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Un moment fort pour le mouvement féministe en Libye

Publié dans: The Daily Beast

Lors d’une soirée chaude à Tripoli, dans une pièce avec vue sur la Méditerranée, quelques centaines de femmes libyennes se sont réunies ce mois-ci à l'occasion de la première conférence sur les droits de la femme depuis la chute de Mouammar Kadhafi. Elles ont discuté des moyens de faciliter la participation des femmes au nouveau gouvernement, du rôle de la charia et de la nécessité d’abolir les lois discriminatoires à leur égard dans le domaine du mariage.

Au début, il semblait que cette conférence de militantes des droits des femmes ne serait qu'un événement tranquille, mais un soir, la réunion a connu un coup de théâtre. Vers 17h00, sans tambour ni trompette, le président du Conseil national de transition, Mustafa Abdeljalil, a fait son entrée dans la salle de conférence, flanqué d'autres membres du CNT, de membres du Conseil de Tripoli et du ministre chargé du Renforcement des capacités, Farage Sayeh. Il y a eu un moment de silence total. Puis des femmes ont commencé à applaudir alors que Mustafa Abdeljalil prenait la parole. Et cette fois, contrairement à son discours tristement célèbre du jour de la Proclamation de la libération de la Libye, dans lequel il n'avait pas reconnu le rôle joué par les femmes dans la révolution et avait déclaré que la polygamie serait de nouveau légalisée, Abdeljalil a pris soin d'énumérer les nombreuses manières dont les femmes ont soutenu et même mené la révolution.

Abdeljalil a affirmé que les femmes libyennes pouvaient s'attendre à jouir des mêmes droits que les hommes et à jouer un rôle important dans le gouvernement, déclarant: “Nous prévoyons que les femmes participeront de manière importante à l'avenir de ce pays.”

De nombreuses femmes, jeunes et âgées, originaires de Tripoli, de Benghazi ou des montagnes de l'ouest, certaines portant le foulard, d'autres en jeans et chaussures de sport, se sont ensuite bousculées pour accéder au micro et bombarder de questions Mustafa Abdeljalil. Pendant près d'une heure, elles ont réprimandé le dirigeant de leur pays nouvellement libéré pour ses déclarations sur la polygamie, lui ont demandé s'il inscrirait dans la nouvelle constitution un quota de représentation féminine au sein des institutions et lui ont rappelé, à plusieurs reprises, que les femmes ont un rôle clé à jouer dans la reconstruction de la Libye. Abdeljalil a écouté calmement et patiemment, a pris des notes et a répondu à beaucoup de questions. Il a expliqué qu'il n'était pas particulièrement en faveur de la polygamie et qu'il voulait entendre le point de vue des femmes avant qu'aucune décision ne soit prise.

Alors qu'il répondait aux questions, une agitation soudaine s'est produite au fond de la salle. Le nouveau Premier ministre, Abdulrahmin el-Keeb, venait d'arriver. Puis l'un après l'autre, sont entrés les ministres de la Justice, de la Sécurité et de l'Information qui, tous, ont évoqué la part vitale que les femmes ont prise dans la révolution et affirmé le rôle qu'elles devaient jouer désormais. Le ministre de la Justice, Mohammed AIlagi, est allé jusqu'à dire qu'il soutiendrait l'idée d'un quota de femmes au sein du gouvernement et qu'au moins un des trois postes gouvernementaux les plus importants devait être attribué à une femme. A ce stade des débats, le Conseil national de transition au complet était assis à une table installée à la hâte sur le devant de la salle. C'est alors qu'est arrivé l'ancien Premier ministre Mahmoud Jibril.

Des chants et des slogans se sont alors élevés, les femmes célébrant la portée de ce qui était en train de se passer dans une salle de conférence ordinaire, par cette soirée de novembre. Les Libyennes se sont agglutinées autour de la table pour écouter Jibril affirmer son engagement personnel en faveur des droits des femmes, posant pour des photos prises avec leurs téléphones mobiles et écoutant les femmes qui appelaient leurs familles et leurs amis pour leur faire partager l'événement.

Le lendemain matin, la conférence a repris son travail. L'enthousiasme s'était partiellement apaisé et les participantes parlaient désormais de prendre les politiciens au mot, pour qu'ils honorent les nobles promesses qu'ils venaient de faire.

A la fin de la conférence, les femmes ont présenté aux dirigeants du Conseil national de transition une liste de recommandations, rappelant les défis majeurs auxquels fait face la Libye aujourd'hui. Elles ont exhorté les dirigeants à adopter de nouvelles lois qui protègent les femmes de la violence et leur garantissent accès à la justice, aux soins médicaux et à un soutien psychologique. Elles ont demandé au CNT de promouvoir l'égalité entre les sexes et d'encourager la possibilité pour les femmes de participer à la vie publique. Et elles ont rappelé au gouvernement la nécessité d'investir dans l'autonomisation économique des femmes. Pour finir, les participantes ont demandé au CNT aux nouveaux dirigeants de la Libye de signer le plus tôt possible les principaux accords internationaux sur les droits humains.

Ainsi, cet événement qui avait commencé comme une modeste tentative de mobiliser les femmes est devenu un moment de l'Histoire où on a pu entrevoir une Libye nouvelle, dans laquelle les droits de tous – et de toutes - seraient protégés et respectés. Les femmes de Libye venaient de présenter l'idée qu'elles se faisaient d'un nouveau départ pour leur pays et leurs dirigeants étaient venus les écouter. Maintenant, elles doivent faire pression sur ces dirigeants pour qu'ils transforment leurs belles paroles en réalité.

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Liesl Gerntholtz est directrice de la division Droit des femmes au sein de Human Rights Watch.

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