(Washington) – La police et les forces de sécurité équatoriennes ont restreint la liberté de réunion et ont parfois fait usage d'une force excessive dans leur réponse aux manifestations antigouvernementales depuis la mi-septembre, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Depuis le 18 septembre, la principale organisation autochtone du pays organise des manifestations à la suite de la décision du président Daniel Noboa de supprimer les subventions portant sur le diesel. Si certains manifestants ont recouru à la violence, la plupart des rassemblements ont été pacifiques. Le gouvernement a réagi en déployant l'armée, qui a fait usage d'une force excessive à plusieurs reprises contre les manifestants. Le gouvernement a accusé les manifestants de « terrorisme » et a gelé les comptes bancaires de groupes et de dirigeants environnementaux et autochtones.
« Le gouvernement équatorien devrait respecter les droits des manifestants, et répondre aux griefs qui poussent régulièrement les Équatoriens à descendre dans la rue », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les manifestants qui commettent des actes de violence doivent faire l'objet d'enquêtes, mais cela ne justifie pas de stigmatiser les autres manifestants ou de recourir à une force excessive. »
Human Rights Watch a vérifié 15 vidéos de manifestations montrant des soldats ou des policiers dispersant de force des manifestations pacifiques et utilisant sans discernement et de manière imprudente des gaz lacrymogènes et d'autres armes dites « à létalité réduite ». Les chercheurs ont également examiné des documents officiels suspendant un média et ouvrant des enquêtes contre des défenseurs de l'environnement et des personnes autochtones. Ils ont également sollicité les commentaires des ministères de l'Intérieur et de la Défense concernant les allégations de recours excessif à la force et de décès liés aux manifestations.
Le 12 septembre, le président Noboa a supprimé la subvention de longue date sur le diesel, augmentant ainsi le prix du carburant de plus de 50 %. Il a déclaré que cette subvention coûtait près de 1,1 milliard de dollars (monnaie utilisée en Équateur) par an au gouvernement, et compromettait la « viabilité des finances publiques ». À l'instar des mouvements de protestation des années précédentes, diverses organisations et travailleurs ont immédiatement annoncé des manifestations en réponse à cette décision.
Le 16 septembre, le président Noboa a émis un décret présidentiel déclarant l'état d'urgence dans 7 des 24 provinces du pays, invoquant de « graves troubles internes » causés par des manifestants bloquant les routes. Le décret a suspendu le droit à la liberté de réunion, et déclenché le déploiement des forces armées. Le 3 octobre, la Cour constitutionnelle a limité la portée de ce décret à deux provinces ; mais le 4 octobre, le président Noboa a émis un nouveau décret couvrant 10 autres provinces. La Cour n'a pas encore examiné ce décret.
Depuis janvier 2024, le président Noboa a recouru à plusieurs reprises à l'état d'urgence pour déployer l'armée dans les rues de l'Équateur et dans des prisons, ce qui a entraîné une augmentation des signalements de violations des droits humains. Il a également déclaré que le pays était confronté à un « conflit armé interne », afin de justifier un recours plus large et potentiellement plus létal à la force militaire, ce que la Cour constitutionnelle a remis en question.
Le 18 septembre, la Confédération des nationalités autochtones de l'Équateur (Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador, CONAIE) et d'autres mouvements autochtones ont annoncé une grève nationale en réponse à la suppression des subventions sur le diesel, au manque d'accès aux soins de santé et à l'éducation, et à l'extraction pétrolière sur des terres autochtones. Les manifestations se sont étendues à tout le pays, se transformant en mouvement antigouvernemental plus large.
Certains manifestants se sont livrés à des actes de violence, notamment en endommageant des biens publics et privés. En septembre, des personnes autochtones ont apprehendé 17 soldats et les ont détenus pendant trois jours. Le gouvernement a également signalé deux attaques contre des convois officiels transportant le président. Dans un courriel envoyé à Human Rights Watch le 17 octobre, le ministre de la Défense par intérim a fait état d'« agressions mortelles » contre des soldats et de cas d'« enlèvements [et] de torture ».
Au 18 octobre, l'Alliance pour les droits humains en Équateur (Alianza por los Derechos Humanos de Ecuador), une coalition d'organisations de défense des droits humains, avait reçu 377 signalements de violations des droits humains commises pendant les manifestations, qui ont fait au moins 296 blessés et deux morts.
Dans une vidéo vérifiée par Human Rights Watch, on voit des forces de sécurité près de la communauté de Huaycopungo, dans la province d'Imbabura, tirer des grenades lacrymogènes à faible trajectoire sur des maisons où il ne semble y avoir aucune foule. Les grenades lacrymogènes devraient toujours être lancées en arc de cercle vers des zones ouvertes, et la force ne doit être utilisée que lorsque cela est nécessaire pour atteindre un objectif légitime.
Une autre vidéo filmée à Otavalo montre un agent de sécurité tirant à bout portant avec un lance-projectiles directement sur un manifestant qui s'enfuit. Il n'est pas possible d'identifier le type de projectile utilisé. L'utilisation d'armes moins létales de cette manière n'est pas justifiable au regard des normes internationales en matière de droits humains et crée un risque de préjudice grave.
Efraín Fueres est décédé lors des manifestations à Cotacachi, dans la province d'Imbabura, le 28 septembre. Human Rights Watch a vérifié trois vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrant une personne que les organisations de défense des droits humains, les médias et les membres de la communauté ont identifiée comme étant Fueres. Une vidéo, filmée par une caméra de vidéosurveillance fixe et publiée sur X, montre Fueres porté par un groupe de quatre personnes au milieu de dizaines d'autres qui fuient ce qui semble être des gaz lacrymogènes.
Les personnes qui transportaient Fueres l'ont laissé sur le sol et trois d'entre elles ont pris la fuite à l'approche de véhicules blindés. Une personne vêtue d'une chemise bleue est restée auprès de Fueres. Une autre est revenue et semble avoir pratiqué un massage cardiaque, puis a pris la fuite à son tour.
Les véhicules blindés reviennent et cinq personnes en uniforme militaire en sortent et frappent Fueres et l'autre homme pendant plusieurs minutes. Un membre des forces de sécurité tire des gaz lacrymogènes. Les soldats partent ensuite et les manifestants finissent par emporter Fueres.
L'organisation de défense des droits humains Fundación Regional de Asesoría en Derechos Humanos (INREDH), a rapporté que Fueres est décédé des suites d'une blessure par balle dans le dos qui lui a perforé le poumon. Le bureau du procureur général a ouvert une enquête sur l'usage apparemment illégitime de la force qui a causé la mort de Fueres.
L'Alliance pour les droits humains a également signalé qu'au moins 205 personnes avaient été arrêtées. Certains manifestants ont été accusés de terrorisme.
Le gouvernement a également pris des mesures pour porter atteinte à la liberté d'expression et d'association des organisations autochtones et des groupes environnementaux, a déclaré Human Rights Watch.
Le 22 septembre, l'agence de régulation des télécommunications a suspendu pour 15 jours la chaîne UHF Channel 47, exploitée par le média communautaire Mouvement indigène et paysan de Cotopaxi (TV MICC). La décision, que Human Rights Watch a examinée, cite un rapport « secret » indiquant que le média aurait « porté atteinte à la sécurité nationale ». Deux autres médias communautaires ont signalé avoir été temporairement suspendus dans des circonstances similaires.
Depuis le 19 septembre, les autorités ont gelé les comptes bancaires d'organisations et de dirigeants autochtones et environnementaux, apparemment sur la base de rapports de renseignement « secrets ». Le ministère de l'Intérieur a affirmé que ces groupes avaient financé des manifestations violentes. Une nouvelle loi sur la transparence sociale impose une surveillance accrue des organisations non gouvernementales et permet aux autorités de geler leurs comptes bancaires sans décision judiciaire. En vertu de cette loi, le gouvernement peut également dissoudre les organisations qui commettent des infractions « graves », telles que la réalisation de diverses activités non autorisées.
Le 25 septembre, le bureau du procureur général a ouvert une enquête sur « l'enrichissement personnel injustifié » de plus de 50 personnes, dont le président de la Confédération des nationalités autochtones de l'Équateur et des membres d'organisations environnementales telles que Pachamama et Yasunidos.
« Le gouvernement équatorien devrait garantir que les auteurs d'abus rendent des comptes, et reconnaître l'importance des questions soulevées par les manifestants descendus dans la rue », a conclu Juanita Goebertus.
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