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Aux ministres des Affaires étrangères des États membres de l’Union européenne
Au Haut Représentant de l’Union européenne pour le CFSP, M. Javier Solana
À la Commissaire chargée des relations extérieures, Mme Benita Ferrero-Waldner
À la Représentante personnelle du SG/HR pour les Droits de l'Homme, Mme Riina Kionka

                      Bruxelles, le 18 juillet 2008

    Chers ministres des Affaires étrangères,
    Cher Haut Représentant,
    Chère Commissaire,
    Chère Représentante personnelle,

    Avant la réunion du Conseil d’association entre l’Union européenne et la Jordanie prévue pour le 23 juillet, Human Rights Watch et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme aimeraient porter votre attention sur cinq domaines dans lesquels la performance des droits de l’Homme en Jordanie est soit en régression ou en progrès limité face aux buts fixés et aux engagements entre l’UE et la Jordanie.

    L’Union européenne s’est engagée dans les années écoulées à travailler d’une manière plus soutenue avec la Jordanie, notamment avec l’adoption en janvier 2005 d’un plan d’action à l’intérieur du réseau de la politique européenne de voisinage ainsi qu’avec la constante augmentation de son assistance financière au pays durant les quatre dernières années. Pourtant, il manque au plan d’action sur le chapitre des droits de l’Homme des engagements concrets, mesurables et liés par le temps pour évaluer son application/mise en œuvre. Nous recommandons plus particulièrement la mise en place d’un mécanisme de contrôle/de surveillance systématique utilisant des critères en vue d’une évaluation future.

    Nous estimons qu’en vue du Conseil d’association, l’Union européenne devrait chercher à obtenir l’engagement de la Jordanie pour un changement notoire dans les domaines suivants où les lois, politiques et pratiques sont en conflit avec le droit international des droits de l’Homme:

      - liberté d’association et de réunion pacifique
      - torture dans le système pénitentiaire
      - détention administrative
      - abus lors du renforcement de la loi des services de renseignements
      - droits de la femme

    Nous vous demandons instamment votre accord dans le sens des recommandations du mémoire en pièce jointe, pour des engagements jordaniens pratiques et vérifiables dans chacun des cinq domaines précités, en vue d’améliorer la conformité de la Jordanie avec les standards du droit international des droits de l’Homme. Des objectifs couronnés de succès au sein des droits de l’Homme devraient former une part intégrale de l’approfondissement des relations de l’UE avec la Jordanie, son programme d’assistance inclus.

    Veuillez agréer l’expression de nos salutations distinguées.

    Sarah Leah Whitson
    Directrice exécutive
    Division du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord

    Kamel Jendoubi
    Président
    Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme

    Mémoire
    en vue du conseil d’association entre la Jordanie et l’Union européenne,
    le 23 juillet 2008

      1. Liberté d’association et de réunion pacifique

    En juin 2008, le gouvernement jordanien a mis en place d’une manière très inattendue pour les organisations locales non-gouvernementales (ONG) une ébauche de loi relative aux ONG (loi des sociétés) plus restrictive encore qu’une ébauche qui avait été proposée à l’agenda parlementaire en octobre 2007, quelques jours seulement avant les élections parlementaires. Après le non-vote de l’ébauche par le Parlement, le nouveau Premier ministre, Nader Dahabi, l’avait retirée en janvier 2008, suite aux protestations de la société civile et à la publication du rapport de Human Rights Watch de décembre 2007 “Shutting Out Critics“.

    Le ministre du Développement social a poursuivi en début d’année une série de consultations en vue d’une nouvelle ébauche de loi sur les ONG. L’esquisse résultante de juin 2008 présentait les ONG dans une perspective plus sombre encore, avec des conditions de travail encore plus restrictives. Les deux chambres du Parlement ont depuis lors adopté la loi, en attente de la signature du roi Abdullah.

    Le gouvernement n’a pas non plus consulté les ONG ni aucun parti politique au sujet d’une nouvelle ébauche de loi relative à l’Assemblée publique, elle aussi adoptée par les deux chambres du Parlement.

    Concernant ces deux nouvelles lois, la Jordanie n’a pas tenu son engagement envers la société civile, relatif à une consultation plus soutenue concernant la législation affectant les libertés civiles fondamentales.

    Loi sur les ONG (loi des sociétés)

    La loi de 1966 régissant les ONG requière du Ministère du Développement social l’accord d’une licence avant qu’une nouvelle organisation puisse entrer en fonction, tandis que la pratique internationale recommande pour un nouvel enregistrement un procédé de notification seule. La nouvelle loi sur les ONG, si elle est ratifiée par le roi, donnerait encore tout pouvoir au ministre pour réfuter sans cause la candidature d’une ONG. Si le ministre ne répond pas endéans les deux mois, l’enregistrement d’une ONG est considéré comme approuvée, mais la loi omet de préciser par quels moyens une ONG peut documenter sa constitution pour démarrer ses activités légales. Fait particulièrement troublant, le ministre est aussi en mesure d’introduire un fonctionnaire gouvernemental parmi les membres fondateurs de l’ONG.

    La loi de 1966 ainsi que la nouvelle loi sur les ONG prévoient de manière similaire un contrôle ministériel excessif sur le travail d’une ONG, en violation à la liberté d’association et à d’autres droits fondamentaux. Actuellement, le ministère possède l’autorité du type d’un renforcement de la loi pour s’introduire à tout moment dans les infrastructures des ONG, pouvant saisir tout rapport alléguant n’importe quelle raison. La nouvelle loi sur les ONG obligerait les ONG à fournir au ministère des copies de leurs plans de travail à venir, et permettrait au gouvernement l’audit de leurs comptes et le contrôle du travail fait préalablement. La nouvelle loi sur les ONG restreindrait aussi très sévèrement l’éventail des activités des ONG à des champs n’incluant pas le „secteur des partis politiques“, restriction vaguement formulée incompatible avec le droit à la liberté d’expression et à la liberté d’association.

    Selon la nouvelle loi sur les ONG, une ONG doit informer le ministère de ses assemblées générales à l’avance. Certaines décisions prisent ne seront pas considérées comme légales tant que le ministre n’aura donné son aval. Les décisions seront automatiquement invalidées si le ministère n’en aura pas été informé au préalable ou encore si un fonctionnaire ministériel se sera vu interdit d’assister à l’Assemblée générale. (La présence gouvernementale n’est cependant pas une condition nécessaire.) L’inauguration de nouveaux bureaux de tout secteur d’une ONG passe aussi obligatoirement par l’approbation du ministre.

    Les pouvoirs gouvernementaux existants et nouvellement proposés permettent aux autorités d’imposer à une ONG sa direction temporaire par des fonctionnaires gouvernementaux ou encore de la suspendre de ses activités pour infractions mineures envers la loi sur les ONG ou globalement pour infractions mineures envers le règlement interne d’une ONG, sans avoir recours au judiciaire en premier lieu. La nouvelle loi sur les ONG contraint aussi les ONG à accepter de nouveaux membres ayant le droit de vote au Conseil d’administration, permettant l’infiltration du gouvernement et dénaturant la définition d’origine d’une ONG.

    Par ailleurs, la nouvelle loi sur les ONG restreint les financements nationaux et internationaux d’une ONG, tandis que la loi de 1966 n’imposait ces conditions. Les ONG de Jordanie seraient contraintes d’obtenir l’accord du Cabinet pour chaque petite donation internationale, tandis que les ONG étrangères en Jordanie nécessiteraient son accord pour chaque donation jordanienne. Les contrevenants „ayant en leur possession ou utilisant“ des fonds étrangers sans les déclarer devront purger une peine de prison pour un minimum de trois mois. (Un maximum n’est pas spécifié.)

    Loi relative à la liberté de réunion (Loi sur les rassemblements publics)

    La nouvelle loi relative à la Liberté de réunion contient quelques améliorations en regard de l’ancienne, mais ne restitue pas la liberté de réunion garantie antérieurement à la loi existante introduisant des restrictions draconiennes en 2001. Avant 2001, les manifestations et les rassemblements publics nécessitaient simplement d’en aviser les autorités, tandis qu’actuellement, les organisateurs de tels événements se doivent d’obtenir des autorités des autorisations écrites au préalable.

    La nouvelle loi relative à la Liberté de réunion continue d’exiger, dans le but de tenir une assemblée publique, l’approbation écrite préalable du gouverneur, tandis que le laps de temps pour une réponse du gouverneur est réduite de trois à deux jours, une absence de réponse étant à prendre comme un consentement. Le gouverneur n’est cependant toujours pas tenu de justifier un refus concernant l’autorisation d’un rassemblement. La nouvelle loi exempterait de l’obligation de se procurer une permission uniquement pour les assemblées générales des ONG, des associations professionnelles et des partis politiques, entre autres organismes reconnus comme légaux, “sous la condition que ces réunions et rassemblements soient liés à la réalisation de leurs objectifs et en accord avec les législations contrôlant leur travail et leurs activités“ (article 3.1). Toutes les autres réunions et manifestations publiques nécessitent une approbation préalable. Le rapport de Human Rights Watch de 2007, “Shutting Out the Critics“, présentait les récentes preuves étoffées des nombreuses demandes en vue de telles réunions pacifiques rejetées par les gouverneurs.

    L’Union européenne et les États membres conseillent vivement au gouvernement jordanien de:

    • Résilier la loi des ONG et la Loi relative à la Liberté de réunion;
    • Commencer un procédé d’ébauche pour réviser la loi existante sur les rassemblements publics qui inclurait la participation de la société civile large ainsi que l’assistance par les experts du droit international des droits de l’Homme, et:
      • Abolir l’obligation de l’accord en amont pour toute réunion publique ou manifestation;
      • Définir la signification de “rassemblement public”, comprenant uniquement des rassemblements en des lieux accessibles au public ou ceux ouverts au public;
    • Commencer un procédé d’ébauche pour réviser la loi existante sur les ONG qui inclurait la participation de la société civile large ainsi que l’assistance par les experts du droit international des droits de l’Homme, et:
      • Rendre l’enregistrement des associations automatique dans le cadre d’une notification formelle;
      • Soustraire au gouvernement sa capacité à désigner des membres fondateurs, à imposer toute forme de gérance gouvernementale ou encore à dissoudre une ONG sans recours à la judiciaire;
      • Retirer au Ministère du Développement social tous ses pouvoirs de type renforcement de la loi lui donnant accès aux locaux des ONG ainsi qu’à ses documents à volonté;
      • Permettre la fondation d’ONG, tant étrangères que locales, tout aussi longtemps que la loi sur le contrôle des devises ainsi que le droit douanier sont satisfaits.

      2. Torture dans le système pénitentiaire

    La torture règne dans les prisons jordaniennes, malgré un programme de réforme initié en 2006. Des gardes torturent des prisonniers en toute impunité car c’est aux procureurs et aux juges de la police du Tribunal de police qu’il incombe de conduire la requête ou de juger leurs collègues officiers.

    Visites de Human Rights Watch aux prisons
    Human Rights Watch a visité cinq des dix prisons jordaniennes of Jordan’s 10 prisons (Muwaqqar, Swaqa, Salt, Qafqafa, Aqaba), une prison en octobre 2007 (Juwaida), et une autre en avril 2008 (Birain). Les autorités jordaniennes nous ont permis un accès total excepté pour la prison de Juwaida, que nous avions demandé à visiter en août 2007, mais dont l’accès nous avait été interdit. En avril 2008, nous avons rencontré le leader de la Direction de la sécurité publique (PSD) pour nous informer sur la réforme pénitentiaire et nous publierons dans les mois à venir un rapport sur les résultats obtenus.

    Réforme pénitentiaire en Jordanie
    La réforme pénitentiaire en Jordanie a comme objectif de construire une série de nouvelles prisons, séparant les détenus déclarés coupables de ceux en attente de procès, fournissant travail et services de réhabilitation aux détenus condamnés ainsi que de meilleurs soins de santé à tous les détenus. Les procureurs de la police ont maintenant un nouveau bureau dans chaque centre de détention, leur permettant de mener l’enquête sur les abus commis par les gardes. Tout le personnel pénitentiaire et, séparément, les directeurs, reçoivent un entraînement au recours à la force non meurtrière, au contrôle des bagarres, à l’art de la communication ainsi qu’aux droits de l’Homme.

    Le gouvernement est sur le point d’achever la construction d’une prison à sécurité super-maximum de 240 cellules, Muwaqqar II, qui pourrait être utilisée pour loger les islamistes suspectés par la Sécurité nationale. (Les prisons “super-max” se sont caractérisées par un maltraitance des détenus causé par une isolation extrême en réclusion solitaire. Ils étaient désignés comme détenus particulièrement violents, mais il ne s’agissait pas de prisonniers inculpés de crimes aux motifs politiques dont le comportement en milieu carcéral n’est pas forcément violent.)

    Les islamistes jordaniens accusés ou déclarés coupables de crimes contre la Sécurité nationale sont déjà logés en de petits groupes d’isolation dans des bâtiments séparés de deux prisons, respectivement Juwaida et Swaqa. De trois à quatre prisonniers partagent une cellule, s’exerçant seuls, et n’ont été depuis juillet 2007 qu’en de très rares occasions mêlés à d’autres détenus. En Turquie, Human Rights Watch a documenté dans son rapport “Small Group Isolation In Turkish Prisons: An Avoidable Disaster” que ce type d’isolation en petits groupes préjudissait à la santé mentale des détenus.

    Le problème de la torture en Jordanie
    En juin 2006, le Rapporteur spécial sur la torture ainsi qu’une équipe d’enquêteurs ont visité la Jordanie et découvert des faits de torture en d’innombrables occasions. Depuis ce jour, le programme jordanien de réforme pénitentiaire a échoué à réaliser sa part de responsabilité envers les actes de torture. Les procureurs de la police basés en milieu carcéral ayant pris leurs fonctions en février 2008 n’ont pas classé un seul cas à part en avril 2008, malgré les preuves de coups multiples exposées par Human Rights Watch durant cette période. La Direction de la sécurité publique, dans ses recherches sur le cas du brûlage à mort de trois détenus à la prison de Muwaqqar en avril 2008, semblait résolue à couvrir les fonctionnaires de toute accusation.

    Le Tribunal de police n’a jusqu’à maintenant jugé qu’une poignée de fonctionnaires pénitentiaires, et, dans ces quelques cas, les condamnations ont été très indulgentes. Deux gardes coupables d’avoir battu un prisonnier à mort n’ont reçu qu’une peine de deux ans et demi chacun. Un directeur de prison ayant personnellement battu jusqu’à 70 prisonniers n’a reçu qu’une amende de 180 US$, sans même avoir été congédié par la Direction de la sécurité publique.

    Des condamnations indulgentes données par des juges du tribunal de police désignés par le chef de la Sécurité publique servent rarement en tant que force de dissuasion. Un obstacle encore plus insurmontable est l’échec des procureurs de la police de procéder à des investigations et d’intenter activement un procès contre les coupables.

    Tandis qu’il est du ressort des procureurs civils sous le Ministère de la Justice de poursuivre ce genre de crimes contre des fonctionnaires, en pratique, ce ne sont que les procureurs de la police sous la Direction de la sécurité publique qui enquêtent sur ces cas.

    La torture prend typiquement deux formes, souvent combinées entre elles. Dans l’une, des gardes battent un prisonnier avec des câbles électriques noués entre eux ou une matraque, dans l’autre, ils suspendent le détenu aux poignets au-delà du sol pendant des périodes prolongées. Des raisons pour la torture incluent des infractions envers les lois pénitentiaires ou perçues comme telles. Human Rights Watch a rencontré des douzaines de ce genre de cas lors de ses visites aux prisons. Nous n’avons pas encore enquêté sur la torture pour en extraire des aveux hors du Département des renseignements généraux (voir au-dessous).

    L’Union européenne et les États membres conseillent vivement au gouvernement jordanien d’:

    • Abolir la juridiction concernant les affaires criminelles par le Tribunal de police;
    • Assurer aux procureurs civils l’affectation de la juridiction concernant les abus en milieu pénitencier ainsi que de procéder à des recherches transparentes et efficaces, incluant des rendez-vous privés avec les prisonniers;
    • Assurer un nombre suffisant de médecins pénitentiaires incluant des psychiatres et les entraîner à détecter des actes de torture et de mauvais traitements;
    • Annuler les plans d’utilisation de Muwaqqar II, ou toute autre installation pour garder les détenus en réclusion solitaire de longue durée ou encore les détenir à l’encontre des Règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

      3. Détention administrative

    L’usage de la détention administrative s’est aggravé le long de ces dernières années en Jordanie, atteignant plus de 12 000 cas en 2006, soit presque un quart de toutes les admissions pénitentiaires. Les lois de la détention administrative sont problématiques car elles nient aux personnes les droits fondamentaux à une procédure régulière.
    La Jordanie s’appuie sur la loi de la Prévention du crime de 1954 pour déjouer les clauses de la loi sur la Procédure criminelle garantissant aux prévenus le droit à une procédure régulière. Selon la loi de 1954, le gouverneur, qui fait un compte rendu au ministère de l’Intérieur, peut détenir administrativement une personne jusqu’à une année s’il juge que cette personne constitue „un danger public“ et si celle-ci est dénuée de garanties monétaires spécifiées par le gouverneur. Il n’est pas nécessaire au gouverneur de présenter la preuve d’un crime ou d’un crime en cours. Les détenus administratifs ne sont dans la mesure de s’opposer à leur détention dans un tribunal de droit que s’il y a violation de procédure à l’issue de l’ordonnance de placement en détention. Les détenus administratifs détiennent le droit à l’assistance légale, mais n’ont presque jamais à leurs côtés un avocat lorsque le gouverneur ordonne de placement en détention.

    Le gouverneur a le pouvoir de fixer des garanties monétaires et peut ainsi efficacement prévenir la mise en liberté du détenu. Des sommes courantes pour de telles garanties valent entre 10,000 JOD et 50,000 JOD (15,000 US$ et 75,000$). Aussi longtemps que les détenus présentent des garanties telles que des droits fonciers d’une valeur équivalente, ils n’ont à payer qu’une redevance d’env. 0,4%. En de multiples occasions, cependant, des fonctionnaires du gouvernement ont simplement refusé d’accepter la gratification offerte, permise par la loi.

    La police et le gouvernement usent fréquemment de la détention administrative pour garder des personnes qu’un juge a libéré sur bail judiciaire. De plus, la police et le gouvernement utilisent la loi pour détourner l’obligation, sous droit pénal, de déclarer un suspect au procureur dans les 24 heures de son inculpation. Les gouverneurs ont détenu des personnes pour avoir violé des couvre-feux et pour avoir violé l’obligation de dénonciation à la police, des personnes victimes de querelles tribales, des personnes avec un long passé criminel, ou encore des vagabonds ou des étrangers sans papiers.

    Les femmes constituent un groupe spécialement vulnérable des détenus administratifs. Les gouverneurs placent les femmes et les jeunes filles victimes de violence ou présentant un risque d’être tuées en détention “protectrice”, une forme de détention administrative. La loi de la Prévention du crime utilisée pour justifier la détention administrative ne prévoit pas de détention protectrice. De fait, elle confère au gouverneur uniquement l’autorité de détenir des personnes présentant un danger pour la société. Dans le cas de ces femmes et de ces filles, c’est la victime, et non l’auteur du crime que le gouverneur détient. Les femmes tenues en détention „protectrice“ ne sont libérées que dans le cas où un membre de la famille masculin peut plaider de manière convaincante que la famille ne causera pas de tort à la femme. L’affranchissement de la détention administrative pose un problème généralement plus important pour les femmes que pour les hommes, même pour celles ne se trouvant pas en détention protectrice. Les gouverneurs autorisent uniquement les membres de la famille (généralement les parents masculins) à agir en tant que commanditaires des détenues administratives. Le simple fait qu’une femme ait été détenue est souvent suffisant pour que sa famille l’abandonne et refuse d’agir comme commanditaire. De plus, les coûts sociaux de détention sont beaucoup plus élevés pour les femmes que pour les hommes. Les hommes peuvent plus simplement réintégrer la société et trouver des garants pour leur libération plus facilement que les femmes. Les femmes peuvent passer des années en détention administrative tandis que les hommes sont réhabilités après quelques semaines ou quelques mois.

    L’Union européenne et les États membres conseillent vivement au gouvernement jordanien de:

    • Abolir la loi de la Prévention du crime et déclarer toute personne pour enquête et inculpation au procureur civil dans les cas où le témoignage appuie le soupçon d’une conduite criminelle;
    • Garantir aux détenus administratifs actuels le recours au droit au conseiller juridique ainsi qu’à la cour pour vérifier la légalité de leur détention;
    • Déclarer toutes les femmes en détention protectrice au centre Wifaq du gouvernement ou aux asiles non-gouvernementaux alternatifs pour femmes menacées de violence.

      4. Renforcement de la loi des services de renseignements

    Human Rights Watch a documenté les abus commis par les services de renseignements (GID) sur les personnes en détention, le GID possédant un record quant à des faits de torture commise et quant au nombre de détenus dissimulés au Comité international de la Croix-Rouge (CICR). En 2006, Human Rights Watch a documenté les arrestations arbitraires et les cas de torture commise par les services de renseignements dans son rapport “Suspicious Sweeps“. En 2007, nous avons détaillé dans le cas de Isam al-Utaibi (plus connu sous le nom de Abu Muhammad al-Maqdisi), le manquement au droit à une procédure régulière durant sa détention, ainsi que pour d’autres prisonniers, fait faisant suite à une série de visites non-annoncées au centre de détention en août 2007. En avril 2008, Human Rights Watch a publié “Double Jeopardy,” au sujet des restitutions de l’Agence centrale de renseignement des États-Unis (CIA) à la Jordanie, qui concluait que les services de renseignements jordaniens (GID) avaient servi de 2001 à 2004, par procuration pour la CIA, comme geôliers et tortionnaires des prisonniers de la CIA.

    En août 2007, le GID a donné accès à son complexe de détention à Human Rights Watch, et, fin 2005, l’autorisation d’effectuer des visites coordonnées au centre de détention du GID par le Centre national des droits de l’Homme basé à Amman.

    Le GID, dont les pouvoirs de renforcement de la loi ne sont pas explicitement mentionnés dans la loi, continue d’opérer à l’extérieur des réseaux légaux normaux de la supervision pénitentiaire sans appliquer en pratique la loi de 2004 sur les maisons de correction et les centres de réhabilitation, qu’il déclare respecter.

    L’isolation des détenus suscite des préoccupations quant à leur traitement et à leur droit à une procédure régulière. Les détenus n’ont pas le droit de téléphoner pour informer des parents ou leur ambassade de l’endroit où ils se trouvent, ni des inculpations ayant cours contre eux. Le GID, comme à son habitude, retient les détenus sans droit de communication au moins pour quelques semaines, avant de leur permettre des visites hebdomadaires supervisées. Les détenus n’ont pas de contact avec des avocats, on leur refuse effectivement le droit au conseiller juridique. De plus, le GID garde tous les détenus en réclusion solitaire, celle-ci pouvant se poursuivre durant des mois, tandis que les interrogateurs conduisent l’enquête. Une réclusion solitaire prolongée peut constituer un mauvais traitement et même un cas de torture.

    L’Union européenne et les États membres conseillent vivement au gouvernement jordanien de:

    • Mettre en application un moratorium sur les arrêts et les détentions pratiqués par le GID, jusqu’à ce que leurs pouvoirs de renforcement de la loi soient spécifiés par la loi;
    • Autoriser les détenus de récuser leur détention devant un tribunal de droit;
    • Assurer une supervision judiciaire civile des installations de détention du GID;
    • Mettre un terme à la réclusion solitaire routinière des détenus par le GID;
    • Enquêter indépendamment sur la torture et les mauvais traitements au sein du GID;
    • Garantir des rendez-vous privés aux détenus avec leurs avocats.

      5. Droits de la femme

    Les droits de la femme sont une autre source d’inquiétude, nécessitant un contrôle systématique à l’égard de la conformité de la Jordanie avec les standards du droit international des droits de l’Homme.

    La Jordanie a cherché avec un succès relatif à amender la législation domestique en ligne avec ses obligations sous La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), à laquelle elle a accédé en 1992. Deux jours avant l’échéance qu’avait fixée l’ONU pour revisiter sa conformité avec la CEDAW en juillet 2007, la Jordanie a publié la convention dans la gazette officielle, lui donnant le pouvoir d’une loi domestique.
    La Jordanie a néanmoins maintenu trois restrictions dommageables pour le traité: priver les femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants, restreindre la liberté de voyager et maintenir des droits de mariage et de divorce inégaux.

    Un domaine où des modifications sont nécessaires est la loi sur le statut personnel de droit. Le Parlement a rejeté successivement le 3 mai 2003 et le 27 juin 2004 les modifications proposées autorisant les femmes à initier le divorce dans les cas où l’épouse déclare qu’elle ne peut émotionnellement poursuivre la vie de couple, ou si elle appréhende que poursuivre la vie de couple s’oppose à l’accomplissement de ses devoirs religieux. Elle déclare alors renoncer à tous ses droits maritaux et rendre la dot reçue.

    Un autre domaine où la loi discrimine les femmes est la loi sur la nationalité. En Jordanie, les femmes, autrement que les hommes, ne peuvent transmettre leur nationalité à leurs enfants. Les enfants de femmes jordaniennes mariées à des hommes étrangers ne peuvent ainsi accéder à la nationalité jordanienne. Des hommes non-jordaniens mariés à des femmes jordaniennes ne peuvent non plus accéder à la citoyenneté jordanienne, tandis que des femmes non jordaniennes mariées à des Jordaniens, elles, le peuvent.

    Finalement, la loi sur la sécurité sociale désavantage les femmes. La loi assure uniquement aux hommes, non aux femmes, la transmission de leur sécurité sociale ou de leur pension comme héritage à leurs enfants.

    La Jordanie se doit maintenant de faire une réalité des droits de la femme et d’honorer ses obligations envers la loi internationale. Récemment, le gouvernement a établi un asile réclamé de longue date pour les femmes victimes de violences domestiques. Au même moment, le gouvernement a échoué à émettre des consignes exécutives pour une loi de mars 2008 sur la protection des femmes contre la violence domestique, laissant sa mise en application imprécise. Cette loi nécessite aussi l’établissement de comités mandataires pour la réconciliation des membres de la famille.

    Les groupes de femmes forment une large part et une part intégrale de la société civile jordanienne. Les restrictions imposées par les nouvelles lois relatives à la Liberté de réunion et d’association délibérées plus haut entraveront, voire, rendront impossible, de servir la cause des droits de la femme dans le royaume.

    L’Union européenne et les États membres conseillent vivement au gouvernement jordanien de:

    • Renoncer aux restrictions sur la CEDAW et adhérer au protocole optionnel de la convention;
    • Réviser et amender la législation existante jusqu’à ce qu’elle assure l’égalité entre les hommes et les femmes, en particulier les clauses discriminatoires au sujet du mariage et du divorce, de la nationalité, ainsi que des lois civiles sur la sécurité sociale et la retraite.
    • Délivrer des consignes exécutives pour la loi de protection contre la violence domestique et établir des comités de réconciliation familiale.

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