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Mali : 22 hommes retrouvés morts après leur arrestation par des soldats

Les autorités devraient enquêter de manière indépendante sur des exécutions sommaires apparentes à Diafarabé

L'insigne d'un membre des Forces armées maliennes (FAMA), à Anderamboukane, dans la région de Ménaka, au Mali, le 22 mars 2019. © 2019 Agnès Coudurier/AFP via Getty Images

(Nairobi) – Le gouvernement malien devrait mener une enquête crédible et indépendante sur les exécutions extrajudiciaires apparentes d'au moins 22 hommes placés en détention militaire le 12 mai dans la ville de Diafarabé, dans le centre du Mali, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les habitants qui ont vu les corps trois jours plus tard ont déclaré que les victimes avaient été enterrées dans deux fosses communes peu profondes, la gorge tranchée. 

 
Le 16 mai, le chef d'État-major des Forces armées maliennes a annoncé l’ouverture d’une enquête par la gendarmerie sur la disparition de civils à Diafarabé et le déploiement d'une équipe militaire dans la ville, pour y recueillir des témoignages et organiser des recherches. Le fait qu'une enquête militaire soit menée sur un massacre présumé perpétré par des soldats soulève toutefois de graves inquiétudes quant à l'indépendance et à l'impartialité de celle-ci, a déclaré Human Rights Watch. 

 

 « Le meurtre d'au moins 22 hommes détenus par l'armée impose aux autorités maliennes de démontrer la crédibilité de leur enquête et de rendre publiques ses conclusions », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités devraient engager des poursuites exhaustives et équitables contre tous les responsables et indemniser rapidement les familles des victimes. » 

Entre le 13 et le 18 mai, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec cinq personnes qui ont été témoins des arrestations, un homme qui a été lui-même arrêté et qui a survécu aux exécutions, et cinq autres personnes ayant connaissance de l'incident. Des sources locales ont fourni à Human Rights Watch une liste de 22 victimes, tous des hommes l'ethnie peule âgés de 32 à 67 ans. Les témoins ont également déclaré que cinq autres hommes avaient été arrêtés, dont au moins un de l'ethnie Tamasheq, mais leurs noms et leurs âges n'étaient pas connus. 

Des témoins ont déclaré à Human Rights Watch que les arrestations avaient eu lieu entre 10 heures et 11 heures au cours d'une opération militaire à Diafarabé, le long du fleuve Niger dans la région de Mopti, dans le centre du Mali. Ils ont déclaré que les soldats maliens ont placé en détention au moins 22 hommes peuls qui faisaient du commerce sur le marché de bétail local, et les ont emmenés vers le fleuve. Là-bas, les soldats ont appréhendé au moins cinq autres hommes, les ont fait monter dans une embarcation et les ont emmenés de l'autre côté du fleuve. 

« Des soldats armés portant des uniformes de l'armée malienne sont entrés à pied dans le marché et ont commencé à arrêter des commerçants peuls », a déclaré un commerçant de 53 ans. « Ils leur ont attaché les mains dans le dos avant de les emmener à la rivière et de leur bander les yeux. » 

 

Des témoins ont déclaré que le même jour, vers 14 heures, ils ont vu les soldats retourner en ville sans les hommes arrêtés. Le lendemain, des femmes ont organisé une manifestation devant la base militaire de Diafarabé pour demander aux soldats de fournir des informations sur leurs proches, sans succès. 

D'autres habitants se sont joints à la manifestation, qui s'est poursuivie jusqu'au 15 mai, date à laquelle l'armée a accepté d'escorter une délégation d'environ 19 personnes de Diafarabé jusqu'au site situé de l'autre côté du fleuve Niger, où les hommes arrêtés avaient été emmenés. 

« Nous avons trouvé environ 22 corps dans deux fosses communes mal creusées », a déclaré un homme qui s'est rendu sur les lieux avec des soldats et dont le père faisait partie des personnes tuées. « Tous les hommes avaient la gorge tranchée, certains semblaient presque décapités. C'était tellement horrible que même un commandant militaire qui nous accompagnait a dû s'asseoir pour ne pas s'évanouir. » 

Les corps ont été exhumés, puis réenterrés dans les deux fosses communes du site d'exécution. 

Un homme qui était détenu et a échappé aux exécutions a déclaré : « Je n'avais pas les yeux bien bandés .... Les soldats se servaient de nos foulards pour nous couvrir les yeux, mais je pouvais voir ce qui se passait ». Il a raconté qu'après avoir traversé la rivière, les soldats les ont emmenés dans un endroit situé près du cimetière de Diafarabé et leur ont ordonné de s'asseoir. « Ensuite, ils ont pris les gens par petits groupes de deux ou trois et leur ont tranché la gorge.... J'entendais les hurlements. » Il a ajouté que lorsque les soldats se sont approchés de lui, il s'est enfui. « Alors que j’étais debout, le foulard qui couvrait mes yeux est tombé et j'ai couru aussi vite que j'ai pu... Des soldats m'ont tiré dessus à trois reprises, mais je n'ai pas été touché.... Un soldat m'a poursuivi, mais je me suis caché... J'ai entendu des soldats à l'arrière dire à celui qui me poursuivait : ‘Si tu ne l'attrapes pas, nous te tuerons’ ». Le survivant a indiqué qu'il avait attendu le départ des soldats pour retraverser la rivière. 

 

Des médias internationaux ont également rendu compte des meurtres de Diafarabé. 

Le 16 mai, Human Rights Watch a contacté les autorités maliennes pour leur faire part de ses conclusions sur les événements de Diafarabé, et solliciter leurs commentaires. Au moment de la publication, les autorités maliennes n'avaient pas répondu. 

 

Le massacre s'est produit dans le contexte de la crise sécuritaire et humanitaire à laquelle le Mali est confronté depuis 2012, lorsque des groupes armés islamistes liés à Al-Qaïda et à l'État islamique au Sahel ont commencé à mener des attaques majeures. Ces groupes armés, qui ont largement recruté des membres au sein de la communauté peule, ont attaqué des civils ainsi que les forces de sécurité gouvernementales dans tout le Mali. Le conflit a entraîné la mort de milliers de civils et le déplacement forcé de plus de 350 000 autres personnes. 

Des témoins à Diafarabé ont déclaré qu'ils pensaient que les soldats ciblaient des hommes peuls accusés de collaborer avec les combattants islamistes. Le Groupe pour le soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM – en arabe Jama'at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), lié à Al-Qaïda, est présent dans la région de Mopti où il mène fréquemment des attaques contre les forces de sécurité et les milices alliées. 

Human Rights Watch a largement documenté les graves abus commis par les forces de sécurité maliennes au cours d'opérations de contre-insurrection dans tout le Mali, notamment des massacres, des disparitions forcées de civils et des frappes illégales de drones. 

 

Toutes les parties au conflit armé au Mali sont tenues de respecter le droit international humanitaire, notamment l'article 3 commun aux conventions de Genève de 1949 et le droit coutumier de la guerre. L'article 3 commun interdit la violence à l'encontre de toute personne détenue, « notamment le meurtre sous toutes ses formes ». Les personnes qui commettent des violations graves du droit de la guerre avec une intention criminelle, c'est-à-dire intentionnellement ou par imprudence, peuvent être poursuivies pour crimes de guerre. Les commandants peuvent être tenus responsables de crimes de guerre au titre de la responsabilité du commandement s'ils savaient ou auraient dû savoir que les forces placées sous leur contrôle commettaient des abus, mais qu'ils ne les ont pas empêchés de le faire, ou punis. 

« Le commandant de la base militaire de Diafarabé devrait être immédiatement suspendu dans l'attente des résultats d'une enquête approfondie », a déclaré Illaria Allegrozzi. « Les autorités maliennes devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la protection des survivants et des témoins de cet incident. » 

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