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Ce 29 octobre, aura lieu le deuxième tour des élections présidentielle au Congo. Le 30 juillet, ni le chef d’Etat sortant, Joseph Kabila (44,8%), ni le vice-président, Jean-Pierre Bemba (20%) n’avait obtenu la majorité absolue. Ces élections sont un petit miracle. Mais les problèmes du Congo ne vont pas être réglés par les seules élections.

L’espoir de paix des habitants de Kilo était particulièrement poignant, en ce matin humide. Ils se tenaient en effet dans l’ombre d’une fosse commune située au sommet de la colline, à une centaine de mètres à peine du bureau de vote. Trois ans plus tôt, des dizaines de personnes y avaient été tuées en un seul jour. Les victimes, des civils pour la plupart, avaient été déshabillées, placées face contre terre et tuées à coups de lances. Il y a d’innombrables fosses communes comme celle-ci partout dans le pays.

Cet espoir de paix, et ce n’est pas surprenant, est partagé par des millions de compatriotes de ce prêtre dans ce vaste pays qui est grand comme l’Europe occidentale. Le premier tour des élections qui a eu lieu cet été, et le deuxième tour qui doit se dérouler plus tard ce mois-ci, sont les étapes des premières élections démocratiques du Congo depuis plus de quarante ans. Le taux de participation a été remarquablement élevé : 70 pour cent. Beaucoup d’électeurs ont fait des kilomètres à pied pour se rendre aux bureaux de vote. Certains sont arrivés la veille, dormant dehors pour être sûrs de pouvoir voter le lendemain. Un vieil homme aveugle venu jusqu’à un bureau de vote au sud de Kilo a dit avoir fait 50 kilomètres à pied à travers la forêt pour voter, conduit par sa jeune petite-fille. Il m’a dit : « Je suis fatigué de la guerre ».

Tard ce soir-là, après m’être rendue dans des dizaines de villages pour observer le vote, je me trouvais avec Marie, employée électorale, devant un bureau de vote à proximité de Bunia, théâtre de combats acharnés au cours des années précédentes. Elle aussi espérait que les élections seraient un tournant pour le Congo. Après cinq heures de dépouillement des bulletins de vote à la lumière de la bougie, elle m’annonça doucement : « Je suis si fière de faire partie de ce processus. Je me souviendrai toujours de cette journée. »

Le fait même que ces élections puissent avoir lieu peut être considéré comme un petit miracle. Pendant cinq ans de 1998 à 2003, le Congo a été dévasté par une guerre mortelle dans laquelle des millions de personnes ont péri. Les armées de six nations africaines ont combattu ici, soutenant une multitude de groupes rebelles locaux qui se disputaient le pouvoir dans ce pays dont les citoyens sont désespérément pauvres malgré ses extraordinaires richesses minières. Cette guerre est connue comme étant la première « guerre mondiale » d’Afrique. Quand les armées étrangères se sont retirées, un gouvernement de transition a été mis en place dans la capitale, Kinshasa. Dans ce vaste pays ayant mal pourvu en routes et en électricité, les élections devaient être organisées dans un délai d’à peine trois ans. Le défi était immense. Le gouvernement rebelle composé d’anciens ennemis a consacré beaucoup de temps à se quereller pendant que des seigneurs de guerre locaux continuaient à dévaster la partie est du Congo. Après beaucoup de tentatives de persuasion des diplomates internationaux et la mise de fonds par leurs gouvernements de presque 300 millions d’euros, le premier tour des élections a finalement eu lieu en juillet. Le second tour se déroulera le 29 octobre.

Cependant, même aujourd’hui, les pronostics sont au mieux mitigés. Trois semaines après le jour des élections, le soir où les résultats du premier tour devaient être proclamés, des combats armés ont éclaté à Kinshasa entre la Garde Républicaine du candidat et président actuel Joseph Kabila, et les troupes armées de son principal adversaire, le vice-président Jean-Pierre Bemba.

Massés autour des postes de radio, des millions de Congolais attendaient les nouvelles. Quand l’heure fixée pour l’annonce des résultats de l’élection arriva, seule de la musique de danse – les rythmes irrésistibles du soukous congolais, qui a rendu la musique congolaise célèbre dans le monde entier – est venue distraire des auditeurs impatients et anxieux.

Il y avait de quoi être inquiet. Les forces de maintien de la paix des Nations Unies ont dû faire évacuer le président de la Commission Electorale Indépendante lorsque les combats sont arrivés trop près de son bureau. Il a dû faire l’annonce du résultat des élections en retard et depuis un autre endroit préparé à la hâte. Kabila est arrivé en tête des 33 candidats, sans toutefois obtenir la majorité absolue. Un second tour entre Kabila et son adversaire le plus proche Bemba a été annoncé pour ce mois-ci.

Deux jours de combats de rue ont suivi. quatorze ambassadeurs se sont à un moment retrouvés pris au piège dans la résidence de Bemba, où ils s’étaient rendus pour appeler au calme. Des gardes présidentiels ont échangé des coups de feu avec les soldats de Bemba dans les rues aux alentours. Des soldats des forces de maintien de la paix, appuyés par une petite troupe européenne, ont finalement libéré les ambassadeurs et désamorcé la crise. Au cours de ces journées, des dizaines de personnes ont péri. C’était un début de mauvais augure pour la nouvelle ère politique que le peuple congolais espérait.

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L’accent mis sur les élections était compréhensible étant donné que des décennies s’étaient écoulées depuis les dernières élections démocratiques, mais à vrai dire les problèmes du Congo ne vont pas être réglés par les seules élections. Les groupes rebelles armés, la corruption endémique, la convoitise pour la richesse minière du pays, et une armée nationale qui commet des viols et des meurtres, le tout combiné à une culture dominante d’impunité, exige une transformation du pays lui-même.

En fait, ceux qui ont gagné le pouvoir par les armes et ont ainsi acquis les positions les plus importantes dans le gouvernement de transition du Congo, ont simplement légitimé leur prise de pouvoir en devenant les principaux candidats aux élections. Kabila et Bemba, ainsi qu’un autre vice-président et ancien chef d’un groupe rebelle soutenu par les Rwandais, étaient les trois seuls candidats qui – grâce à leur accès à des fonds gouvernementaux et à leur contrôle sur des forces armées privées – étaient capables de conduire une campagne électorale nationale. Bemba et Kabila contrôlent leurs propres médias et possèdent des avions, un luxe que n’ont pas les autres. Cette compétition offrait peu de chances de réussite à de nouveaux acteurs politiques.

Comme trop souvent, les efforts internationaux n’ont pas beaucoup amélioré la situation. Les ambassadeurs de quinze gouvernements – dont la Grande-Bretagne, la France, l’Afrique du Sud et les Etats-Unis -- ont mis en place une structure pour aider à guider la transition du Congo vers la démocratie. Mais ils ont préféré détourner les yeux des sujets difficiles qui auraient pu affecter les élections. Les diplomates ont écarté les inquiétudes sur la corruption ou la nécessité de désarmer les milices privées et de les intégrer à l’armée nationale, en disant qu’il serait improductif de pousser trop loin dans un moment si délicat. Il était important, disaient-ils, « de ne pas faire de vagues ».

C’était au mieux avoir une courte vue. Le seul parti politique d’opposition bien établi du Congo a été laissé en dehors du processus électoral. Basé sur des principes de non-violence, l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social d’Etienne Tshisekedi s’est abstenu de tout rôle dans la guerre du Congo – ce qui l’a désavantagé, lui et son parti, au moment où le « gâteau » a été partagé entre les belligérants. Du fait qu’ils n’étaient pas signataires des accords de paix finals, ils ont été exclus des postes ministériels dans le découpage qui a suivi et donc n’ont pas bénéficié de l’accès aux ressources gouvernementales qui ont permis à d’autres candidats d’influencer le processus électoral. Les efforts de la communauté internationale pour les intégrer dans ce processus sont venus trop tard. Entre-temps le parti avait déjà pris la décision fatale de demander à ses partisans de ne pas s’inscrire sur les listes électorales.

On aurait pu tirer les leçons des politiques ayant échoué ailleurs, comme en Afghanistan – un pays avec une histoire similaire d’entreprises criminelles, de conflits envahissants et de seigneurs de guerre – où les donateurs internationaux ont mis en avant les élections comme la réponse à des problèmes complexes et profondément enracinés et ont obtenu à la place des violences renouvelées, des divisions aggravées (tant anciennes que nouvelles) et la légitimation de seigneurs de guerre. Le coût de cette politique transparaît dans l’instabilité de l’Afghanistan aujourd’hui. Les élections sont importantes, mais quand elles se déroulent en l’absence de réformes fondamentales elles peuvent aboutir à de nouveaux problèmes.

Les échecs tant des politiciens congolais que des acteurs internationaux laissent à la population des choix peu enviables. Le lendemain du jour où les résultats du premier tour ont été annoncés, tandis que les combats de rue faisaient encore rage à Kinshasa, j’ai déjeuné avec un professeur congolais à Goma, près de la frontière rwandaise à l’est. Il se tenait la tête entre les mains. « Nous avons besoin de nouveaux dirigeants au Congo, » disait-il, « pas des mêmes qui nous ont tués. »

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Le Congo porte l’étiquette tragique de la guerre la plus mortelle dans le monde aujourd’hui. Environ quatre millions de personnes ont péri depuis 1998. Des civils continuent à mourir au rythme de 1200 chaque jour, certains directement du fait des violences, beaucoup d’autres à cause de la faim et du manque de soins médicaux. Mais cette histoire tragique n’est pas nouvelle. Le Congo a horriblement souffert tout au long de son histoire – et de puissants intérêts extérieurs ont souvent été directement à blâmer. C’est une histoire de perpétuelles occasions manquées et d’entreprises criminelles. Les victimes sont toujours les mêmes : le peuple congolais.

En 1885 le roi des Belges Léopold II instaura sa colonie privée, l’Etat Libre du Congo, la seule colonie au monde qui ait jamais été revendiquée par un individu. Bien que le roi Léopold n’ait jamais mis les pieds dans son fief privé, il a créé de façon brutale une entreprise reposant sur le travail forcé qui l’a rendu immensément riche grâce à l’exploitation du caoutchouc et de l’ivoire. Près de dix millions de personnes ont péri, principalement au cours des vingt années qui ont précédé la première guerre mondiale, quand la demande internationale pour le caoutchouc était à son comble. Selon les termes de Adam Hochschild, auteur des Fantômes de Léopold II, le monarque était « un homme plein d’avidité et de ruse, de duplicité et de charme, comme n’importe lequel des criminels les plus complexes de Shakespeare. »

De courageux défenseurs de l’époque ont fait état des atrocités commises – têtes et mains coupées et villages entiers massacrés – par les maîtres coloniaux. Le journaliste britannique Edmund Morel a mené une campagne sur ce sujet, donnant naissance au premier grand mouvement des droits humains du vingtième siècle. Mark Twain a écrit le Soliloque du roi Léopold, un monologue imaginaire du roi Léopold dans lequel il se livre à une défense inefficace de la colonisation et enrage à propos de la campagne des médias contre lui. « Maudits soient les missionnaires qui se mêlent de tout ! » s’exclame le Roi. « Ils écrivent des tonnes de ces choses. On dirait qu’ils sont toujours là, toujours en train d’espionner, toujours en train de témoigner de ce qui se passe et tout ce qu’ils voient ils le couchent par écrit ! »

Finalement – et entre autres parce que Morel et d’autres ont témoigné des événements, l’ont mis par écrit et l’ont porté à l’attention du monde – le roi Léopold fut obligé de céder sa colonie au gouvernement belge qui la dirigea pendant un demi-siècle. En 1960, le Congo obtint son indépendance, et organisa des élections démocratiques qui portèrent au pouvoir un jeune orateur fougueux du nom de Patrice Lumumba. S’étant dressé contre les idéaux colonialistes, Lumumba est toujours vénéré par les Congolais, mais ses relations avec le bloc des pays de l’Est au plus fort de la guerre froide et son soutien au nationalisme africain scellèrent son destin. Avec la complicité du gouvernement américain, des agents belges organisèrent son arrestation et son exécution brutale. Ainsi se termina au bout de trois mois le gouvernement du premier dirigeant du Congo et jusqu’ici le seul à avoir été élu démocratiquement. L’assassinat de Lumumba fut un coup dévastateur pour les Congolais et les autres nations africaines luttant pour mettre un terme à la domination coloniale.

Le Congo entra dans une nouvelle phase de dictature où la convoitise est demeurée une constante. Mobutu Sese Seko, l’ancien secrétaire de Lumumba, prit le pouvoir grâce à un coup d’état militaire, et rebaptisa le pays le Zaïre. Ses 32 ans de dictature furent caractérisées par la corruption à une échelle tellement massive qu’elle a mené à l’invention populaire du terme « kleptocrate, » défini par le Oxford English Dictionary comme « un dirigeant qui utilise [son] pouvoir pour voler les ressources de [son] pays. » Le président et son élite politique ont pillé impitoyablement, menant le pays à un lent et long déclin économique. Sous Mobutu les citoyens du pays ont perfectionné des leçons de survie semblables à celles apprises sous Léopold et à celles qu’ils allaient continuer à utiliser pendant les années de guerre du Congo. Le récit des années Mobutu écrit par Michela Wrong, Sur les pas de Mr. Kurtz, résume bien la mentalité qui dominait pendant ces années : « Gardez la tête baissée, pensez petit et occupez-vous de vous. »

Malgré les excès du président Mobutu, sa fin se produisit non pas comme le résultat de changements à l’intérieur du pays, mais du fait des événements au Rwanda voisin. En 1994, le génocide des Tutsi rwandais et le meurtre des Hutu opposés au régime ont eu un effet cataclysmique sur les politiques de la région toute entière. Les dynamiques régionales de pouvoir ont changé lorsque les gouvernements du Rwanda et du Congo se sont effondrés et que les nations occidentales, guidées par la culpabilité de n’avoir pas arrêté les massacres massifs, ont modifié leurs politiques en faveur du nouveau gouvernement dominé par les Tutsi au Rwanda. Un diplomate m’a dit des années après le génocide : « Vous devez réaliser que le facteur de culpabilité guide maintenant notre politique étrangère envers la région. »

Pour le Congo, le premier impact du génocide fut l’arrivée de plus d’un million de réfugiés rwandais Hutu dans la région frontalière à l’est en juin 1994. Les réfugiés étaient accompagnés par les coupables du génocide – les milices Interahamwe et autres extrémistes Hutu de l’armée – qui bientôt établirent leur contrôle sur les camps de réfugiés installés par la communauté humanitaire internationale. Les forces Hutu se préparaient à reprendre les attaques contre le Rwanda et ils apportaient leur haine ethnique des Tutsi à ceux qui vivaient au Zaïre. Le gouvernement rwandais, à son tour – soutenu par l’Ouganda – a envahi le pays, déclenchant une guerre qui a duré de 1996 à 1997.

Les soldats de l’armée rwandaise ont écrasé les camps de réfugiés, provoquant le retour forcé au Rwanda de nombreux réfugiés Hutu. D’autres, comme beaucoup n’ayant pas pris part au génocide, se sont enfoncés pour fuir dans les forêts du Zaïre où des troupes rwandaises les ont poursuivis et les ont massacré par dizaines de milliers. Soutenant une alliance rebelle de groupes locaux créée à la hâte, l’armée rwandaise a marché sur Kinshasa et a évincé Mobutu, qui avait apporté son soutien aux chefs du génocide du Rwanda en 1994. Laurent Kabila, le leader de cette alliance rebelle, fut installé comme président alors que l’espoir d’une nouvelle ère se faisait jour. Kabila mit fin à l’utilisation du nom « Zaïre » et établit la République Démocratique du Congo, qui devenait un pays démocratique au moins de nom.

En réalité, le nouveau régime différait peu de l’ancien. Kabila adopta rapidement les pratiques que Mobutu, s’appuyant sur l’héritage de Léopold, avait perfectionnées : la corruption, la mauvaise gestion économique et le favoritisme envers le clan familial. Cherchant à se libérer du soutien rwandais qui l’avait aidé à obtenir la victoire, Kabila déclencha de nouvelles campagnes de haine ethnique contre toute personne liée au Rwanda, y compris les Tutsi congolais qui avaient certaines caractéristiques en commun avec ceux qui se trouvaient de l’autre côté de la frontière au Rwanda. Des centaines de Tutsi congolais furent tués dans les villes du pays. Ne voulant pas perdre leur nouvelle influence dans le Congo riche en ressources minières, et inquiets de voir les Tutsi congolais pris pour cibles, le Rwanda et l’Ouganda lancèrent une nouvelle guerre au Congo en 1998, qui finalement entraîna d’autres pays africains comme le Zimbabwe, l’Angola, la Namibie – du côté de Kabila – et le Burundi du côté des Rwandais et des Ougandais. La guerre généra une multitude de groupes rebelles et de milices locales qui cherchaient à obtenir du pouvoir et de l’influence par la force des armes, utilisant souvent les facteurs ethniques comme moyen de ralliement.

En janvier 2001, Kabila fut assassiné par un de ses gardes du corps dans le palais présidentiel à Kinshasa, apportant ainsi une fin violente à un autre leader du Congo. Son fils Joseph, âgé de 29 ans, lui a succédé comme président. Le passage du commandement du père au fils ouvrit de nouvelles opportunités pour la diplomatie. Joseph Kabila et les principaux chefs rebelles ont signé un accord de partage du pouvoir à Sun City (Afrique du Sud) en 2002, qui a conduit à l’établissement d’un gouvernement de transition l’année suivante. Le gouvernement comprenait quatre vice-présidents, un pour chacun des principaux groupes rebelles ayant combattu pendant la guerre.

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Les acteurs de la triste histoire du Congo ont été motivés par le désir de contrôler les riches ressources naturelles du pays. Du temps de Léopold, il s’agissait surtout du caoutchouc et de l’ivoire. La compétition d’aujourd’hui se concentre sur le contrôle de l’or, des diamants, du cuivre, du cobalt, et du coltan (colombite-tantalite, utilisé pour les ordinateurs portables et les téléphones portables). Les politiciens et les armées étrangères ont négocié des accords qui les ont enrichis, ont contribué au financement de la guerre et aux achats d’armes, mais ont apporté peu ou pas d’avantages au peuple congolais. Selon la phrase mémorable d’un mineur dans l’est du Congo qui travaillait dans les mines d’or : « Nous sommes maudits à cause de notre or. Tout ce que nous faisons, c’est souffrir. »

Une myriade de rapports a décrit le lien entre la guerre et l’exploitation illégale des ressources naturelles du Congo. Cependant rien, ou très peu, n’a été fait pour résoudre ce problème. Dans une série de rapports publiés entre 2001 et 2003, un panel des Nations Unies a conclu que l’exploitation minière finançait les factions guerrières du Congo. Selon le panel, les officiers de l’armée du Rwanda, de l’Ouganda et du Zimbabwe ainsi que l’élite congolaise s’enrichissaient grâce à la guerre, tuant les citoyens congolais et commettant des abus en même temps. Un ensemble d’autres organisations dont Human Rights Watch, Amnesty International et Global Witness, ont aussi décrit la façon dont les luttes pour le contrôle des richesses minières du Congo, telles que son or et ses diamants, avaient abouti à des massacres et des viols. La Cour internationale de Justice a émis un jugement de référence en 2005 concluant que l’armée d’occupation ougandaise avait tué et torturé des civils congolais, avait soutenu des groupes armés locaux coupables d’abus et avait pillé, volé et exploité les ressources naturelles du Congo, tout cela en violation du droit international. La cour a recommandé que le gouvernement ougandais répare les dommages causés. (Des statistiques commerciales obtenues par Human Rights Watch indiquent que l’Ouganda a exporté pour 60 millions de dollars en or en 2002, moins de un pour cent issu d’une production nationale. Le reste ayant été importé illégalement du Congo. Le Rwanda a aussi profité de la re-exportation de ressources minières venues du Congo.)

Etant donné que les minéraux du Congo sont principalement destinés à des sociétés multinationales basées en Europe et en Amérique du Nord, des accusations ont également été portées contre ces entreprises pour leur rôle dans la contribution aux difficultés du Congo. Le panel des Nations Unies a conclu que des dizaines de sociétés européennes et nord-américaines avaient enfreint les règles du commerce international dans leurs opérations au Congo. Les résultats du panel s’avèrent gênants pour des membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui étaient réticents à punir ou même à enquêter sérieusement sur les sociétés basées dans leur propre pays. Jusqu’ici, aucune de ces sociétés n’a été sanctionnée, bien que plusieurs aient modifié leurs pratiques après la publicité donnée à leur rôle au Congo.

Une commission parlementaire congolaise spéciale a établi que des dizaines de contrats signés pendants les années de guerre étaient soit illégaux soit de peu de valeur pour le peuple congolais. Elle a recommandé leur résiliation ou leur renégociation. Les conclusions du rapport, qui désignait des politiciens congolais de premier plan, n’ont jamais été débattues. Des centaines de copies du rapport destinées aux membres du parlement ont disparu. Des membres de la commission ont reçu des menaces de mort. Certains diplomates ont demandé à ce que les conclusions du rapport ne soient pas débattues avant les élections, prétendant qu’un tel débat pourrait « troubler le processus électoral. »

L’exploitation douteuse des ressources congolaises n’a pas cessé mais s’est plutôt accélérée apparemment avec la fin de la guerre et l’établissement du gouvernement de transition. Des responsables de la Banque mondiale disent en privé que le nombre de concessions de droits d’exploration pour d’importantes zones riches en minerais a été multiplié par quatre en 2005. Beaucoup des accords comportaient des provisions troubles qui ne devraient pas faire grand chose pour le développement du pays.

Sur le terrain aussi, et en particulier dans la partie est du pays riche en minerais, le conflit qui s’est déroulé au cours des trois dernières années de transition a été lié à la compétition pour les ressources. L’année dernière, des soldats de l’armée nationale ont utilisé des villageois pour du travail forcé, les obligeant à creuser dans les mines d’or de Bavi, dans le nord-est du Congo. Les soldats ont menacé de tuer les habitants s’ils refusaient de se soumettre. Ils ont arrêté un des chefs locaux, l’ont battu et mis dans un trou servant de prison souterraine. Il m’a dit : « J’ai essayé d’arrêter ce qu’ils faisaient, de défendre les gens. Ils m’ont attaché et m’ont frappé. Nous étions impuissants contre eux. » Pendant douze heures par jour, des centaines d’hommes et de garçons de ces villages ont rampé dans la boue à la recherche d’or qui remplirait seulement les poches des militaires.

La communauté internationale reconnaît que l’exploitation des ressources naturelles a joué un rôle central dans l’aggravation du conflit au Congo. Et pourtant, presque rien n’a été fait pour la contrôler. S’il n’y a pas de progrès concernant ce problème crucial, il est probable que le conflit militaire continuera.

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Des groupes rebelles locaux continuent à violer et à tuer, tout comme le font des groupes armés étrangers du Rwanda et de l’Ouganda. Mais l’une des principales menaces pour les civils congolais est maintenant la nouvelle armée congolaise elle-même, un mélange de soldats venant des groupes rebelles dissous ainsi que de l’ancienne armée nationale.

Dix jours après les élections, j’ai pu voir deux soldats accompagnant un petit groupe de civils le long de la route venant de Gethy, une ville de la partie nord-est du Congo. Les six personnes, membres de la même famille, transportaient sur leurs têtes des chaises, des bancs et un toit en tôle ondulée. Le travail forcé, le pillage et le viol de civils par des soldats sont chose courante ici, aussi mon compagnon, un défenseur congolais des droits humains, et moi-même nous nous sommes arrêtés pour poser des questions. L’une des femmes, portant un enfant sur le dos et un banc d’église sur la tête, n’a rien dit tout en nous regardant d’un air suppliant. Ses mains tremblaient. « Il n’y a aucun problème », a ri un des soldats. « Nous escortons ces gens pour leur propre sécurité. »

Les membres de la famille avaient une autre version de l’histoire. Ils avaient été contraints de fuir leur maison deux mois auparavant, lorsque des soldats avaient réduit leur village en cendres, tuant leur grand-mère incapable de s’enfuir. Ce matin-là ils étaient à la recherche de nourriture dans les champs quand les soldats les avaient amenés à l’église sous la menace des armes. Ils ont obligé les hommes à enlever les tôles du toit et ont ordonné aux femmes de transporter les chaises et les bancs. Les soldats ont menacé de les tuer tous s’ils n’obéissaient pas. Mon compagnon a poliment mais fermement fait remarquer que les actions des soldats étaient illégales et que les personnes devaient être relâchées immédiatement. En cette occasion au moins, les soldats ont reculé. « Une armée de bandits, » a dit mon compagnon, tandis que la famille s’entassait dans notre voiture et que nous les amenions jusqu’à un endroit temporairement sûr.

Les civils congolais craignent la nouvelle armée nationale, tout comme ils craignaient la Force Publique du roi Léopold – qui avait l’habitude de couper les mains de ceux qui refusaient de recueillir le caoutchouc – et tout comme ils craignaient les forces de sécurité de Mobutu, connues pour leurs violences et leurs pillages à grande échelle. Les forces de Mobutu ont pillé deux fois la capitale, en 1991 et 1993.

Plus récemment, des soldats congolais ont tué et violé, dans le cadre d’opérations militaires pour stopper les groupes rebelles opposés au gouvernement de transition. Plus tôt cette année, par exemple, un groupe d’une vingtaine de personnes espérait être en sécurité quand elles se sont rassemblées dans une église dans le village de Nyata, à une heure de route au sud de Bunia, après avoir fui un combat entre l’armée et une milice rebelle. Elles se trompaient. Des dizaines de soldats ont ouvert le feu depuis la porte et à travers les fenêtres de l’église, malgré les cris des personnes à l’intérieur disant qu’elles étaient des civils. Sept personnes ont péri, dont deux bébés. Quand les tirs ont cessé, un responsable local a essayé d’aider deux femmes âgées blessées. Il a demandé aux soldats pourquoi ils avaient tué des gens à l’intérieur de l’église. « Ce n’est pas notre problème. C’est votre problème, » ont répondu les soldats.

Dans la province de Katanga, dans le sud du pays, une opération militaire tout aussi meurtrière a été menée contre un autre groupe rebelle. Dans le cadre de l’opération, des soldats ont attaqué le village de Kyobo, et arrêté une vingtaine d’hommes, de femmes et d’enfants. Ils ont attaché les détenus avec des cordes élastiques, les ont battus et brûlés avec des barres de fer chauffées à blanc. A travers les murs, les détenus entendaient les hurlements des autres pendants qu’ils étaient torturés. Quelques jours plus tard, les soldats ont exécuté six des hommes et ont jeté deux des cadavres d’un pont à proximité dans une tentative pour dissimuler des preuves.

L’armée congolaise est rongée par la corruption. Chaque mois, les officiers supérieurs volent environ 2,2 million d’euros sur les fonds mis de côté pour les salaires des soldats. Ils gonflent le nombre des soldats dans la troupe – phénomène connu sous le nom de soldats fantômes – afin d’empocher plus d’argent. Les donateurs internationaux pour tenter de réformer l’armée ont décidé de surveiller l’argent dans son cheminement jusqu’au soldat d’infanterie de base. Cela a d’abord eu un certain succès, mais même les soldats de base qui reçoivent leur salaire complet de 19 euros par mois ont à peine de quoi subsister et la motivation pour piller et extorquer de l’argent reste forte.

Une autre contrainte importante pour la réforme de l’armée est que certains anciens belligérants se sont montrés réticents à engager leurs soldats dans une armée nationale intégrée. Ils ont préféré plutôt conserver leurs propres forces militaires jusqu’à ce qu’ils sachent comment allaient tourner les élections. La plus importante de ces forces est la propre garde présidentielle du président Kabila, qui compte 15 000 membres, largement constituée d’hommes de son propre groupe ethnique.

Le vice-président Bemba, lui aussi, a d’importantes forces privées sous ses ordres. L’un des diplomates pris au piège dans la maison de Bemba tandis que les soldats de Kabila et de Bemba se battaient dehors, admet que la communauté internationale a ignoré le problème de ces milices privées, en particulier la garde présidentielle, pendant trop longtemps. Désireux peut-être de trouver le verre à moitié plein, il dit : « Au moins le problème a été reconnu. C’est juste que personne ne sait quoi faire à ce sujet. »

Tandis que les diplomates examinent le problème, il est largement reconnu que tant Kabila que Bemba se procurent davantage d’armes pour leurs milices.

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Les Congolais reconnaissent que pour vaincre les problèmes de leur pays, la justice est nécessaire. Pourtant leurs dirigeants ont montré bien peu de désir de justice, et beaucoup d’entre eux ont du sang sur les mains. Au cours des deux dernières années, des dizaines de seigneurs de guerre accusés de meurtre, de torture et de viol ont été nommés généraux ou colonels dans l’armée congolaise. Certains membres du gouvernement prétendent que ces nominations sont un mal nécessaire pour éloigner le pays d’un conflit violent. Pourtant ces tentatives d’inclusion ont eu l’effet opposé, facilitant l’émergence d’encore plus de seigneurs de guerre, qui considèrent la violence armée comme la meilleure façon d’obtenir des positions de pouvoir. Des diplomates et des politiciens prétendent qu’il y a des moments où la justice doit attendre afin d’établir les conditions qui mèneront à la paix, mais l’expérience montre qu’une telle paix dure rarement si elle n’est pas suivie de l’exigence pour les coupables de crimes majeurs de rendre des comptes.

La nouvelle Cour pénale internationale, qui existe depuis 2002, est vue par beaucoup de Congolais comme pouvant offrir un espoir de justice aux victimes du Congo et comme la perspective d’empêcher des crimes futurs. Il y a deux ans, la cour a annoncé sa toute première enquête, centrée sur les crimes commis dans la région est du Congo. Au mois de mars de cette année, la cour a rendu son premier arrêt et a entamé une procédure contre Thomas Lubanga, un seigneur de guerre congolais responsable de tortures, de viols et de massacres à caractère ethnique, dans le district de l’Ituri, dans le nord-est. Les résultats ont été immédiats : la peur d’être arrêtés s’est répandue parmi d’autres responsables de crimes de guerre. L’une de ces personnes que j’ai rencontrée dans un lieu reculé du Katanga, dans le sud du Congo, plus tôt cette année, s’est inquiétée quand j’ai souligné que c’était un crime de guerre d’arrêter et d’exécuter ses rivaux. « Je ne veux pas finir comme Lubanga, » s’est-il écrié.

Même ici, cependant, les espoirs sont déçus. Le procureur de la Cour a inculpé Lubanga de recrutement d’enfants soldats, un crime grave. Mais à ce jour aucune action n’a été entreprise contre d’autres milices, d’autres individus à Kinshasa ou des soldats des armées rwandaise et ougandaise, alors qu’ils ont contribué à la mort de plus de 60 000 personnes en Ituri.

Les victimes qui ont souffert entre les mains de plus d’une dizaine de seigneurs de guerre dans cette région du Congo veulent savoir pourquoi d’autres ne sont pas jugés. « C’est une justice sélective, » m’a dit un chef de communauté à Bunia, commentant cette arrestation unique. « Cela ne nous aidera pas à révéler la vérité sur ce qui s’est passé et pourquoi nous avons tant souffert. » Un Congo nouveau et stable a peu de chances d’émerger tant que les coupables de tous bords ne sont pas traduits en justice.

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L’avidité du roi Léopold a inspiré le livre le plus célèbre sur le Congo : Au cœur des ténèbres, de Joseph Conrad. Publié en 1902, le livre décrit un voyage effectué par le narrateur, Marlow, tandis qu’il remonte la rivière Congo et qu’il découvre l’inhumanité de l’homme blanc envers son semblable dans sa recherche de la richesse. Le titre du livre de Conrad – et les mots fréquemment cités de son personnage principal Mr. Kurtz, qui bredouille « l’horreur, l’horreur » en mourant sur un bateau à vapeur qui descend la rivière Congo - ont souvent été utilisés pour se référer aux malheurs du Congo aujourd’hui, comme si le pays était en quelque sorte prédisposé aux sombres atrocités et à la violence. Mais le véritable message de Conrad n’est pas la barbarie des Congolais mais plutôt la convoitise des étrangers. Il a trouvé au Congo, « la lutte la plus odieuse pour l’argent qui ait jamais défiguré l’histoire de la conscience humaine. » Une situation qui a peu changé un siècle plus tard.

Des gouvernements puissants se détournent de vérités dérangeantes quant au rôle joué par l’exploitation illégale des ressources naturelles et par les sociétés multinationales dans l’aggravation de la violence au Congo. Ils ignorent la corruption à grande échelle et les abus terribles commis par les dirigeants du pays, comme ils l’ont fait avec Léopold et Mobutu. C’est facile, et en partie justifié, de faire porter la responsabilité des problèmes du Congo à ses dirigeants, mais les multinationales et les dirigeants des gouvernements voisins doivent aussi rendre des comptes pour les rôles qu’ils ont joués dans la continuation d’une violence massive qui est largement passée sous silence dans la presse internationale.

Avec le deuxième tour des élections qui va avoir lieu, le Congo se tient à nouveau à une croisée importante de son histoire. Quel que soit le résultat des urnes, les dirigeants politiques devront affronter les problèmes sous-jacents qui déstabilisent le pays. Ils doivent arrêter l’exploitation illégale des richesses minières du Congo, demander des comptes aux individus responsables de crimes de guerre, et restructurer l’armée de sorte qu’elle protège les citoyens du Congo au lieu de les exploiter. Plus important peut-être, ils doivent garantir les droits civils et politiques qui permettront à de nouveaux acteurs politiques d’émerger de sorte que les prochaines élections du Congo puissent offrir un meilleur choix à ses citoyens.

La communauté internationale n’est que trop désireuse de se laver les mains de ce processus pénible et coûteux, et de s’en aller. Les diplomates américains et européens se plaignent du coût que représente la force de maintien de la paix des Nations Unies au Congo. Ils aimeraient réduire le nombre de casques bleus bientôt après les élections et pouvoir déclarer que la transition au Congo est une réussite. Si l’on peut comprendre les problèmes de coûts, réduire le nombre de soldats du maintien de la paix aussi vite fera obstacle à l’établissement d’une nouvelle administration civile efficace et risque de répéter les erreurs du passé. Selon les termes d’un haut responsable des Nations Unies se référant au rôle des soldats de maintien de la paix au Congo dans les années soixante : « Nous étions ici quand c’était la pagaille il y a quarante ans et si nous n’aidons pas à arranger les choses maintenant, nous serons ici à nouveau dans quarante ans. »

Pour les électeurs congolais, les attentes sont aussi simples qu’ambitieuses. A Kisangani, la troisième ville du Congo, qui a été ravagée au cours de ces dernières années par des combats entre les armées d’occupation de l’Ouganda et du Rwanda, une mère de quatre enfants a dit qu’elle avait un souhait pour son pays. « Nous sommes fatigués de pleurer. Nous voulons seulement la paix et pouvoir voir nos enfants grandir. J’espère que les politiciens comprennent ça. »

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