(Moscou) – Les autorités russes devraient garantir que l'enquête sur les assassinats de Zarema Sadoulaïeva et de son époux Alik Dzhabrailov, deux activistes de la société civile tchétchène, sera à la fois rigoureuse et indépendante, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Pour pouvoir être qualifiée d'indépendante, cette enquête devra d'une part être sous le contrôle d'autorités fédérales et non locales, et d'autre part examiner la thèse de complicité des autorités locales en Tchétchénie, a ajouté Human Rights Watch.
Zarema Sadoulaïeva était la responsable de Save the Generation, une organisation non gouvernementale qui vient en aide aux enfants handicapés en Tchétchénie. Dans l'après-midi du 10 août 2009, Zarema Sadoulaïeva et Alik Dzhabrailov ont été enlevés par cinq hommes armés dans leur bureau situé à Grozny, la capitale de la Tchétchénie. Le lendemain, vers 16 h, leurs corps portant plusieurs blessures par balle ont été retrouvés dans la malle arrière de la voiture d'Alik Dzhabrailov aux abords de Grozny.
« C'est un crime odieux dont les auteurs devront être traduits en justice », a déclaré Holly Cartner, directrice de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Ces meurtres, perpétrés moins d'un mois après l'assassinat de Natalia Estemirova, démontrent clairement que toute personne qui essaie de venir en aide au peuple tchétchène risque sa vie. »
Les cinq hommes armés qui ont enlevé Zarema Sadoulaïeva et Alik Dzhabrailov se sont présentés comme des éléments des services de sécurité locaux; trois d'entre eux portaient des uniformes noirs. D'après un témoin, ils ont promis de ramener le couple dans les plus brefs délais.
Peu de temps après, plusieurs hommes sont revenus au bureau de l'organisation pour prendre le téléphone portable et la voiture d'Alik Dzhabrailov, et ont donné à un témoin un numéro de téléphone à appeler pour toute question. L Toutefois aucun appel à ce numéro n'a abouti, un message enregistré indiquant que la ligne se situait « hors de portée du réseau téléphonique ».
Selon l'agence de presse russe Interfax, un groupe de criminologues de la Commission d'enquête du parquet général de la Fédération de Russie a effectué une visite en Tchétchénie pour participer à l'enquête. Le ministre de la Justice Yuri Chaika a ordonné à Alexander Bastrykin, le chef du groupe, de se rendre immédiatement sur les lieux du crime. Selon les médias, le président tchétchène Ramzan Kadyrov déclarait en même temps avoir pris « personnellement le contrôle » de l'enquête.
« Tout comme le meurtre de Natalia Estemirova, il y a de sérieux motifs de soupçonner une complicité à haut niveau des autorités locales dans les assassinats de Zarema Sadoulaïeva et d'Alik Dzhabrailov », a affirmé Mme Cartner. « Cette thèse ne doit pas être exclue », a-t-elle ajouté.
Pour garantir une enquête indépendante, la responsabilité de celle-ci doit être entièrement confiée aux autorités fédérales, a déclaré Human Rights Watch. À aucun stade de l'enquête ne devra-t-elle être confiée, même en partie, aux autorités locales, et elle devra se dérouler sans aucune intervention ou tentative d'influence de la part du président tchétchène Kadyrov.
Human Rights Watch a également demandé aux autorités fédérales russes de protéger les témoins contre les risques d'enlèvements.
« Les témoins de violations des droits humains en Tchétchénie font trop souvent l'objet de menaces pour les réduire au silence », a déploré Mme Cartner. « Nous demandons au bureau du ministre de la Justice de protéger les témoins et leurs familles contre les risques d'enlèvement. »
Les assassinats de Zarema Sadoulaïeva et d'Alik Dzhabrailov portent à quatre le nombre de militants tchétchènes tués depuis janvier 2009. Outre le meurtre de Natalia Estemirova survenu le 15 juillet dernier, Stanislav Markelov, un éminent avocat des droits humains, a été lui aussi assassiné en janvier.
Human Rights Watch a exprimé sa profonde tristesse et présenté ses plus sincères condoléances à la famille et aux collègues de Zarema Sadoulaïeva et d'Alik Dzhabrailov.
Fondée en 2001, Save the Generation, l'association que dirigeait Zarema Sadoulaïeva, est une organisation non gouvernementale tchétchène qui offre des services de réhabilitation psychologique et physique aux enfants handicapés, aux orphelins et aux autres groupes sociaux vulnérables. L'organisation travaille aussi en étroite collaboration avec l'UNICEF, entre autres, pour offrir une formation sur les mines et promouvoir la protection des droits des personnes handicapées.
« Le gouvernement russe doit mettre un terme à cette série d'attaques de militants », a insisté Mme Cartner. « Les responsables russes doivent mener des enquêtes efficaces et minutieuses pour faire la lumière sur ces assassinats et aussi veiller à ce que les auteurs soient poursuivis et punis », a-t-elle conclu.