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France: La Cour européenne des Droits de l’Homme ordonne la suspension de mesures d’éloignement

Le gouvernement français doit adopter un recours automatiquement suspensif pour les mesures d’éloignement

La décision de la Cour européenne des droits de l’Homme de suspendre l’éloignement d’un ressortissant algérien rappelle que la politique française d’expulsions est susceptible de mettre les personnes eloignées en péril, a affirmé Human Rights Watch aujourd’hui. Le 23 avril 2008, la Cour a ordonné à la France de suspendre la mesure d’éloignement visant Kamel Daoudi jusqu’à ce qu’elle puisse examiner l’affaire au fond et rendre une décision finale sur les risques de torture ou de mauvais traitement qu’il pourrait encourir en Algérie.

Selon les procédures actuellement en vigueur en France, les personnes faisant l’objet de mesures d’éloignement peuvent saisir un juge spécial sur le fondement des droits humains. Mais même les recours fondés sur le risque de torture ou de mauvais traitements ne suspendent pas automatiquement l’expulsion jusqu’à ce que et dans l’hypothèse où le juge autorise la personne à rester sur le territoire français.

« Cette affaire montre pourquoi la France doit permettre un recours automatiquement suspensif pour les personnes faisant l’objet de mesures d’éloignement. » affirme Judith Sunderland, chercheuse sur l’Europe occidentale pour Human Rights Watch. « Sans quoi, la Cour européenne des droits de l’Homme va devoir continuer à intervenir ».

M. Daoudi, un ressortissant algérien de 34 ans, a été relâché le 21 avril 2008 après avoir purgé une peine d’emprisonnement de six ans suite à une condamnation pour des actes de terrorisme. Il a immédiatement été placé dans un centre de rétention en attendant l’éloignement. Il a été condamné en 2005 sous le large chef d’inculpation d’ « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». En plus de la peine d’emprisonnement, la Cour française a ordonné l’éloignement de M. Daoudi après l’exécution de la peine, ainsi que l’interdiction définitive du territoire français. Le procès a attiré l’attention car le parquet alléguait que M. Daoudi et ses co-accusés avaient planifié une attaque contre l’Ambassade américaine à Paris. La seule preuve présentée à l’appui de la thèse d’un complot contre les intérêts américains à Paris se fondait sur le témoignage d’un suspect détenu aux Émirats Arabes Unis, exclu par les Cours d’appel en raison de doutes sur les conditions dans lesquelles cette information avait été obtenue.

La Comité des Nations Unies contre la torture a condamné la France à deux reprises au cours des trois dernières années pour avoir éloigné des personnes vers des pays où ceux-ci risquaient la torture. Dans les deux affaires, la France a ignoré les demandes du Comité de suspendre l’expulsion jusqu’à ce que celui-ci ait le temps d’examiner les faits.

« La France a le droit d’expulser les ressortissants étrangers qui représentent un risque pour la sécurité nationale » affirme Mme Sunderland. « Mais elle a l’obligation absolue en vertu du droit international de s’assurer qu’elle n’envoie pas quelqu’un vers un pays où il y a un risque raisonnable de torture ».

Les personnes accusées de terrorisme expulsées vers l’Algérie sont susceptibles, à leur arrivée, d’être détenues par le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) jusqu’à 12 jours en isolement. Le 15 avril 2008, la France a expulsé vers l’Algérie M. Rabah Kadri, un ressortissant algérien condamné pour des actes de terrorisme dans une autre affaire. Aucune nouvelle de lui n’a été reçue depuis lors. Le DRS, le service de renseignement algérien, est connu pour maltraiter les suspects qu’il détient, et en particulier les personnes suspectées de terrorisme. Deux algériens suspectés d’activités terroristes éloignés du Royaume-Uni en 2007 ont été menacés et maltraités physiquement durant leur détention de 12 jours par le DRS, et ont par la suite été condamnés par une Cour algérienne sur la base de leur « aveux».

Depuis 2001, la France a éloigné de force des dizaines de ressortissants étrangers sur le fondement de liens avec le terrorisme islamiste et l’extrémisme à la suite de procédures qui n’offrent pas de garanties suffisantes contre les violations des droits humains. Dans un rapport de Juin 2007 « Au nom de la prévention : des garanties insuffisantes concernant les éloignements pour raisons de sécurité nationale », Human Rights Watch montre de quelle façon le manque de garanties dans les procédures d’expulsion porte atteinte aux droits humains et s’aliène les communautés dont la coopération est décisive pour la lutte contre le terrorisme.

Contexte

M. Daoudi est arrivé en France avec sa famille à l’âge de cinq ans. Il a obtenu la nationalité française début 2001, qui lui a été retirée après son arrestation fin 2001, ouvrant ainsi la voie à l’expulsion.

Cinq autres personnes ont été condamnées avec M. Daoudi. Un autre ressortissant algérien, Nabil Bounour, est le premier à avoir été expulsé après avoir exécuté une peine de six ans d’emprisonnement. Johan Bonte, condamné à un an d’emprisonnement, est un ressortissant français. Les trois autres co-accusés se sont vus retirer, après la condamnation, la nationalité française qu’ils avaient acquise et le Ministère de l’Intérieur a adopté à leur encontre des arrêtés d’expulsion pour des raisons de sécurité nationale. Rachid Benmessahel et Abdelkrim Lefkir ont quant à eux été renvoyés en Algérie en 2007. Une Cour française a condamné Djamel Beghal, considéré comme le leader du groupe, sur la base de déclarations qu’il avait faites aux Émirats Arabes Unis. M. Beghal affirme avoir été forcé à témoigner sous la torture, et un examen médical effectué en France à son arrivée a établi des preuves des traitements décrits par M. Beghal. Bien que la Cour d’appel ait finalement exclut ce témoignage parce qu’il avait été obtenu « dans des conditions incompatibles avec le respect des droits de la défense », la condamnation prononcée en première instance a été maintenue. La nationalité française que M. Beghal avait obtenue lui a été retirée en 2006 et il risquera d’être éloigné immédiatement après avoir exécuté sa peine d’emprisonnement de dix ans.

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