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Maroc : Le gouvernement devrait lever les restrictions sur les noms amazighs (berbères)

Les agents de l’Etat civil refusent d’enregistrer les nouveau-nés dont les noms « ne sont pas marocains »

(Washington, DC, le 3 septembre 2009) - Le Maroc devrait cesser de s'opposer au droit de ses citoyens à choisir des noms amazighs pour leurs enfants, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

De nombreux Marocains vivant dans des villes et villages dans le royaume et à l'étranger et qui ont choisi des prénoms amazighs pour leurs enfants ont fait face à un refus d'enregistrer ces noms de la part des autorités locales tenant les registres d'Etat civil. Le 16 juin 2009, Human Rights Watch a adressé une lettre au ministre de l'Intérieur, Chekib Benmoussa, en lui faisant part de cinq tels cas et en sollicitant des explications. Cette lettre est restée sans réponse.

« Le Maroc a pris des mesures pour la reconnaissance des droits culturels des amazighs », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient Afrique du Nord à Human Rights Watch. «  Il faut maintenant que le droit des parents à choisir le nom de leurs enfants soit reconnu. »

La loi marocaine sur les registres civils stipule que le prénom doit avoir un « caractère marocain ».  Les employés locaux semblent interpréter cette règle comme n'autorisant que les prénoms Arabes-Musulmans, bien que le peuple amazigh soit aussi un peuple autochtone marocain. La loi donne le droit aux parents de faire appel d'un refus en justice et auprès de la Haute commission de l'Etat Civil. Ces dernières années, la commission a statué sur des dizaines de noms amazighs, européens ou autres prénoms non arabo- musulmans, en acceptant certains et en en rejetant d'autres.

Les cinq cas documentés dans la lettre de Human Rights Watch, impliquant des résidents du Maroc ainsi que des émigrés vivant à l'étranger, ont finalement trouvé une issue victorieuse pour les parents. Cependant, pour voir leurs cas aboutir, les parents ont du faire preuve de patience face à des délais bureaucratiques considérables et de longues procédures d'appel. Certains ont également subit des questions hostiles ou humiliantes de la part de fonctionnaires marocains. Enfin, ils ont dû supporter l'insécurité d'avoir un enfant sans identité légale durant plusieurs mois.

« Nous sommes heureux que ces parents aient remporté leur combat, mais à ce moment spécial de leur vie, aucun couple ne devrait avoir à affronter son gouvernement pour pouvoir donner un prénom à son enfant », a ajouté Mme Whitson.

Le 26 août, une cour de première instance à Tahla (province de Taza) a donné son accord pour un nom amazigh dans un sixième cas. Abdallah Bouchnaoui et Jamila Aarrach ont été autorisés à prénommer leur fille âgée de cinq mois « Tiziri », ce qui signifie « lune » en Tamazight, le langage amazigh. Ce couple de Zerarda, dans le Moyen Atlas, a du supporter des mois d'incertitude avant de remporter cette victoire.

Pour un septième couple, l'incertitude continue. Le 11 mars, Rachid Mabrouky est venu à l'Etat civil de Saâda, un arrondissement de Marrakech, pour faire enregistrer sa fille « Gaïa », âgée de deux jours. M. Mabrouky a déclaré à Human Rights Watch que l'employé de service a refusé d'accepter le prénom, sous le prétexte que celui-ci « pas marocain ». M. Mabrouky s'est alors adressé aux services d'Etat civil de la préfecture, où on lui a répondu la même chose.

Lorsqu'il a expliqué que le prénom « Gaïa » était amazigh et donc marocain, l'employé de service a persisté dans son refus, s'exclamant « Vous, les Amazighs, êtes tous des fanatiques », a indiqué M. Mabrouky. M. Mabrouky et sa femme, Lucile Zerroust, qui est française, ont entamé une procédure devant une cour administrative, où le cas est toujours en suspens. « Gaïa » est le prénom d'un ancien prince berbère.

Les parents d'un enfant qui n'est pas enregistré par l'Etat civil peuvent se retrouver confrontés à des obstacles lors de demandes de passeport pour l'enfant, dans les procédures de remboursement par les assurances médicales d'Etat, ou pour l'accès à d'autres services. La plupart des parents qui persistent à demander au gouvernement d'enregistrer les noms amazighs, sont politiquement actifs. Ils affirment que pour chaque couple revendicateur de leurs droits, d'autres évitent de donner des prénoms amazighs à leurs enfants, craignant un refus humiliant des autorités locales et des problèmes administratifs par la suite.

Le peuple amazigh est un peuple indigène d'Afrique du Nord, majoritairement musulman. Aujourd'hui, les plus importantes populations amazighes se trouvent au Maroc et en Algérie, où certains sont activement engagés dans la lutte pour leurs droits culturels, linguistiques et politiques. En 2001, le roi du Maroc Mohammed VI a crée un institut royal de la culture amazigh et a mis en place un programme d'enseignement de la langue Tamazight à l'école.

Plusieurs amazighs marocains ont rapporté à Human Rights Watch que lorsque les agents de l'Etat civil se voient présenter des prénoms peu fréquents, ils consultent des listes périodiquement mises à jour par la Haute commission de l'Etat civil. Ces listes comportent des dizaines de prénoms non-arabo-musulmans, chacun étant accompagné de la mention « accepté » ou « refusé ». Human Rights Watch dispose de copies de certaines de ces listes. Selon la loi, la commission est composée de représentants des ministères de l'Intérieur et de la Justice et de l'historien officiel du royaume.

La jurisprudence internationale affirme la liberté à choisir son prénom. En 1994, dans l'affaire Coeriel et Aurik c. Pays-Bas,  le comité pour les droits de l'Homme des Nations unies a statué que  « l'article 17 [du Pacte international sur les droits civils et politiques] prévoit notamment que nul ne sera l'objet d'immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance. Le Comité considère que la notion de vie privée renvoie au domaine de la vie de l'individu où il peut exprimer librement son identité... [Ceci] comprend la protection contre les immixtions arbitraires ou illégales dans l'exercice du droit de choisir son nom et d'en changer. »

« A moins qu'un prénom ne soit manifestement offensif ou choquant, ou porte atteinte aux intérêts de l'enfant, il n'y a aucune justification à ce que les autorités restreignent la liberté des parents à pouvoir faire ce choix personnel et intime  - d'autant plus lorsque ces restrictions prennent la forme de discriminations ethniques », a ajouté Mme Whitson.

La lettre de Human Rights Watch au ministre de l'Intérieur Benmoussa, sollicitant des informations à propos des cas impliquant les prénoms de cinq enfants amazighs -Ayyur Adam, Massine, Sifaw, Tara, et Tin-Ass est en ligne aux adresses suivantes : https://www.hrw.org/node/85427 (en anglais); et https://www.hrw.org/node/85429 (en arabe).

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