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La loi d’amnistie risque de légaliser l’impunité pour les auteurs de crimes contre l’humanité Déclaration conjointe

La proposition, par le président algérien Abdelaziz Bouteflika, d’une amnistie générale pour les auteurs d’atteintes aux droits humains commises lors du conflit interne qui a ravagé le pays, pourrait priver définitivement les victimes et leurs familles de leur droit à la vérité, à la justice et à des réparations, ont averti plusieurs organisations internationales de défense des droits humains ce jeudi 14 avril.

Parmi elles figurent Amnesty International, Human Rights Watch, le Centre International pour la Justice Transitionnelle, la Commission internationale de juristes et la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme Le président Abdelaziz Bouteflika propose une loi d’amnistie allant dans le sens d’une « réconciliation nationale ». Il a récemment déclaré qu’il envisageait un référendum sur la loi « dès que les conditions nécessaires seront satisfaites. »

Jusqu’à présent, on sait peu de choses sur les termes de l’amnistie proposée. Aucun projet de loi n’a été rendu public, mais certaines déclarations officielles indiquent que la loi exemptera de poursuites les membres des groupes armés, des milices armées par l’État et des forces de sécurité pour les délits commis durant le conflit, y compris les atteintes graves aux droits humains.

Cette proposition intervient après des années d’un manque de détermination certain des autorités algériennes pour enquêter sur les graves atteintes aux droits humains perpétrées durant le conflit interne qui a débuté en 1992. Au vu de la gravité et de l’ampleur des exactions commises, dont certaines constituent de graves violations des droits humains, l’échec est d’autant plus grave.

Au cours de récentes déclarations publiques, le président Abdelaziz Bouteflika a admis que 200 000 personnes avaient été tuées durant le conflit. Des dizaines de milliers d’entre elles étaient des civils, hommes, femmes et enfants, qui sont morts au cours d’attaques violentes. Des milliers de personnes ont été torturées en détention. Des milliers d’autres ont « disparu » après leur arrestation par les forces de sécurité ou ont été enlevées par des groupes armés et exécutés sommairement par eux.

Dans la grande majorité des cas, les autorités n’ont rien fait pour éclaircir les circonstances des crimes et traduire leurs auteurs présumés en justice, en dépit des efforts incessants des victimes et de leurs familles pour chercher à établir la vérité et pour fournir des informations aux autorités judiciaires lorsqu’un dossier de plainte avait été constitué.

Dans ce contexte, une amnistie générale signifierait que l’héritage du passé resterait à tout jamais enfoui, ce qui pourrait affaiblir durablement toute perspective d’un avenir pleinement respectueux des droits humains. En empêchant la vérité sur les crimes du passé d’éclater devant des tribunaux algériens, la loi d’amnistie stopperait toute chance de voir les notions de justice et de responsabilisation devenir des éléments de la transition vers la paix.

L’amnistie entérinerait également l’absence d’enquêtes sur des milliers de « disparitions ». À la fin du mois de mars, une commission en charge des « disparitions », nommée par le gouvernement et communément désignée comme mécanisme ad hoc, a soumis un rapport et des recommandations au président Abdelaziz Bouteflika. Ce rapport n’a pas été rendu public. Selon les médias, il établirait que 6146 personnes ont « disparu » aux mains des forces de sécurité entre 1992 et 1998, chiffre établi à partir des plaintes déposées par les familles ; la principale recommandation du rapport concernerait le paiement d’indemnités aux familles. Jusqu’à présent, aucun détail n’a été donné sur la façon dont ces indemnités pourraient être allouées dans la pratique, ni quelles ressources financières et autres l’État pourrait mettre à disposition.

La reconnaissance officielle de milliers de « disparitions » perpétrées par des agents de l’État est un progrès significatif. Toutefois, la commission n’avait pas pour mandat de chercher à savoir ce qu’il était advenu des « disparus », ou d’identifier les responsables. Sans fournir aucune preuve qui soit basée sur des faits, le chef de la commission, Farouk Ksentini, a déclaré lors d’interviews accordées aux médias, que les « disparitions » avaient été des actes isolés commis par des agents de l’État à titre individuel, tentant ainsi d’exonérer de toute responsabilité pénale les supérieurs des agents et de décharger l’État de son devoir d’enquête et de poursuites en justice des responsables présumés. Farouk Ksentini a également souligné que les agents de l’État devraient bénéficier de la mesure d’amnistie à venir.

Des organisations de familles de « disparus » ont vu dans ces annonces un déni définitif de vérité et de justice. Les familles n’ont ménagé aucun effort pour retrouver la trace de leurs proches, parfois plus de dix années durant, dans une inquiétude constante, sans savoir si ceux qu’elles recherchaient étaient vivants ou morts. Leurs plaintes devant les tribunaux algériens sont restées dans les tiroirs ou ont été classées sans suite, les autorités judiciaires ne pouvant ou ne voulant pas enquêter véritablement. Jusqu’à présent, à la connaissance des organisations signataires, pas une famille de « disparus » n’a obtenu d’information vérifiable concernant le sort d’un proche recherché.

Les organisations signataires reconnaissent que c’est aux Algériens eux-mêmes qu’il revient de décider de la façon dont ils géreront l’héritage de leur passé, à l’occasion d’un débat national dans lequel les libertés d’expression, de réunion et d’association seront pleinement respectées. Toutefois, les principes fondamentaux de vérité, justice et réparations ne peuvent faire l’objet de compromis. Les organisations signataires s’opposent aux amnisties, aux grâces et autres mesures du même type ayant pour effet d’empêcher que n’éclate la vérité, d’empêcher que soit rendu un verdict d’innocence ou de culpabilité et d’empêcher que ne soient versées des réparations aux victimes et aux familles.

Concernant la perspective d’un référendum sur la loi d’amnistie, les signataires rappellent au gouvernement algérien qu’il ne peut se soustraire à ses obligations internationales en adoptant à l’échelon national des lois contraires à ces obligations, que ces lois résultent d’un vote au parlement ou d’un référendum. Le respect et la protection des droits fondamentaux des personnes ne peuvent faire l’objet d’un vote à la majorité.

Les amnisties, les grâces et autres mesures nationales similaires aboutissant à l’impunité pour les auteurs de crimes contre l’humanité et autres graves atteintes aux droits humains, actes de torture, exécutions extrajudiciaires, « disparitions », bafouent les principes fondamentaux du droit international. Un certain nombre d’autorités, telles que le secrétaire général des Nations unies, des organes des Nations unies ainsi que des organes régionaux faisant autorité et des tribunaux internationaux ont établi qu’aucune amnistie ou mesure similaire ne devrait accorder l’impunité aux auteurs d’atteintes graves aux droits humains.

Les organisations signataires renouvellent leur appel au gouvernement algérien pour qu’il fasse respecter le droit de toutes les victimes d’atteintes graves aux droits humains à la vérité, à la justice et à des réparations. Les organisations considèrent ces garanties comme essentielles à tout processus de réconciliation. Elles sont également essentielles, avec d’autres mesures, à la construction de fondations solides pour la protection future des droits humains

Complément d’information
Le président Bouteflika a, pour la première fois, évoqué publiquement la perspective d’une amnistie générale en novembre 2004. Cette proposition s’inscrit dans une série de mesures prises précédemment avec l’intention affichée de favoriser la réconciliation nationale. En 1999, la loi dite loi sur la concorde civile accordait la clémence aux membres de groupes armés qui renonçaient à la violence. Ceux qui n’avaient ni tué, ni violé, ni placé de bombes dans des lieux publics étaient exemptés de toutes poursuites, ceux qui avaient commis de tels actes bénéficiaient de peines réduites.

On dispose de peu d’informations sur l’application de cette loi et sur les poursuites judiciaires engagées contre des membres de groupes armés ayant perpétré de graves atteintes aux droits humains. D’après les informations transmises par les militants locaux, les victimes et les familles, aucune enquête judiciaire n’a été menée dans la plupart des cas et des milliers de membres de groupes armés ont été de facto exemptés de toutes poursuites, sans que l’on ait déterminé s’ils avaient ou non commis de graves atteintes aux droits humains.

Un décret présidentiel en janvier 2000 a accordé une amnistie à des centaines de membres de certains groupes armés ayant déclaré des cessez-le-feu en 1997, sans qu’ait été prise en compte leur éventuelle participation à des atteintes graves aux droits humains

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