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Burundi: Les bailleurs de fonds devraient faire pression pour qu’il soit mis fin à l’impunité

Un soutien financier est nécessaire en vue de réformes dans la justice et les soins de santé

Les bailleurs de fonds qui se réuniront avec le gouvernement burundais les 24 et 25 mai devraient apporter leur soutien à une réforme de la justice mais ils devraient également insister pour que le gouvernement mette un terme à l’impunité pour les graves atteintes aux droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Par ailleurs, Human Rights Watch a appelé les bailleurs de fonds internationaux du Burundi – notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Commission européenne – à financer les changements nécessaires dans le système de soins de santé burundais afin de s’assurer que les patients indigents ne soient pas détenus dans les hôpitaux pour non-paiement de leurs factures.

Le 24 mai, les financeurs rencontreront les autorités burundaises dans la capitale Bujumbura, afin de discuter du Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) élaboré par le gouvernement ainsi que de son Plan d’action prioritaire, lesquels font valoir que le renforcement de l’Etat de droit et du système juridique est essentiel pour une paix durable au Burundi.

« Soutenir la justice au Burundi passe par le versement de fonds en vue de réformes judiciaires, mais le soutien financier ne constitue qu’un élément du tableau », a expliqué Alison Des Forges, conseillère principale à la Division Afrique de Human Rights Watch. « Les bailleurs de fonds doivent en outre insister pour que le gouvernement mette un terme à l’impunité pour les massacres, la torture et autres crimes graves. »

L’année dernière, le gouvernement a fait preuve de peu de volonté politique pour poursuivre des exactions aussi graves que le massacre de 31 civils dans la province de Muyinga en juillet et août 2006, ou l’usage de la torture par des agents des services de renseignement. Le gouvernement n’a pas davantage progressé dans la négociation de mécanismes de justice transitionnelle avec les Nations Unies. Les mécanismes proposés, qui incluent une commission vérité et un tribunal spécial, ont pour mission de traiter les crimes commis durant les années de conflit civil, notamment le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

Les bailleurs de fonds devraient vivement recommander au gouvernement d’engager sans délai des actions en justice dans les affaires récentes non encore traitées et d’aboutir à un accord avec les Nations Unies sur la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle conformément aux principes internationaux.

Les donateurs devraient aussi aider de façon prioritaire le gouvernement à prodiguer une assistance juridique à tous les enfants en conflit avec la loi et à améliorer les conditions de ceux qui se trouvent en prison. Dans un rapport publié en mars, Human Rights Watch a décrit les graves exactions auxquelles sont confrontés les enfants en conflit avec la loi au Burundi, dans un système de justice pénale qui les traite comme des adultes.

Par ailleurs, les bailleurs de fonds devraient aider le gouvernement à développer un système de soins de santé qui garantisse aux indigents un accès équitable aux soins et qui mette fin à la pratique de détention à l’hôpital des personnes trop pauvres pour s’acquitter de leurs factures.

« Les bailleurs de fonds devraient veiller à ce que leurs fonds et leur influence contribuent à améliorer les conditions de vie et à garantir le respect des droits humains de la population burundaise », a déclaré Des Forges.

Contexte

Massacres à Muyinga

En juillet et août 2006, 31 civils ont été tués ou ont « disparu » alors qu’ils étaient officiellement en garde à vue dans la province de Muyinga, située dans le nord du Burundi. Selon des témoins, des soldats ont tué un grand nombre de ces personnes qui avaient passé des semaines en détention dans un camp militaire après avoir été interrogées par des agents des renseignements, puis ont jeté leurs corps dans une rivière toute proche. Des fonctionnaires de l’administration, dont le gouverneur de Muyinga, ont démenti que des massacres aient eu lieu, mais la découverte de corps dans la rivière est venue corroborer les témoignages.

En septembre, les autorités judiciaires ont arrêté deux soldats et un agent des renseignements mais à ce jour, elles ne les ont pas encore traduits en justice. Le 14 octobre, une commission judiciaire a émis des mandats d’arrêt à l’encontre de cinq autres suspects, dont le commandant de la Quatrième Région militaire, le Colonel Vital Bangirinama ; les mandats n’ont toutefois jamais été exécutés et le Colonel Bangirinama reste en service actif. Dans l’intervalle, l’un des procureurs engagés dans l’enquête a été transféré à un autre poste, prétendument pour garantir sa propre sécurité.

En février, après des mois d’inaction, le Ministre de la Justice a mis sur pied une autre commission judiciaire, mais ses conclusions n’ont pas été rendues publiques et aucune arrestation n’a eu lieu.

« Les massacres perpétrés à Muyinga mettent véritablement à l’épreuve l’engagement du gouvernement à instaurer l’Etat de droit et à mettre un terme à l’impunité », a souligné Des Forges. « Il ne s’agit pas d’une question de moyens financiers, mais de la volonté de garantir que justice soit faite pour les massacres de civils ».

Tortures infligées par des agents des renseignements

Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement actuel en 2005, Human Rights Watch et les organisations burundaises de défense des droits humains ont mis en évidence l’usage de la torture par les agents du Service National de Renseignements (SNR). Au cours du dernier mois, Human Rights Watch a enquêté sur des allégations selon lesquelles des agents du SNR avaient infligé des tortures ou autres sévices à trois partisans présumés d’Hussein Radjabu, ex-président du parti au pouvoir, le CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie - Forces pour la Défense de la Démocratie). Radjabu a lui-même été inculpé pour avoir mis en péril la sécurité de l’Etat et il est dans l’attente d’un procès à la prison centrale de Mpimba.

Une victime a expliqué que des agents lui avaient placé des morceaux de bois entre les doigts pour ensuite leur imprimer un mouvement de rotation, lui déchirant la peau jusqu’à la chair. L’homme a montré à un chercheur de Human Rights Watch des blessures qui confirmaient sa déclaration. Il a également affirmé avoir été forcé de rester debout pendant deux heures avec une bouteille de cinq litres d’eau attachée à ses testicules.

En septembre, trois personnes détenues après avoir été accusées de comploter contre l’Etat ont déposé plainte pour des actes de torture qu’auraient commis des agents des renseignements. A ce jour, aucune enquête ni poursuite n’a été engagée à propos de ces cas ou d’autres cas présumés de torture.

Justice transitionnelle

Depuis mars 2006, les représentants du Burundi et de l’ONU ont essayé, sans succès, de s’accorder sur des plans visant la mise sur pied d’une commission vérité et réconciliation et d’un tribunal spécial en vue de juger les crimes perpétrés durant les années de conflit.

Les Accords d’Arusha de 2000, les premiers d’une série d’accords relatifs au partage du pouvoir entre les belligérants, prévoyaient une commission vérité et réconciliation, une commission judiciaire internationale d’enquête, ainsi qu’un tribunal pénal international, chargés de traiter les crimes commis pendant le conflit. Le Conseil de Sécurité de l’ONU a par la suite abandonné le projet de commission judiciaire internationale d’enquête, et a appelé, en 2005 (Résolution 1606) à la création, au sein du système de justice burundais, d’une commission vérité et d’une chambre spéciale pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide.

Les représentants de l’ONU ont tenté, jusqu’à présent en vain, de mettre au point les détails de cette proposition avec le gouvernement burundais, lequel rechigne à donner au procureur du tribunal spécial le pouvoir de décider quels cas sont à traduire en justice. Le gouvernement cherche à s’assurer que seules aboutiront devant le tribunal les affaires dans lesquelles la réconciliation a échoué ou les participants ont refusé de coopérer. Selon une déclaration datant du 5 mai, le CNDD-FDD, parti au pouvoir, préfère la réconciliation aux poursuites intentées pour tous les crimes, position qui contrevient au principe international en vertu duquel les personnes accusées de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité doivent être poursuivies en justice.

La libération de quelque 3 000 détenus en janvier 2006 a rendu d’autant plus urgente l’instauration de mécanismes visant à juger ces personnes et d’autres encore en détention. Les détenus, dont beaucoup ont été inculpés de crimes violents commis pendant la guerre, ont été libérés après avoir été classés dans la catégorie des prisonniers politiques par une commission gouvernementale créée en vertu des Accords d’Arusha. Les responsables burundais soutiennent que les personnes remises en liberté ne bénéficient que d’une « immunité provisoire » et qu’elles finiront par répondre de leurs crimes présumés devant la commission vérité et réconciliation ou devant le tribunal.

Justice pour mineurs

Au Burundi, les enfants qui se trouvent être en conflit avec la loi sont régulièrement victimes de violations de leurs droits dans les systèmes judiciaire et carcéral. Des recherches effectuées par Human Rights Watch ont révélé que la plupart des enfants accusés de crimes ne bénéficient pas de l’assistance d’un avocat. Dans les prisons, les enfants sont confrontés à un manque de nourriture et d’infrastructures sanitaires. Ils subissent parfois des violences physiques et sexuelles et ne bénéficient d’aucune éducation organisée. Les mineurs sont mélangés aux prisonniers adultes toute la journée et dans certains cas, également pendant la nuit. Les enfants libérés de prison ne reçoivent aucune assistance pour retourner dans leurs communautés.

Des propositions d’amendements au droit pénal, sont aujourd’hui à l’étude au parlement. Ces amendements, feraient passer l’âge de la responsabilité pénale de 13 à 15 ans et procureraient des alternatives à l’incarcération. Afin d’améliorer le sort des enfants en conflit avec la loi, il faut que les mesures proposées soient adoptées, appliquées et financées, vraisemblablement avec le concours des bailleurs de fonds étrangers. Les propositions de révision du code de procédure pénale prévoient que tous les enfants soient obligatoirement représentés par un avocat.

Patients indigents

Dans un rapport publié en septembre 2006, Human Rights Watch divulguait que des centaines de patients étaient détenus pendant des semaines, voire des mois, dans des hôpitaux car ils ne disposaient pas de suffisamment d’argent pour régler leurs factures. Dans certains cas, ils étaient détenus dans de piètres conditions et se voyaient refuser l’accès aux soins médicaux dont ils avaient besoin.

Le secteur burundais de la santé est gangrené non seulement par un énorme déficit en financements mais également par le versement irrégulier des subventions publiques aux hôpitaux ainsi que par la fraude et la corruption. Les hôpitaux en manque de liquidités recourent à la détention des patients indigents en vue de s’assurer au moins une partie des fonds nécessaires pour continuer à fonctionner.

Le 1er mai 2006, le Président Pierre Nkurunziza a annoncé la gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans ainsi que pour les femmes qui accouchent, une décision visant à réduire le taux de mortalité maternelle et néonatale. Cette mesure a mis fin à la détention de bon nombre de femmes et d’enfants en bas âge, mais d’autres indigents (les enfants de plus de cinq ans, les femmes souffrant de problèmes de santé non liés à la grossesse, et les hommes) continuent d’être confrontés à la difficulté de couvrir leurs frais médicaux et risquent toujours d’être détenus dans les hôpitaux pour non-paiement de leurs factures. Au 19 décembre 2006, 65 personnes étaient détenues à l’Hôpital Roi Khaled de Bujumbura.

Le Burundi bénéficie actuellement d’un allègement de sa dette à titre provisoire et a utilisé une partie des fonds afin d’éliminer le paiement d’honoraires pour les soins maternels et pédiatriques. Mais reflétant apparemment l’importance toute relative qu’accorde le gouvernement aux questions liées à la santé, le budget pour les soins de santé a en fait été revu à la baisse, passant de 15 millions de $US en 2006 à 11 millions de $US prévus en 2007.

Les systèmes d’assurance et l’aide aux indigents qui existent actuellement ne fonctionnent ni équitablement ni efficacement, et dans certaines communautés, ils ne fonctionnent pas du tout. Le gouvernement s’est engagé à créer des mutuelles de santé mais il n’a pas indiqué dans quelle mesure ce programme inclurait les indigents.

La résolution du problème de détention des patients insolvables au Burundi passe par l’adoption de mesures, d’une part pour protéger les personnes contre les atteintes aux droits humains, et d’autre part pour mettre en place des méthodes efficaces, équitables et transparentes de financement des soins de santé. Dans un cas comme dans l’autre, il est de la responsabilité du gouvernement burundais d’agir mais il incombe également à la communauté internationale d’exercer des pressions sur le gouvernement du Burundi à cet effet, et d’appuyer tout effort en ce sens.

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