffert d’une coupure d’eau due au délabrement du système de distribution de l’eau.
Le président Obiang, qui est au pouvoir depuis 1979, un record mondial de longévité à la tête d’un État, dirige un gouvernement tirant de larges revenus du pétrole, ce qui en fait le pays le plus riche d’Afrique si on considère le PIB par habitant. Pourtant ce gouvernement dépense de l’argent en priorité dans les résidences de luxe, les palais présidentiels et autres projets coûteux, plutôt que de faire des dépenses sociales pour répondre aux besoins des citoyens normaux.
D’après le Rapport sur le développement humain 2011 des Nations Unies, la Guinée équatoriale est classée 136ème sur 187 pays dans l’Index de développement humain, malgré un PIB par habitant très élevé, de 31 779 dollars. Du coup la Guinée équatoriale a de loin l’écart le plus important entre le classement de ses richesses et sa note de développement humain. Les indicateurs sociaux de pauvreté du pays comprennent des taux élevés de mortalité infantile. Près d’un enfant sur huit meurt avant l’âge de 5 ans.
Ceux qui critiquent le gouvernement sont durement réprimés. Un des médecins les plus éminents du pays, Dr. Wenceslao Mansogo Alo, a été injustement emprisonné le 9 février. On attend le verdict du procès qui a été monté contre lui pour des motifs politiques. En plus de diriger sa propre clinique de soins, Mansogo est un éminent défenseur des droits humains et un membre du principal parti d’opposition.
Le président Obiang a défendu son fils lors d’une interview télévisée diffusée le 10 avril sur France 24, déclarant que sa fortune provenait d’entreprises et non de fonds publics. L’avocat de Teodorín en France a protesté contre l’émission d’un mandat international contre son client, la qualifiant de « parfaitement incompréhensible ».
Le gouvernement équato-guinéen a menacé le gouvernement français de représailles contre ce qu’il appelle une tentative de « provoquer une déstabilisation interne » de la Guinée équatoriale. Le 9 avril, il a confirmé avoir expulsé un homme d’affaires français une semaine auparavant, alléguant dans un communiqué officiel que ce dernier avait causé « une alerte publique » en distribuant une notice, sur papier à en-tête de l’ambassade, comportant des informations destinées aux citoyens français vivant en Guinée équatoriale, avec des contacts téléphoniques et des lieux de refuge en cas de danger.
Le 30 mars, environ 2 000 Équato-guinéens se sont rassemblés devant l’ambassade de France à Malabo pour protester contre les poursuites visant Teodorín en France. Par la suite, le gouvernement de Guinée équatoriale a rapporté que des « centaines de milliers de personnes » avaient participé à des « manifestations pacifiques massives » à Malabo. La population totale du pays est d’environ 700 000 personnes.
Par contre, en mars 2011, le gouvernement a refusé d’autoriser un parti d’opposition à manifester, et en novembre 2011, les forces de sécurité gouvernementales ont arrêté et détenu pendant trois jours un membre de l’opposition qui tentait d’organiser des rassemblements contre les révisions constitutionnelles proposées par le gouvernement.
« Répression et corruption vont souvent de pair », a déclaré Arvind Ganesan, directeur de la division Entreprises et droits humains à Human Rights Watch. « Voici le genre d’affaire qui devrait être poursuivi, afin d’envoyer un message : la communauté internationale ne laissera pas des responsables parcourir le monde afin de blanchir, pour leur propre bénéfice, le produit des richesses naturelles d’un pays. »