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États-Unis: Engagement ferme vis-à-vis de la RD Congo

Lettre adressée à Hillary Clinton, Secrétaire d’État des États-Unis d'une coalition de 77 organisations

Madame la Secrétaire d'État,

Nous, les organisations soussignées, vous écrivons pour exhorter le gouvernement des États-Unis et vous-même à prendre les mesures appropriées pour renforcer et améliorer la coordination de la diplomatie et de l'aide américaines auprès de la République démocratique du Congo afin de prévenir une nouvelle détérioration de la situation dans ce pays. En particulier, nous vous demandons de nommer un nouvel envoyé spécial des États-Unis chargé de développer et de mettre en œuvre une stratégie globale pour la région des Grands Lacs en Afrique. Ceci est particulièrement important étant donné que les défis auxquels la RD Congo est confrontée ont des répercussions considérables dans toute la région, et qu'une coordination efficace entre les partenaires internationaux, le gouvernement congolais et les pays voisins est absolument nécessaire.

Nous avons accueilli avec satisfaction vos appels à une action concertée en faveur des victimes du conflit en RD Congo. Toutefois nous pensons que la région des Grands Lacs exige un engagement spécial de la part des États-Unis allant au-delà d'une simple représentation diplomatique.

La nomination d'un envoyé spécial des États-Unis dans la région, directement placé sous votre autorité, serait d'une importance capitale pour faire face à plusieurs problématiques transfrontalières clés, notamment le rôle politique, économique et militaire considérable du Rwanda dans l'est de la RD Congo ; la présence de membres de groupes d'opposition armés burundais dans la province du Sud-Kivu ; le déploiement des troupes de l'armée ougandaise qui poursuivent les rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur dans le nord de la RD Congo ; ainsi que les défis politiques et humanitaires persistants posés par les dizaines de milliers de personnes déplacées internes et de réfugiés qui se sont enfuis dans les pays de la région des Grands Lacs.

Tout représentant chargé de développer et de mettre en œuvre une stratégie pour la région des Grands Lacs doit avoir pour mandat de coordonner les initiatives de différents départements du gouvernement américain, avec l'aide d'un personnel suffisant et expérimenté. Sachant qu'un envoyé spécial dans la région des Grands Lacs devra, sans aucun doute, faire face à de nombreuses priorités concurrentes, nous lançons un appel au gouvernement américain pour qu'il canalise ses efforts sur les aspects suivants :

1. Insister sur la tenue d'élections libres, justes et crédibles

Des élections présidentielles et parlementaires libres, justes et crédibles, actuellement prévues pour novembre 2011, seront cruciales pour la stabilité en RD Congo. Pourtant, nous avons déjà recueilli des informations faisant état d'irrégularités au niveau de l'inscription des électeurs et signalant des forces de sécurité du gouvernement prenant pour cible des membres de l'opposition, des journalistes et des activistes de la société civile, réprimant de fait la liberté d'expression et d'assemblée à travers le pays, de Kinshasa aux provinces des deux Kivu. Le gouvernement américain, en coopération avec d'autres partenaires étrangers, doit faire entendre sa voix sans tarder pour condamner ces entraves vis-à-vis des manifestations pacifiques ou ces restrictions de la liberté d'expression en cette période pré-électorale, et pour dénoncer tout signe d'irrégularité électorale.

Nous demandons au gouvernement américain de diriger les efforts internationaux pour apporter un appui pratique et financier aux observateurs électoraux de la société civile congolaise et internationale et pour permettre à ces observateurs de se mettre en place bien avant les élections et de rester aussi longtemps que nécessaire après le vote. De plus, les États-Unis devraient veiller à ce que la mission des Nations Unies en RD Congo, la MONUSCO, remplisse son mandat qui consiste à apporter une aide à la logistique, la surveillance et à d'autres aspects du processus électoral, notamment en mettant en œuvre un programme de formation de la police pour éviter les violences pré-électorales et électorales et pour protéger les bureaux de vote, comme ce fut le cas pendant les élections 2006.

2. Coordonner l'aide américaine et multilatérale apportée au gouvernement congolais et en définir les conditions

Dans le cadre d'une stratégie revitalisée menée par l'envoyé spécial, de concert avec les autres partenaires étrangers, le gouvernement américain doit indiquer clairement, de manière publique et privée, au gouvernement congolais qu'il apportera un appui politique et une aide non humanitaire directe au gouvernement congolais sous réserve de la réalisation d'objectifs et de résultats spécifiques, établis et convenus à l'avance. Ces derniers doivent inclure des mesures liées à la réforme de la sécurité, au respect des droits humains, à une gouvernance correcte et à la mise en place de services efficaces. Le soutien américain à l'aide accordée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international au gouvernement congolais doit aussi être coordonné avec les autres pays donateurs et soumis à des conditions similaires.

3. Intensifier les efforts pour protéger les civils, notamment dans le nord et l'est de la RD Congo

Une nouvelle étude publiée ce mois-ci dans l'American Journal of Public Health estime que plus de 400 000 femmes et filles ont été victimes de violences sexuelles au Congo au cours d'une période de 12 mois en 2006 et 2007 - une statistique annuelle beaucoup plus élevée que prévue. À l'heure actuelle, plus de 1.7 million de personnes sont toujours déplacées du fait de l'insécurité dans l'est de la RD Congo. Depuis l'accord de paix de mars 2009 réunissant 23 parties au conflit dans l'est du pays, les opérations militaires se poursuivent entre l'armée congolaise et des groupes armés congolais et étrangers. Toutes les parties au conflit, y compris l'armée régulière et les forces rebelles récemment unifiées, sont responsables de violations fréquentes et graves des droits humains. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), groupe armé composé principalement de Hutus rwandais, sont responsables de nombreux abus contre les populations civiles dans l'est de la RD Congo, à l'instar de plusieurs autres groupes armés.

Des efforts diplomatiques plus poussés de la part des États-Unis auprès des autorités congolaises et des gouvernements voisins, ainsi qu'un appui renforcé des programmes efficaces de démobilisation et de réintégration des groupes armés congolais et étrangers, sont indispensables pour contribuer à l'instauration d'une paix durable et pour protéger les civils contre toute attaque dans les provinces de l'est de la RD Congo.

Dans le nord de la RD Congo, le groupe rebelle ougandais appelé Armée de résistance du Seigneur (Lord's Resistance Army, LRA) continue de perpétrer des violences horribles contre les civils. Nous vous demandons de déployer pleinement l'influence diplomatique des États-Unis pour exiger une présence plus importante et plus efficace des forces internationales de maintien de la paix dans les zones d'action de la LRA et pour soutenir le déploiement d'unités spéciales capables d'arrêter les hauts dirigeants de la LRA recherchés pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale.

Dans un contexte plus large, nous appelons le gouvernement américain à user de son influence auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies pour exiger l'engagement proactif de le mission des Nations Unies visant à protéger les civils congolais, notamment davantage de patrouilles par les troupes de maintien de la paix, d'interprètes, des hélicoptères et des ressources militaires essentielles supplémentaires, une interprétation plus souple et plus affirmée des règles d'engagement en accord avec la loi internationale, des enquêtes régulières sur les droits humains consignées dans des rapports publics et des efforts accrus pour favoriser les arrestations et les procès contre les violateurs des droits humains de haut niveau.

4. Renforcer le soutien pour la justice et la réforme du secteur de la sécurité

Depuis les quinze dernières années, la violence en RD Congo découle en partie de l'impunité persistante et d'un manque d'efforts efficaces pour réformer et améliorer le comportement des forces de sécurité congolaises. Le gouvernement américain devrait prendre l'initiative dans l'élaboration d'une politique commune des bailleurs de fonds axée sur la conclusion d'accords avec toutes les institutions judiciaires et de sécurité congolaises pour instaurer un programme de réforme géré par le gouvernement congolais. Cette politique suppose l'établissement de critères clairs mesurables, en lien avec la responsabilité, la transparence, l'indépendance et l'administration efficace de ces institutions. La mission des Nations Unies ne devrait logiquement envisager l'éventualité de son retrait que lorsque l'État congolais sera capable de s'acquitter de ses fonctions les plus basiques, y compris la mise en place d'un système judiciaire juste et efficace et la protection des civils par du personnel militaire et policier compétent et correctement payé.

Le gouvernement congolais a régulièrement promu des officiers de l'armée ayant des antécédents clairement connu d'atteintes graves aux droits humains. Parmi ceux-ci, on compte le colonel Innocent Zimurinda, dont le nom a été ajouté sur la liste des sanctions des Nations Unies juste avant d'être promu en décembre dernier, et Bosco Ntaganda, ancien chef de guerre devenu général d'armée, qui est sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale et qui continue à commettre des abus.

Le gouvernement américain devrait exercer son autorité pour faire pression sur le gouvernement congolais pour que ce dernier arrête et traduise en justice les auteurs présumés d'atteintes aux droits humains. En particulier, nous encourageons vivement les États-Unis à travailler de concert avec le gouvernement congolais pour développer une stratégie visant à arrêter Bosco Ntaganda et à impliquer le gouvernement rwandais sur ce problème, en raison de l'appui du Rwanda à Bosco Ntaganda et des relations proches entre les gouvernements rwandais et américain. Les États-Unis devraient soutenir fermement la création de mécanismes de vérification (« vetting ») pour écarter les soldats et les officiers de police ayant des antécédents d'atteintes graves aux droits humains et pour sélectionner les nouvelles recrues. Les États-Unis devraient également surveiller de près les unités de l'armée congolaise en raison de violations présumées et appliquer la loi Leahy pour suspendre l'assistance aux unités impliquées dans des violations graves.

Nous apprécions particulièrement les efforts importants réalisés par Stephen Rapp, ambassadeur extraordinaire des États-Unis sur les crimes de guerre, pour soutenir l'établissement d'une cour mixte spécialisée, avec le personnel congolais et international, afin de juger les crimes de guerre perpétrés au Congo depuis 1990. Nous demandons instamment au gouvernement américain de poursuivre son étroite coopération avec les autorités congolaises, la société civile et les autres pays donateurs dans le but de garantir l'indépendance, la crédibilité et l'efficacité de cette cour.

5. Encourager la démilitarisation du secteur minier congolais et fermement mettre en application les dispositions de la loi Dodd-Frank sur les « minerais du sang » de la RD Congo

En s'appuyant sur la stratégie du Département d'État concernant les « minerais du sang » présentée au Congrès, le gouvernement américain devrait investir dans la traçabilité et les contrôles préalables des minerais pour réorienter les incitations commerciales dans la région, en écartant tout conflit, pour un développement pacifique. Les États-Unis devraient également soutenir les efforts congolais pour intenter un procès contre les responsables de l'implication militaire illégale dans le secteur minier. Le gouvernement américain devrait développer un plan de mise en œuvre incluant une surveillance indépendante et des sanctions applicables à l'intention des fonctionnaires des gouvernements et des entreprises congolais et étrangers qui contournent les réglementations. Une surveillance devrait être réalisée par plusieurs parties prenantes, y compris des représentants de la société civile.

 

Les États-Unis ont un rôle essentiel à jouer dans l'instauration d'une paix véritable et durable dans la région et dans la transition d'une culture de l'impunité vers une culture de l'obligation de rendre des comptes en RD Congo. Nous espérons que vous interviendrez ainsi en nommant un envoyé spécial dans la région des Grands Lacs chargé de se concentrer sur les priorités décrites ci-dessus.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Secrétaire d'État, l'expression de nos sentiments distingués.

Organisations américaines et internationales :
A Thousand Sisters; ActionAid International - DRC; Africa Faith and Justice Network (AFJN); Eastern Congo Initiative (ECI); Enough Project; Falling Whistles; Global Centre for the Responsibility to Protect; Global Witness; Human Rights Watch; ICCO; Invisible Children; Jewish World Watch; MDF Afrique Centrale, Training and Consultancy (MDF-AC); Open Society Initiative for Southern Africa (OSISA); Resolve; Responsible Sourcing Network; V-Day; War Child Canada/USA; War Child Holland; War Child UK; Women of Africa - RDC

Organisations congolaises :
Action de Promotion et d'Assistance pour l'Amélioration du Niveau de Vie des Populations (APANIVIP); Action des Chrétiens Activistes des Droits de l'Homme à Shabunda (ACADHOSHA); Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture au Nord-Kivu (ACAT/NK); Action Globale pour la promotion Sociale et la paix (AGPSP); Action Humanitaire pour le Développement Intégral (AHDI); Action Pour Enfants Oubliés (APEO); Action pour la Promotion et la Défense des Droits des Personnes Défavorisées (APRODEPED); Action Sociale pour la Paix et le Développement (ASPD); Actions pour la Promotion Socio-Économique des Ménages (APROSEM); Appui aux Femmes Démunies et Enfants Marginalisés (AFEDEM); Association Africaine de Défense des Droits de l'Homme (ASADHO); Association des Femmes Ménagères pour le Développement (AFEMED); Association des Femmes Paysannes du Nord-Kivu (AFEPANOKI); Association des Jeunes Engagés pour le Développement et la Santé (AJDS); Association Groupe Féminin Nyamulisa; Bénévolat pour l'Enfance au Congo (Benenfance Congo); Blessed Aid; Campagne Pour la Paix (CPP); Centre d'Etudes et de Formation Populaire pour les Droits de l'Homme (CEFOP/DH); Centre de Recherche sur l'Environnement, la Démocratie et les Droits de l'Homme (CREDDHO); Centre d'Observation des Droits de l'Homme et d'Assistance Sociale (CODHAS); Centre pour la Justice et la Réconciliation (CJR); Coalition Congolaise pour la Justice Transitionnelle (CCJT); Collectif des Organisations Solidaires du Congo-Kinshasa (COJESKI); Défense et Assistance aux Femmes et Enfants Vulnérables en Afrique (DAFEVA); Encadrement des Femmes Indigènes et des Ménages Vulnérables (EFIM); Équipe de Soutien au Développement Intégral Humanitaire et de la Biodiversité (ESDIHB); Fondation Points de Vues des Jeunes Africains pour le Développement (FPJAD); Groupe d'Associations de Défense des Droits de l'Homme et de la Paix (GADHOP); Groupe Justice et Libération (GJL); Groupe Lotus; Heal Africa; Initiation Femme Debout pour la Justice (IFDJ); Initiative Congolaise pour la Justice et la Paix (ICJP); Justice Plus; Ligue des Jeunes des Grands Lacs (LJGL); Ligue pour la Défense et la Vulgarisation des Droits de l'Homme (LDVDH); Maniema Libertés (MALI); Observatoire Congolais des Droits Humains (OCDH); Observatoire Congolais des Prisons (OCP); Organisation pour la Défense des Droits de l'Enfant (ODDE - DRC); Pax Christi - Goma; Pax Christi - Kikwit; Programme d'Appui à la Lutte Contre la Misère (PAMI); Promotion et Appui aux Initiatives Féminines (PAIF); Réseau Provincial des Organisations Non Gouvernementales de Droits de l'Homme au Congo (REPRODHOC); Solidarité des Volontaires pour l'Humanité (SVH); Solidarité Féminine pour la Paix et le Développement Intégral (SOFEPADI); Solidarité pour la Promotion Sociale et Paix (SOPROP); Synergie des Femmes pour les Victimes des Violences Sexuelles (SFVS); Synergie pour l'Assistance Judiciaire aux Victimes de Violations des Droits Humains au Nord-Kivu (SAJ); Union d'Action pour les Initiatives de Développement (UAID); Union de Familles pour la Recherche de la Paix (UFAREP); Union Paysanne pour le Développement Rural Intégré (UPADERI); Union pour l'Émancipation de la Femme Autochtone (UEFA); Unité des Volontaires pour le Développement Social (UVDS)

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