Skip to main content

Vladimir Poutine devrait-il s'intéresser de près à la condamnation de Charles Taylor, l'ancien président du Libéria? Et qu'en est-il d'Henry Kissinger?

La semaine dernière, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), mis en place avec l'appui des Nations Unies, a jugé Charles Taylor coupable d'avoir "aidé et encouragé" des rebelles en Sierra Leone voisine à commettre des exactions effroyables à l'encontre de la population civile, de 1996 à 2002. Les crimes des rebelles, caractérisés par une atroce "signature" consistant à couper les bras et les jambes de leurs victimes, ainsi qu'à forcer des enfants à exécuter leurs parents, figurent parmi les crimes les plus cruels sur lesquels j'ai enquêté.

Par ce verdict, Charles Taylor devient le premier ex-chef d'État condamné par un tribunal international pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité depuis les procès de Nuremberg de l'après-Seconde Guerre mondiale. Ce qui peut être d'une importance capitale à long terme, cependant, est que Charles Taylor n'a pas été condamné pour avoir opprimé son propre peuple, bien qu'il l'ait également fait, mais pour le soutien matériel qu'il a apporté à des forces perpétrant des abus dans un autre pays. À cet égard, le jugement rendu ne s'adresse pas seulement aux dictateurs de pacotille, mais aussi aux dirigeants des pays qui mènent des guerres par factions interposées en octroyant à leurs États satellites ou à leurs alliés rebelles les moyens de perpétrer des atrocités.

Après une jurisprudence bien établie par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, le TSSL vient de préciser que le fait d'"aider et encourager" exige que l'accusé fournisse "une aide, un encouragement ou un soutien moral pratique ayant un effet important sur la perpétration du crime". L'accusé devait savoir que ses actes "aideraient l'auteur à commettre le crime" ou, du moins, devait avoir conscience "de l'importante probabilité" que ses actes pourraient constituer une aide.

Dans l'affaire Charles Taylor, le tribunal a conclu qu'il avait connaissance des actes commis à l'encontre des civils par ses alliés sierra léonais "et de leur propension à commettre des crimes". Pourtant, a indiqué le tribunal, Charles Taylor a continué à expédier des armes aux rebelles et leur a fait part d'un soutien politique et moral.

Cette situation peut s'apparenter à celle d'un homme armé pris dans un accès de folie meurtrière à qui l'on donnerait de plus en plus de munitions.

Il est frappant de voir que le même raisonnement juridique pourrait s'appliquer à ceux qui, à Washington, Moscou, Paris ou ailleurs, fournissent ou ont fourni une assistance militaire à des forces perpétrant des abus à l'autre bout du monde. Prenons, par exemple, le cas de l'ancien Secrétaire d'État américain Henry Kissinger et du Timor oriental. Des documents rendus publics en 2001 ont révélé qu'après la déclaration d'indépendance du Timor vis-à-vis du Portugal en 1975, Henry Kissinger et le président Gerald Ford, craignant que le nouveau pays ne devienne un avant-poste communiste, avaient donné leur feu vert au président indonésien Suharto pour envahir l'île lors d'une réunion à Jakarta la veille de l'invasion.

Les États-Unis fournirent alors à l'armée indonésienne 90% de ses armes et Henry Kissinger lui-même décrivit leur relation comme celle de "donateur-client". Alors que le bilan humain de l'invasion s'élevait à des dizaines de milliers de civils morts et que les rapports faisant état d'atrocités s'accumulaient, Henry Kissinger veilla à ce que les armes américaines continuent d'être acheminées jusqu'aux forces d'invasion, malgré les restrictions imposées par le Congrès américain. On estime à entre 120 000 et 200 000 le nombre de personnes décédées du fait de l'action militaire, de la faim ou de la maladie.

Ce raisonnement pourrait également s'appliquer aux actuels dirigeants russes s'il s'avérait qu'ils ont donné au président syrien Bachar al-Assad les moyens de massacrer son propre peuple. Pendant longtemps, la Russie a fourni à la Syrie la grande majorité de son arsenal militaire. Cependant, même après le début en janvier 2011 d'une répression de plus en plus brutale, allant jusqu'au bombardement de villes syriennes à l'artillerie lourde, les exportations d'armes et de munitions russes continuent. Alors que les diplomates russes prétendent que les armes ne servent qu'à des fins défensives, d'autres observateurs affirment que parmi ces armes figurent, par example, des fusils pour tireur d'élite comme ceux utilisés par les forces du gouvernement syrien contre les protestataires.

Bien entendu, il est difficile aujourd'hui d'imaginer une procédure pénale contre un dirigeant russe ou américain devant un tribunal international. Aucun des deux pays n'a ratifié à ce jour le statut de la Cour pénale internationale (CPI) et tous deux peuvent opposer leur veto à toute saisine de la CPI par le Conseil de sécurité. Malheureusement, les puissants, et ceux qu'ils protègent, sont encore à l'abri d'une architecture judiciaire internationale en voie de développement.

Néanmoins, le jugement rendu à l'encontre de Charles Taylor devrait donner matière à réflexion non seulement aux dirigeants qui tuent leur propre peuple, mais aussi à ceux qui les arment et les soutiennent.

Reed Brody est conseiller juridique et porte-parole pour Human Rights Watch à Bruxelles.

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.