(Paris, le 9 mars 2012) – Un vote divisé émis par le Conseil exécutif de l’UNESCO concernant la validation d’un prix financé par le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo,place les intérêts de ce dirigeant au-dessus des principes fondamentaux de l’UNESCO en matière de droits humains et de bonne gouvernance, ont déclaré aujourd’hui sept organisations de la société civile. La décision prise le 8 mars 2012 par une commission du Conseil exécutif de modifier le nom controversé de ce prix et de recommander à la directrice générale de l’UNESCO, Mme Irina Bokova, d'avaliser ce prix devrait être adoptée aujourd’hui de manière formelle lors d’une séance plénière.
« Qu’il soit décerné ou non, le vote en faveur d’un prix international d’une valeur de 3 millions de dollars pour la recherche en sciences de la vie parrainé par un gouvernement qui n’investit pas assez sur son propre territoire dans des services de santé élémentaires relève de la plaisanterie de mauvais goût », a déclaré Tutu Alicante, avocat équato-guinéen qui dirige l’organisation de défense des droits humains EG Justice depuis son lieu d’exil. « Les membres du Conseil exécutif de l’UNESCO, en soutenant ce prix, ont bradé les principes de cette organisation et terni sa réputation. »
Le Conseil exécutif a approuvé le prix au terme d’un vote profondément divisé. Les 14 pays africains membres du Conseil exécutif ont voté en faveur de la création de ce prix, honorant ainsi une résolution dans ce sens qu’ils avaient signée lors du Sommet de l’Union africaine tenu en Guinée équatoriale en juin 2011, lorsqu’Obiang présidait l’organisation. Les pays arabes membres du Conseil exécutif ont eux aussi voté en faveur de la mise en œuvre du prix et ont été rejoints par le Brésil, Cuba, l’Équateur, le Venezuela, l’Inde et la Russie. La plupart des membres caribéens et européens du Conseil exécutif se sont en revanche fortement opposés à cette distinction, de même que l’Afghanistan, le Pérou et les États-Unis.
Wenceslao Mansogo, un médecin équato-guinéen, éminent défenseur des droits humains et membre de l’opposition, a exhorté les membres de l’UNESCO à abolir le prix dans un courrier rédigé depuis sa cellule de prison, où il a été injustement placé en détention le 9 février pour motifs politiques. Le gouvernement a de surcroît ordonné la fermeture de sa clinique, décision qui souligne l’hypocrisie d’un prix censé améliorer « la qualité de la vie des êtres humains ».
On ignore encore si Mme Bokova compte mettre en œuvre ce prix rebaptisé « prix UNESCO-Guinée équatoriale » au vu des irrégularités constatées dans la description du mode de financement du prix, irrégularités qui portent atteinte aux propres règles de l’organisation.
En outre, certaines questions restent en suspens concernant les sources de financement de ce prix. Au départ, ses statuts stipulaient qu’il serait financé par la Fondation Obiang Nguema Mbasogo pour la préservation de la vie. Toutefois, le 9 février, le gouvernement équato-guinéen a informé l’UNESCO que le prix serait financé par le Trésor public, annonçant par la suite, le 22 février, que « le donateur du Prix est désormais le Gouvernement de la Guinée équatoriale ».
Dans un avis publié le 2 mars, un membre du service juridique de l’UNESCO concluait que les statuts du prix UNESCO-Obiang, tel qu’il avait été institué au départ, n’étaient « plus applicables » en raison d’un « écart important » entre la source de financement du prix déclarée et la réalité de ce financement ; cet avis précisait qu’il en serait de même pour tout prix auquel un nouveau nom serait donné.
Les enquêtes en cours sur des affaires de corruption impliquant des membres de la famille Obiang en France, en Espagne et aux États-Unis poussent à s’interroger sur la légitimité du financement du prix. Ainsi, le 5 mars, l’association Sherpa et l'organisation Transparency International ont demandé à des juges français d’inclure la question de la dotation du prix de 3 millions de dollars dans l’enquête ouverte par la France sur de tels actes de corruption.
Le gouvernement équato-guinéen limite et contrôle si rigoureusement l’accès à l’actualité que les journalistes travaillant dans le pays ne sont pas en mesure de rendre compte des allégations de corruption ou des préoccupations soulevées par le prix. Les citoyens qui n’ont pas accès aux médias internationaux manquent donc d’informations cruciales sur la manière dont le gouvernement se sert des fonds publics.
« Même si certains membres du Conseil exécutif font peu de cas des règles et de la réputation de l’UNESCO, il incombe à sa directrice générale, Mme Bokova, de protéger l’institution contre toute irrégularité financière et toute pratique contraire à l’éthique », a précisé Tutu Alicante. « Elle devrait exiger le respect des principes établis et refuser de laisser l’UNESCO utiliser des fonds d’origine suspecte qui servent à promouvoir l’image du président Obiang. »
La déclaration de la société civile a été émise par les sept organisations suivantes :
- Asociación Pro Derechos Humanos de España
- Association Sherpa
- Committee to Protect Journalists
- EG Justice
- Global Witness
- Human Rights Watch
- Open Society Justice Initiative