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Algérie: l'impunité ne devrait pas être le prix à payer pour la réconciliation

Le plan de paix du président amnistierait les auteurs d'atrocités et enterrerait la vérité

La nouvelle “Charte pour la paix et la réconciliation nationale,” du Président Abdelaziz Bouteflika, dévoilée le 15 août dernier, offre davantage aux auteurs de violations des droits humains qu'aux victimes, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

La Charte trace les grandes lignes d'un plan qui permettrait de tourner la page suite au conflit qui a coûté la vie à plus de 100.000 Algériens depuis 1992 et a conduit à la disparition forcée de milliers d'autres qui, à ce jour, sont toujours portés disparus. Les Algériens voteront oui ou non à la Charte proposée lors d'un référendum national prévu le 29 septembre.

Dans un document d'information de 18 pages, Human Rights Watch a accueilli favorablement certains volets de la Charte mais a toutefois souligné que dans les faits, celle-ci renforçait l'impunité pour les graves crimes commis par des agents de l'Etat tout en accordant l'amnistie aux insurgés armés pour bon nombre des atrocités qu'ils ont perpétrées pendant plus de dix ans de conflit civil. L'organisation de défense des droits de l'homme s'inquiète en outre du fait que le climat politique régnant et le délai restreint d'ici au référendum ne contribueront pas à un débat public ouvert sur la Charte, fondé sur une bonne connaissance de cette dernière.

La Charte donne pour mandat au président de chercher à obtenir, au nom de la nation algérienne, le “pardon” des familles de “disparus” et de toutes les autres victimes de ce qu'elle appelle “la tragédie nationale.” Les ayants droit des personnes "disparues" auraient également droit à des indemnisations et à une assistance pour “transcender dans la dignité” la dure épreuve qui les touche.

Selon Human Rights Watch, la Charte évite cependant de mentionner le droit des victimes, ou des Algériens en général, d'apprendre la vérité sur les “disparitions” et autres atrocités commises tant par les agents de l'Etat que par les groupes armés depuis 1992. Elle n'envisage pas la possibilité d'une commission vérité ou de tout autre mécanisme visant à enquêter et à réclamer des comptes aux auteurs des crimes.

“Pour les proches des ‘disparus,’ des indemnisations et une excuse officielle constituent un pas en avant,” a expliqué Joe Stork, directeur adjoint à la Division Moyen-Orient et Afrique du nord de Human Rights Watch. “Mais elles ne remplacent pas le droit des familles à connaître la vérité et à ce que justice soit rendue. Ce droit ne peut leur être retiré, même par un vote majoritaire.”

La Charte ne propose pas explicitement d'amnistie en faveur des agents de l'Etat responsables d'exactions mais elle fait peu de cas du rôle qu'ils ont joué dans la perpétration de violations graves et systématiques des droits humains. Cela renforce l'impunité dont ils ont joui jusqu'à présent et soulève des inquiétudes quant à la possibilité que son approbation puisse mener à une loi d'amnistie en leur faveur. La Charte affirme, mais cette position est contestable, que les “disparitions” étaient l'œuvre d'individus isolés et non d'institutions, absolvant par là-même de toute responsabilité les hauts responsables du gouvernement et des services de sécurité.

Le plan de paix propose d'étendre et d'élargir une amnistie de 1999 dont bénéficient les membres de groupes armés qui se rendent et de libérer ou de réduire les peines des activistes emprisonnés. Bien qu'il stipule que certains crimes—massacres collectifs, viols et attentats à l'explosif dans les lieux publics— ne font l'objet d'aucune amnistie, un activiste coupable d'enlèvement et de meurtre délibéré, y compris à de multiples reprises, échapperait aux poursuites ou pourrait quitter la prison.

“La double lacune de la Charte est qu'elle octroie l'amnistie aux tueurs appartenant aux groupes armés —pour autant qu'ils n'aient pas commis de massacres collectifs—, tout en passant sous silence le rôle des agents de l'Etat, notamment de hauts fonctionnaires, qui ont perpétré ou fermé les yeux sur de graves atteintes aux droits humains,” a déclaré Stork. “L'expérience d'autres sociétés sorties d'un conflit interne montre que la réconciliation nationale a beaucoup plus de chances de réussir lorsque certains efforts sont à tout le moins consentis pour découvrir et révéler la vérité et pour traduire en justice les auteurs des crimes, quel que soit leur camp.”

Human Rights Watch estime qu'un plan qui aura des conséquences aussi profondes mérite davantage que le délai de quarante-cinq jours de discussion publique prévu avant la tenue du référendum. L'organisation recommande vivement aux autorités d'encourager un vaste débat ouvert autour de la Charte en offrant du temps d'antenne à des opinions diverses sur les chaînes de télévision et de radio contrôlées par l'Etat et en mettant fin aux pressions exercées sur la presse privée et les organisations des droits humains.

Human Rights Watch a également critiqué les dispositions de la Charte qui semblent écarter toute réhabilitation politique pour le Front Islamique du Salut (FIS) et ses dirigeants.

Les recommandations de Human Rights Watch aux autorités algériennes sont notamment les suivantes:

•Faire en sorte que toute mesure d'amnistie soit élaborée de façon à exclure les auteurs de graves violations des droits humains, qu'il s'agisse d'agents de l'Etat ou de membres des groupes armés. La définition de graves violations devrait inclure les exécutions extrajudiciaires, les actes de torture et les disparitions forcées.

•Faire en sorte que tout plan visant à aborder résolument la question des “disparitions” respecte le droit des victimes et de leurs familles à la vérité et à la justice. L'un des moyens pourrait être la mise sur pied d'un organe impartial dont les pouvoirs, les ressources, le mandat et l'indépendance seraient conformes aux normes internationales définies pour des commissions sur la vérité efficaces.

•Divulguer les décisions rendues par les Comités de probation établis par la Loi de 1999 sur la concorde civile et chargés d'examiner les demandes d'amnistie émanant des activistes qui se rendent. Ces renseignements permettront au public d'évaluer si ces comités ont bien exclu de l'amnistie les auteurs de graves violations des droits humains; ils contribueront par ailleurs à un débat en toute connaissance de cause sur la façon de garantir un processus d'examen efficace pour les futurs candidats à l'amnistie.

•Faire en sorte que tout effort visant à aider les victimes de violence politique accorde une attention spéciale aux besoins psychosociaux particuliers des nombreuses femmes qui ont été violées par des membres des groupes armés.

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