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Parcourir le royaume des montagnes pour défendre les droits humains

Le long chemin de Mandira Sharma vers l’instauration de la justice au Népal

Le Népal est au bord du précipice. Ce royaume isolé d’Asie du Sud a été le théâtre de dix années de guerre civile sanglante après que la guérilla maoïste a déclaré la guerre pour renverser la monarchie. Le pays faillit basculer dans le chaos lorsqu’en 2005, le roi Gyanendra a fomenté un coup d’Etat contre le gouvernement national civil affaibli. Les forces de sécurité ont envahi les villes et ont arrêté les chefs de l’opposition, les défenseurs des droits humains et les étudiants activistes, forçant la plupart d’entre eux à l’exil.

Toutes les parties au conflit ont commis d’effroyables violations de droits humains. Les Maoïstes ont enrôlé et utilisé un grand nombre d’enfants soldats et le gouvernement a, quant à lui, été responsable du plus grand nombre de « disparitions » rapportées dans le monde en 2004 et 2005.

Un an plus tard, un large « mouvement populaire » est parvenu à renverser le gouvernement fantoche du roi, à imposer la restauration du Parlement et à inviter tous les belligérants, dont les Maoïstes, à amorcer des pourparlers de paix. On a cru à un miracle et les Népalais ont repris espoir. L’élection d’une assemblée constituante était prévue pour novembre 2007. Cette élection devait servir à instaurer un nouveau cadre pour le pays et à réfléchir notamment au sort de la monarchie et à son remplacement par une république.

Mais à un mois de la tenue des élections, les Népalais sont de nouveau inquiets. En effet, les élections ont été reportées sine die. Le gouvernement multipartite n’a pas tenu ses promesses, les forces militaires ont contrarié les efforts visant à juger quiconque coupable d’abus et les Maoïstes viennent de se retirer des pourparlers de paix. Le pays est de nouveau face à un avenir houleux et incertain.

Mandira Sharma parcourt des paysages semés d’embûches, foulant les rues népalaises et se rendant devant les tribunaux afin de tenter d’apporter secours aux victimes de dissensions sociales et des persécutions commises par le gouvernement. En outre, elle passe beaucoup de temps à essayer d’obtenir la vérité. Les médias internationaux accordent peu d’attention au Népal et la communauté internationale exerce peu de pression pour qu’une société plus paisible voie le jour au Népal. Mme Sharma travaille avec les médias, les Nations Unies et des organisations non gouvernementales, dont Human Rights Watch, afin de rendre public les pires formes de violations de droits humains perpétrées au Népal. La mission de Mandira Sharma est un long chemin.

« Les villageois se faisaient violer et personne n’y prêtait attention », a déploré Mandira Sharma. « Lorsque je me suis rendue pour la première fois aux Nations Unies, à Genève, pour une convention des droits humains, je pensais que tout le monde était au courant de ce qui se passait [au Népal]. J’étais littéralement sous le choc. Personne n’avait la moindre idée de ce qui se passait. La première chose que j’ai faite à mon retour a été de constituer des dossiers pour les Nations Unies et pour des comités. J’espérais seulement capter l’attention des organisations internationales et des médias. »

Les efforts de Mandira Sharma ont commencé à payer et son travail joue désormais un rôle-clé pour la condamnation des abus commis par l’ancienne armée royale népalaise et les Maoïstes. Mais la situation est fermement établie et grave. Le système judiciaire, en particulier, est rongé par la corruption et subit une forte pression de la part des politiques. Mme Sharma se bat souvent pour présenter des dossiers à la Cour, au nom de ses collègues - des défenseurs des droits humains qui ont décidé de poursuivre dans cette voie malgré le danger croissant. En effet, les activistes de défense des droits humains sont victimes de détentions arbitraires, d’assassinats caractérisés et d’actes de torture.

Mandira Sharma a dénoncé le large recours à la torture au Népal. Elle a été ébranlée lorsqu’elle s’est rendue compte des conséquences que les actes de torture pouvaient avoir sur un individu et sur une société.

« Lorsque [j’ai] réalisé à quel point la torture, perpétrée par les deux camps, pouvait détruire et dévaster une personne ainsi que ruiner la personnalité d’un individu, [j’étais] » bouleversée, a-t-elle confié.

C’est en apprenant l’histoire d’un homme que Mandira Sharma a décidé de se lancer dans sa campagne, qui vise à faire du Népal un pays où l’on peut élever ses enfants, aller au travail et vivre en toute sécurité. A la fin des années 1990, Mme Sharma, qui débutait alors ses études de droit, a fait la connaissance de Samal, un professeur de droit qui avait été porté disparu pendant une certaine période. Elle l’a rencontré dans un centre de soins pour personnes ayant été victimes d’abus et présentant des séquelles physiques et psychologiques.

« Il était un professeur, un pro-démocrate et par conséquent, une cible », a-t-elle expliqué.

Forte de son diplôme, Mandira Sharma se sentait responsable et investie d’une mission importante.

« L’armée a arrêté Samal, l’a placé dans une glacière et lui a donné des décharges électriques. Les militaires lui ont infligé des coups au niveau de la plante des pieds, l’ont pendu la tête en bas, ils l’ont détruit », a regretté Mandira Sharma.

« C’est en écoutant l’histoire de cette homme que j’ai réalisé pour la première fois comment la torture détruisait les individus. C’est pour cette raison que je fais ce travail aujourd’hui », a-t-elle ajouté.

Mme Sharma a tout d’abord pensé à suivre une formation pour devenir médecin ou infirmière, comme le lui avait conseillé sa mère. Mais elle a choisi de devenir avocate. Peu après avoir terminé ses études de droit, elle a co-fondé Advocacy Forum, l’une des organisations de défense des droits humains les plus respectées et efficaces du Népal. Cette organisation a vu le jour après que Mandira Sharma a travaillé dans des centres de détention, où sont perpétrés les pires abus de droits humains au Népal.

Confrontée à une forte instabilité politique et à une violence routinière, Mandira Sharma se bat pour garantir la liberté des défenseurs des droits humains et pour traduire en justice les responsables d’abus. Les efforts déployés par Mme Sharma sont particulièrement importants à l’heure actuelle, où le respect du cessez-le-feu en cours dépend d’une supervision efficace de la part de groupes impartiaux comme Advocacy Forum.

« Si vous savez ce qui se passe, il faut parler. Il est de mon devoir de parler, de me battre », a déclaré Mme Sharma. « Certaines personnes pensent que je suis folle, qu’il n’est pas normal pour une femme de faire ce que je fais au Népal. Mais quand on commence, c’est dans ces expériences qu’on trouve toute sa force », a-t-elle ajouté.

Il arrive que Mme Sharma intervienne physiquement pour protéger ses clients d’une détention ou d’une attaque et qu’elle coure des risques énormes, tant et si bien que son courage fait d’elle une femme spéciale.

« Les juges nous demandaient de ne pas leur présenter une affaire de violation de droits humains. Tout le monde se sent menacé dans cet environnement », a précisé Mme Sharma, qui ignorait les recommandations des juges et « ridiculisaient les tribunaux » avec ses méthodes. Elle présentait des brefs d’habeas corpus et s’adressait directement à la Cour suprême. L’affaire faisait alors trop de bruit pour pouvoir être passée sous silence.

Le travail de Mandira Sharma illustre l’une des plus grandes ressources du Népal : une société civile petite, mais rigoureuse, qui utilise les moyens de communications modernes et des techniques de travail sur le terrain traditionnelles afin de protéger les droits humains. Le Népal et son conflit peuvent sembler être une réalité éloignée, mais Mme Sharma et ses collègues en ont fait l’objet d’une bataille internationale pour le respect des droits humains, car le soutien de la communauté internationale est essentiel pour aider la population népalaise ravagée par la guerre à construire une société pacifique et plus représentative.

Ci-dessous une retranscription d’un récent entretien avec Mandira Sharma.

Sam Zarifi:

Advocacy Forum fait figure d’une des plus éminentes organisations de défense des droits humains du Népal. Mandira, pouvez-vous nous expliquer comment et pourquoi Advocacy Forum a vu le jour ?

Mandira Sharma:

J’ai créé Advocacy Forum avec des amis en 2001, alors que le pays était le théâtre d’un conflit armé violent. Tous les jours, on lisait dans les journaux que des gens se faisaient tuer lors de confrontations avec les forces de sécurité, mais les habitants de Katmandou ignoraient ce qui se passait dans les villages et ne savaient pas que ces confrontations avaient réellement lieu.

Nous avons commencé à recueillir les témoignages de victimes. Nous avons appris que des personnes avaient été arrêtées, détenues et exécutées. Nous avons constitué des dossiers. Les villageois ne bénéficiaient d’aucune protection et n’avaient aucun endroit où aller porter plainte. Les gens n’étaient pas en mesure de parler et nous avons découvert de nombreux cas où les familles de personnes ayant été appréhendées ou détenues illégalement s’étaient rendues à la police ou au tribunal pour porter plainte et avaient par la suite disparu.

En conséquence, nous devions vraiment comprendre ce qui se produisait et informer les gens de la situation. L’ampleur du problème était telle que [le Népal] est connu pour être le pays [du monde] où les disparitions sont les plus nombreuses.

Sam Zarifi:

Mais Mandira, comme vous l’avez vous-même mentionné, vous avez débuté ce travail à une époque d’intense répression et où le conflit armé n’était pas maîtrisé. Par conséquent, comment avez-vous pu avec les autres avocats accomplir ce travail ? A quels problèmes avez-vous été confrontés lorsque vous avez porté ces questions devant le gouvernement ?

Mandira Sharma:

Les plus gros problèmes auxquels nous avons été confrontés étaient : l’accès aux lieux [où les violations de droits humains étaient commises], les menaces à l’encontre des défenseurs des droits humains et les menaces faites aux victimes qui souhaitaient témoigner de leurs expériences auprès des groupes de défense des droits humains et d’autres institutions.

Au début, nous avions beaucoup de difficultés à accomplir notre travail. Lorsque nous avons réalisé que les victimes qui portaient plainte étaient ensuite arrêtées, nous avons commencé à les aider en faisant appel à [d’autres] institutions, mais ces dernières subissaient également une pression. Je me souviens que nous avons été contraints à plusieurs reprises de déplacer nos amis [qui travaillaient sur ces affaires depuis le terrain]. Les avocats étaient arrêtés, détenus, torturés et parfois même disparaissaient.

Dans un tel contexte, nous avons commencé à présenter les dossiers directement à la Cour suprême car il était très difficile de protéger les avocats dans ces districts.

Lorsque nous avons commencé à présenter les dossiers à la Cour Suprême, cette dernière n’était pas prête [à nous aider], surtout lorsqu’il s’agissait de dossiers accusant l’armée. En effet, les forces militaires menaient des opérations sur le terrain, c’était également elles qui arrêtaient et détenaient des gens au secret dans les casernes. Des centaines de personnes ont disparu après avoir été placées dans des casernes.

Sam Zarifi:

Mandira, maintenant que le processus de paix [a débuté], pouvez-vous nous expliquer comment le problème des disparitions est traité ?

Mandira Sharma:

Les victimes de disparus, les familles de disparus, sont constamment victimes de déni de justice. Presque tous les foyers comptent un membre qui a été arrêté, tué ou qui a disparu.

Par exemple, dans le district de Bardiya, presque tous les hommes ont disparu. Les familles ne [savent] pas où porter plainte. En conséquence, ces affaires n’ont jamais été portées devant les tribunaux.

Dans le passé, le gouvernement a constitué des commissions qui ont rendu public [les noms] des disparus. Cependant, ces commissions n’ont pas été en mesure d’avancer des faits car leur mandat était très limité.

La situation a toujours été difficile pour les victimes. A l’heure actuelle, nous travaillons avec plus de 8 000 victimes et leurs familles.

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