(New York, le 14 septembre 2011) – Le gouvernement birman doit libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers politiques détenus en Birmanie pour démontrer qu’il est véritablement engagé dans le processus de réforme dont il se vante, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le 13 septembre 2011, Human Rights Watch a envoyé au Président Thein Sein une pétition de plus de 3 000 signatures de personnes demandant la libération d’environ 2 000 prisonniers politiques détenus dans le pays.
« Les mesures de réforme annoncées par le gouvernement birman et saluées par la communauté internationale ne se sont pas encore traduites en actes », a déclaré Elaine Pearson, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « La libération de ces quelque 2 000 prisonniers politiques serait un indicateur éloquent de la sincérité du gouvernement. »
Malgré des appels déjà anciens de la part du Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, et de nombreux gouvernements du monde entier, aucune libération significative de prisonniers politiques condamnés à des peines de longue durée n’a été constatée en Birmanie depuis 2005. Le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la Birmanie, en date du 5 août 2011, indique que « Le maintien en détention de tous les prisonniers politiques restants continuera d’assombrir et de saper toute confiance dans les efforts du gouvernement ». Le 16 mai, une « amnistie » qui a réduit d’une année toutes les condamnations pénales n’a abouti qu’à la libération de 77 prisonniers politiques, selon les estimations.
En août, Tomás Ojea Quintana, le Rapporteur spécial sur la situation des droits humains au Myanmar (Birmanie), a mené sa première mission d’enquête dans le pays depuis février 2010. Tout en notant que ses rencontres officielles laissaient transparaître des signes de changements apparemment positifs, Quintana a souligné que la libération des prisonniers politiques était une « mesure centrale et nécessaire vers la réconciliation nationale ».
Quintana s’est entretenu avec des prisonniers politiques de la prison d’Insein, à Rangoon, auprès desquels il a recueilli des « témoignages de privation prolongée de nourriture et de sommeil lors des interrogatoires, de passages à tabac, de brûlures sur diverses parties du corps, notamment les organes génitaux », et d’autres formes de tortures et de mauvais traitements. Dans toutes les rencontres avec des interlocuteurs internationaux, les responsables birmans ont constamment nié détenir des prisonniers politiques, et ont maintenu que les personnes incarcérées étaient des criminels de droit commun. Pourtant, après la visite de Quintana, plusieurs membres de la Chambre basse du Parlement de Birmanie ont proposé une amnistie générale pour tous les prisonniers politiques.
Le lendemain de la visite de Quintana, Nay Myo Zin, un ex-officier de l’armée birmane a été condamné à huis-clos à dix ans d’emprisonnement en vertu de la loi sur les transactions électroniques, pour avoir critiqué les efforts de réconciliation nationale du Gouvernement. Les personnes qui critiquent le Gouvernement continuent d’être soumises à l’arrestation arbitraire et la torture pendant les interrogatoires.
« Même s’il s’agit d’un nouveau gouvernement, les autorités birmanes continuent d’emprisonner des gens qui ne font que tenir des discours pacifiques », a souligné Elaine Pearson. « Si ce gouvernement veut améliorer sa crédibilité en matière de démocratie, il devra écouter ceux qui, au Parlement, appellent avec force à la libération de tous les prisonniers politiques. »
Le gouvernement birman s’est lancé depuis le mois de mars dans une campagne de réformes qui promet des politiques sociales et économiques progressistes, des efforts pour éradiquer la corruption, et la formation d’une Commission nationale des droits humains. Il s’est engagé dans un discours positif sur la promotion des droits humains, notamment avec un appel – non officiel – aux dissidents politiques exilés, pour qu’ils reviennent dans le pays, et des promesses d’ouverture de conversations de paix avec les groupes ethniques. Aung San Suu Kyi, dirigeante de l’opposition, a rencontré pour la première fois le président Thein Sein en août, et le Gouvernement a reçu les visites de hauts représentants des Nations Unies et de l’Union européenne. Derek Mitchell, envoyé spécial des États-Unis et coordinateur politique pour la Birmanie, récemment confirmé, rencontre actuellement en Birmanie des personnalités gouvernementales et de l’opposition.
Human Rights Watch appelle instamment les Nations Unies, l’Association des nations de l’Asie du Sud-est (ASEAN) et les pays concernés à demander au Gouvernement birman de faire en sorte que ses discours se traduisent en actes avec, pour commencer, la libération de tous les prisonniers politiques. L’ONU, l’ASEAN, les États-Unis d’Amérique, l’Union européenne, la Chine et l’Inde recevront aussi copie de la pétition de Human Rights Watch.
« Malgré quelques promesses gouvernementales, les droits humains du peuple birman n’ont pas réellement progressé », a conclu Elaine Pearson. « En ce qui concerne les droits humains en Birmanie, la barre a été placée si bas que la moindre gesticulation est confondue avec une action authentique. La libération des prisonniers politiques est un point de départ essentiel. »
Contexte
La campagne de Human Rights Watch “Behind Bars: Free Burma's Political Prisoners” (« Derrière les barreaux: Libérez les prisonniers politiques birmans ») a pour objectif la libération de tous les détenus politiques de Birmanie, dont le nombre est aujourd’hui estimé à 2 000, soit le double de celui de 2007. Il faut citer, parmi les militants importants que cette campagne à fait connaître et qui continuent de purger de longues peines:
- Zargana, le comédien le plus célèbre de Birmanie, qui purge une peine de 35 ans d’emprisonnement pour avoir critiqué la lenteur de la réaction du gouvernement militaire au cyclone Nargis;
- U Gambira, un moine âgé de 32 ans, l’un des dirigeants des protestations pacifiques d’août et septembre 2007, qui purge actuellement une peine de 63 ans d’emprisonnement;
- Su Su Nway, une militante pour les droits du travail, qui purge une peine de huit ans et demi d’emprisonnement pour avoir brandi une banderole critiquant le Gouvernement birman devant l’hôtel où était descendu un envoyé spécial des Nations Unis;
- Min Ko Naing, ancien leader étudiant, purgeant une peine de 65 ans d’emprisonnement; et
- Nay Phone Latt, un blogueur âgé de 30 ans qui a utilisé son blog pour diffuser des nouvelles à propos des manifestations de 2007 et a ensuite été condamné à 12 ans d’emprisonnement.
Sur les près de 2 000 prisonniers toujours incarcérés, on compte environ 348 membres de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), 222 moines bouddhistes ayant participé aux manifestations pacifiques de 2007, 310 militants de groupes nationaux ethniques, et 38 membres du groupe Génération étudiante 88. En dépit de quelques affirmations selon lesquelles les restrictions imposées aux médias se seraient relâchées depuis les élections de 2010, la Birmanie maintient en prison quelque 23 journalistes, dont 17 reporters ou vidéo-journalistes de Democratic Voice of Burma.