La libération de 21 prisonniers politiques en Tunisie est une étape positive, mais le gouvernement devrait libérer les dizaines d’autres personnes détenues à cause de leurs activités politiques non violentes, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Parmi les personnes relâchées le 24 juillet 2007, se trouvait Mohamed Abbou, un avocat condamné en 2005 à trois ans et demi de prison pour avoir critiqué le Président Zine el-Abidine Ben Ali et les conditions dans les prisons tunisiennes. La plupart des autres personnes libérées étaient des leaders du mouvement islamiste an-Nahdha (interdit), qui se trouvaient en prison depuis le début des années 90.
« Le gouvernement a longtemps prétendu qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques en Tunisie, et ces libérations nous rapprochent de ce lointain objectif », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice pour le Moyen Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Mais il y a encore des dizaines de personnes dans les prisons tunisiennes, simplement pour s’être opposées au gouvernement. »
Peu après son arrivée au pouvoir, Ben Ali a pris des mesures énergiques contre le mouvement an-Nahdha, après avoir prétendument découvert un complot pour renverser le gouvernement. Des centaines de membres de premier plan de ce mouvement se sont vu infliger de lourdes peines de prison à l’issue de procès inéquitables, devant des tribunaux militaires pour la plupart. Les autorités ont continué à arrêter et à emprisonner des membres de an-Nahdha qui n’étaient pas partis en exil. Une centaine de militants de cette période demeurent en prison.
La plupart des personnes libérées le 24 juillet, à la veille de l’anniversaire de la république tunisienne, avaient presque fini de purger leur peine et ont bénéficié d’une libération conditionnelle, ce qui signifie qu’un juge peut à tout moment ordonner à nouveau leur arrestation pour des activités jugées incompatibles avec leur statut.
Nombre d’entre eux ont été emprisonnés après des procès manifestement inéquitables. Par exemple, les tribunaux ont prononcé à l’encontre de Daniel Zarrouk quatre condamnations différentes pour le « délit » d’appartenance à an-Nahdha pour la période précédant son arrestation en 1992, en violation du principe selon lequel personne ne devrait être jugé plus d’une fois pour les mêmes faits. Human Rights Watch a adressé des lettres aux autorités au sujet des inculpations multiples de Zarrouk pour les mêmes faits.
Daniel Zarrouk, au lendemain de sa libération de prison, avec ses deux enfants © 2007 privé
Le gouvernement tunisien soutient que an-Nahdha est un mouvement extrémiste qui a tenté d’instaurer un Etat fondamentaliste. La direction de an-Nahdha en exil assure qu’elle condamne régulièrement la violence, et qu’elle est attachée à n'employer que des moyens démocratiques et non violents pour instaurer un Etat islamique tolérant et démocratique.
Abbou, le seul prisonnier libéré n’appartenant pas à an-Nahdha, a été arrêté en mars 2005, deux jours après avoir publié un commentaire en ligne comparant Ben Ali à Ariel Sharon, alors Premier ministre israélien. Six mois auparavant, il avait comparé les prisons tunisiennes à la prison de Abu Ghraib, gérée par les USA en Irak. Il a été condamné pour « insulte à la magistrature » et diffusion de « fausses informations susceptibles de troubler l’ordre public », et à la suite d’accusations séparées et forgées de toutes pièces d’agression contre une avocate en 2002.
Tout en continuant à réprimer des contestataires comme Abbou, les autorités ont libéré depuis 2004 des groupes de prisonniers politiques purgeant de longues peines, en général à l’occasion de fêtes nationales.
Pendant la même période, toutefois, les autorités ont arrêté plusieurs centaines de personnes au moins, des jeunes gens pour la plupart, et les ont accusés dans le cadre de la loi antiterroriste de 2003 d’appartenance à des organisations terroristes ou de planification d’activités terroristes. Beaucoup d’entre eux ont été inculpés et condamnés à de longues peines de prison ; toutefois, la plupart sont actuellement en détention préventive.
Les personnes libérées le 24 juillet, en plus de Abbou et Zarrouk, sont : Noureddine Amdouni, Issa Amri, Sahbi Atig, Mohamed Kamel Besbes, Samir Ben Tili, Mohamed Geuloui, Noureddine Guendouz, Fathi Issaoui, Fraj Jami, Abdelhalim Kacem, Jalel Kalboussi, Maher Khalsi, Ahmed Labiodh, Ajmi Lourimi, Mnaouer Nasri, Ridha Saidi, Taoufik az-Zairi, Ali Zouaghi et Mohamed Bouazza. Les tribunaux avaient à l’origine condamné plusieurs d’entre eux à la prison à vie.
La prochaine fête nationale importante est le 7 novembre, le 20ème anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Ben Ali, événement auquel le gouvernement se réfère comme « le Changement ».
« La libération de ces prisonniers est une étape positive », a affirmé Whitson. « Mais c’est seulement lorsqu’il n’y aura plus personne derrière les barreaux pour avoir exprimé des opinions politiques ou avoir eu des activités politiques pacifiques que l’on comprendra que la Tunisie a vraiment changé. »