- Les victimes et les survivants des tirs de célébration par les forces de sécurité tchadiennes, qui ont tué au moins 11 personnes le 9 mai 2024, attendent toujours qu’on leur rende justice.
- En réaction à l’annonce de la victoire à l’élection présidentielle de celui qui était le président de la transition à l’époque, les forces qui lui étaient loyales avaient ouvert le feu dans plusieurs villes et villages, d’une manière que certaines personnes ont décrit comme menaçante plutôt que festive.
- Le gouvernement devrait de toute urgence enquêter sur les événements du 9 mai et poursuivre en justice les responsables. De plus, les victimes devraient recevoir un soutien médical et financier total de la part du gouvernement.
(Nairobi) – Les victimes et les survivants des tirs de célébration par les forces de sécurité tchadiennes, qui ont tué au moins 11 personnes le 9 mai 2024, attendent toujours qu’on leur rende justice, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et l’Observatoire pour la promotion et la défense des droits humains (OPDH).
Plusieurs centaines d’autres personnes ont été blessées alors que les forces de sécurité tiraient en l’air pour célébrer l’annonce que celui qui était le président de la transition à l’époque, le général Mahamat Idriss Déby, était le vainqueur provisoire de l’élection présidentielle. Les autorités tchadiennes devraient agir rapidement pour demander des comptes aux responsables et veiller à ce que les victimes soient compensées.
« La transition au Tchad a connu une fin tragique le 9 mai, lorsque des forces de la police et de l’armée, loyales au président de la transition, ont ouvert le feu dans des villes et des villages, terrifiant la population, tuant des personnes innocentes et blessant grièvement des centaines d’autres », a déclaré Mahamat Zene Oumar Abdelaziz, le président de l’OPDH. « Le gouvernement du Tchad devrait ouvrir de toute urgence une enquête pour déterminer quelles unités ont participé aux tirs et garantir que les blessés aient une forme de recours. »
Les tirs ont démarré autour de 21 heures, après que l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), citant des résultats provisoires, a annoncé que Déby avait remporté l’élection du 6 mai. Son principal concurrent, Succès Masra, qui était alors Premier ministre, s’est de son côté déclaré vainqueur dans une autre annonce diffusée via les réseaux sociaux.
Human Rights Watch et l’OPDH se sont entretenus avec 27 témoins et survivants entre le 29 juillet et le 7 août, notamment des personnes blessées par des balles perdues et des proches de personnes qui ont été tuées. Les organisations se sont aussi entretenues avec des fonctionnaires et des activistes de la société civile tchadienne.
Des personnes blessées par les coups de feu ont décrit la terreur qui régnait dans des villes et des villages à travers le Tchad après que les résultats provisoires ont été annoncés à la radio et que les forces de sécurité se sont mises à tirer en célébration. Une femme du quartier de Gassi à N’Djamena, la capitale, a déclaré : « Nous étions en train d’écouter les nouvelles à la radio chez des amis. Tout à coup, il y a eu des tirs de toutes parts. » Des balles provenant des tirs à N’Djamena ont blessé au moins trois personnes, y compris deux enfants, à Kousseri, au Cameroun.
Une autre personne, qui a été blessée à Moundou, une ville du sud du Tchad, a déclaré de son côté : « Les soldats étaient dans chaque rue, à chaque carrefour et intersection. Ils tiraient à environ 500 mètres de moi et ils tiraient en l’air et dans n’importe quelle direction qui leur plaisait. »
Même si les tirs de célébration sont communs au Tchad après des mariages ou autres événements importants, les tirs du 9 mai étaient différents, puisque des armes et roquettes de gros calibre ont été tirées. Un activiste de la société civile a déclaré à Human Rights Watch : « Ces tirs ne voulaient pas célébrer, ils voulaient intimider. Ils nous avertissaient de ne pas oser manifester, comme on l’avait fait en 2022. »
Les deux organisations se sont entretenues avec deux personnes dont les domiciles ont été touchés par des roquettes et ont pu en visiter un à N’Djamena. Dans les deux cas, les occupants ont montré des photos des roquettes ayant touché leur domicile aux organisations. Des dizaines de témoins ont déclaré que l’armée tirait avec leurs armes, ce que les organisations ont également observé dans des vidéos qu’elles ont examinées, notamment l’une d’entre elles postée le 9 mai dans laquelle on voit des soldats portant l’uniforme de l’armée tchadienne en train de tirer des coups de canon mitrailleur monté à l’arrière d’un camion. Même si Human Rights Watch n’a pas été en mesure de géolocaliser cette vidéo, elle a été filmée à N’Djamena et ils ont pu confirmer qu’elle n’existait pas avant le 9 mai.
Les organisations ont confirmé six cas de meurtres à N’Djamena et entendu des témoignages fiables concernant plusieurs autres personnes tuées. Un fonctionnaire a affirmé qu’au moins 11 personnes ont été tuées et qu’il aurait pu y avoir davantage de morts. La mère d’une fille de deux ans, Safia Imam, qui a été tuée dans le quartier de Naga à N’Djamena, a déclaré : « Nous étions couchés sur un matelas à la maison. J’étais avec mon mari et nous avions nos deux enfants avec nous. Il y avait du bruit tout autour et tout à coup Safia a été touchée. La balle a traversé la maison ... j’ai perdu ma fille. Je suis encore sous le choc. »
Pendant les heures et les jours qui ont suivi les tirs, des centaines de personnes dans tout le Tchad ont eu besoin de soins hospitaliers. Des dizaines de personnes blessées ont déclaré que le ministre de la Santé avait annoncé à la radio que les frais médicaux seraient dispensés pour toute personne blessée par les tirs de célébration. Pourtant, au moins 14 personnes ont déclaré qu’elles avaient dû payer une partie ou la totalité de leurs factures médicales, ce qui a parfois aggravé une situation financière déjà difficile. Certaines doivent toujours des centaines de dollars en frais médicaux. Le gouvernement devrait rembourser rapidement et de façon adéquate les personnes qui ont dû régler leurs soins médicaux et les traitements qui ont suivi, ont déclaré les organisations.
Le 5 août, Human Rights Watch s’est entretenu avec le ministre de la Défense, qui a déclaré que des civils étaient les auteurs des coups de feu et que la population, y compris les soldats, avaient le droit de célébrer. Le 6 août, le ministre de la Justice a déclaré à Human Rights Watch : « Aucune plainte n’a été déposée, ni au pénal ni au civil, alors qu’est-ce que nous pouvons faire ? Nous n’avons aucune information sur des gens tués ou blessés. La première chose à faire serait que les victimes montent un dossier, ensuite nous pourrions faire une enquête. Mais contre qui le procureur porterait-il plainte ? »
Les forces de sécurité tchadiennes doivent être tenues pleinement responsables de ces graves violations des droits à la vie, à l’intégrité corporelle et à la sécurité des Tchadiens, ont déclaré les organisations. Absolument rien ne justifie le recours aux armes qui s’est produit le 9 mai et les normes du droit international sont claires sur les règles régissant l’usage de la force létale par les forces de l’ordre, que ce soit l’armée ou la police, et sur l’obligation de garantir une enquête efficace et des punitions appropriées pour toute violation, ainsi que sur les recours, notamment la compensation des victimes.
Le 4 octobre, Human Rights Watch a écrit aux ministres de la Justice et de la Santé afin de leur faire part des conclusions des recherches et demander des clarifications sur le nombre de personnes tuées ou blessées et sur les actions du gouvernement visant à soutenir les victimes. Le même jour, Human Rights Watch a également envoyé un autre courrier au ministre de la Justice pour demander si une enquête serait ouverte. Plusieurs autres responsables du gouvernement étaient mis en copie. À l’heure où nous publions ceci, aucune des deux lettres n’a reçu de réponse officielle.
Les autorités tchadiennes devraient ouvrir une enquête pour identifier les responsables des meurtres du 9 mai et fournir une compensation aux victimes. Elles devraient également s’assurer que toutes les forces de sécurité reçoivent une formation et un équipement appropriés et qu’elles fassent l’objet d’un contrôle adéquat, ont déclaré les organisations. Le gouvernement tchadien devrait demander l’aide de la communauté internationale pour s’assurer que ses forces de sécurité respectent les normes régionales et internationales sur l’usage des armes à feu.
« Le gouvernement devrait urgemment lancer une enquête sur les événements du 9 mai et poursuivre en justice les responsables », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch. « Par respect pour les victimes, la vérité devrait être révélée et les personnes blessées qui souffrent toujours des conséquences des tirs devraient être pleinement soutenues par le gouvernement, médicalement et financièrement. »
Pour lire plus de détails sur les tirs du 9 mai 2024, veuillez lire ci-dessous.
Avant les tirs
La période précédant l’élection présidentielle du 6 mai au Tchad a été entachée de violences. Le 28 février, les forces de sécurité ont tué Yaya Dillo, président du Parti socialiste sans frontières (PSF), lors d’une attaque contre le siège du parti à N’Djamena. Le procureur de la République, Oumar Mahamat Kedelaye, a déclaré lors d’une conférence de presse que Yaya Dillo avait été tué lors d’un échange de tirs avec les forces de sécurité.
Cependant, Human Rights Watch a consulté plusieurs photos envoyées par une source fiable proche de Yaya Dillo où l’on voit son corps sans vie touché par une seule blessure de balle à la tête. Une enquête de Reuters a conclu qu’il avait très probablement été abattu à bout portant.
Les résultats de l’élection présidentielle ont été contestés par Succès Masra, le principal opposant de Mahamat Idriss Déby. Ce dernier a été investi président de la République le 23 mai, finissant la transition politique qui avait débutée en 2021, après que son père, le président Idriss Déby Itno, meurt lors de combats contre un groupe armé.
Les tirs du 9 mai
Dans les heures qui ont précédé l’annonce des résultats provisoires, des soldats et des policiers ont été déployés dans des positions clés dans tout le pays. Un résident de Moundou, dans le sud du Tchad, a déclaré : « Les soldats étaient dans chaque rue, à chaque carrefour. » Un dirigeant de la société civile de N’Djamena a déclaré de son côté : « L’armée a commencé à se mettre en position vers 15 heures, avec leurs armes bien en place. Ils étaient sur toutes les routes principales, les ponts et les carrefours. »
Les résultats provisoires de l’élection ont été annoncés à la radio vers 21 heures. Même si les témoins et les victimes ont dit s’attendre à des tirs, ils ont déclaré que ceux-là différaient de ce qu’il s’était passé à l’annonce des précédents résultats électoraux. Des témoins ont déclaré que ces tirs étaient « intenses » et « semblaient venir de toutes parts à la fois ». Une victime a précisé : « Une fois qu’ils ont commencé, il ne s’agissait pas de tirer pour célébrer, mais pour terroriser. »
Plusieurs personnes sont décédées ou ont été blessées après avoir été touchées. Certaines balles ont été retrouvées sans avoir fait de dégât, ou se sont retrouvées logées dans les toits ou d’en d’autres propriétés à N’Djamena. Cependant, dans les quartiers avec une haute densité de population, les balles ont touché des êtres humains, perçant souvent le toit d’un domicile ou d’une structure.
Les personnes blessées ont exprimé un profond sentiment d’injustice à l’idée d’avoir été frappées de façon aussi absurde et arbitraire. « J’étais tout simplement chez moi et j’ai été touchée par une balle », a déclaré une femme blessée. « Je n’avais rien fait. J’ai eu de la chance de n’être que blessée. Ça aurait pu être pire, mais quand les balles pleuvent comme ça, comment peut-on se protéger ? »
Le mari de Khadidja Douba, âgée de 32 ans, qui a été tuée dans le quartier sénégalais de N’Djamena, a déclaré :
Ma femme a été touchée à la tête et au cou par des éclats de munition. Nous étions tous assis au salon lorsqu’une roquette a frappé la maison. Nous ne savons pas d’où est venue la roquette, mais ça tirait de partout et tout près de la maison. Les autorités m’ont donné 950 000 francs CFA (environ 1 550 USD) pour compenser le décès, mais depuis, plus rien. Ils m’ont demandé quel était notre groupe ethnique puis m’ont donné l’argent, mais ils n’ont pas dit qu’ils étaient désolés. Les enfants réclament leur mère chaque jour, et même moi je suis traumatisé par ce qui est arrivé.
Un chercheur de Human Rights Watch a visité la maison de cet homme et documenté les dégâts causés par le lance-grenade.
Un témoin qui était assis près d’une femme nommée Mantchoko, également tuée dans le quartier sénégalais de N’Djamena, a déclaré :
J’étais juste en dehors de ma maison, en train d’écouter les tirs, lorsqu’elle a été touchée à la poitrine à 10 pas de moi. Mantchoko était juste allongée là, en train de parler à sa sœur au téléphone. Elle est morte sur place, mais plus tard nous l’avons emmenée à l’hôpital. Elle a été enterrée deux jours plus tard.
Le père d’un garçon de 3 ans a dit que son fils avait été tué dans le quartier de Klemat à N’Djamena alors qu’il dormait à l’extérieur avec sa mère et ses frères et sœurs sous une moustiquaire :
J’étais en train de me laver quand on m’a dit de venir très vite, alors j’ai accouru. Il y avait une balle logée dans son dos. À cet endroit, il n’y avait pas de toit, alors la balle l’a juste frappé directement. Il a été frappé dans le dos par deux balles. Il vomissait déjà du sang quand j’ai couru vers lui. Nous l’avons amené à l’hôpital et ils ont dit qu’il n’avait pas de balle logée dans le corps, alors à minuit on nous a renvoyé chez nous. Le lendemain matin, vers 9 heures, nous lui avons donné du lait, mais il n’en voulait pas. Il était brûlant, alors on l’a ramené à l’hôpital, où ils l’ont mis sous oxygène. Ils ont dit qu’ils voulaient lui faire un scanner. Il est resté au lit, sous oxygène, jusqu’à ce qu'il meure. On l’a enterré le jour même.
Les organisations ont pu examiner des radiographies de six personnes qui ont eu des balles logées dans le corps. Trois d’entre elles n’avaient pas encore été opérées pour retirer les balles au moment de nos entretiens, en août.
Une femme du quartier de Gassi à N’Djamena a déclaré :
D’abord, une balle a atterri tout près de moi et j’ai pensé : « Qu’est-ce c’est que ça ? » Et alors, j’ai été touchée. Il y avait tellement de tirs, ça venait de partout. J’ai hurlé : « J’ai été touchée ! », mais j’ai dû rester à la maison parce que c’était trop dangereux d’aller dehors. J’ai saigné pendant une heure. Le lendemain, je suis allée à l’hôpital central.
Une fille âgée de 15 ans de Bébédjia, un village de la province du Logone Oriental, a déclaré :
Je suis allée dans ma chambre à cause des tirs. Après quelques minutes, une balle a traversé le toit et m’a frappée à la tête. Je saignais beaucoup ... La balle est toujours dans ma tête et les médecins disent qu’il faut attendre. Ça me fait très peur.
La mère d’un garçon âgé de 4 ans du quartier de Blabline à N’Djamena a déclaré qu’elle et son fils étaient endormis dans un lit quand les tirs ont commencé. Elle a déclaré qu’aux environs de 22 heures, elle a remarqué du sang sur le lit et s’est rendu compte que son fils avait été frappé par une balle :
À la vue du sang, nous l’avons emmené à l’hôpital, et le temps que nous arrivions, il était environ 22h45. Ils nous ont fait payer 7 000 francs CFA (environ 12 USD) pour la radiographie puis nous ont dit de rentrer chez nous. Nous avons dû retourner à l’hôpital quatre fois et à chaque fois nous avons dû payer. Toute la famille est sous le choc qu’une chose pareille puisse arriver. Nous avions peur qu’il meure ... Mon fils ne veut plus dormir dans la chambre où il a été touché. Il est traumatisé.
La mère d’une fille âgée de 13 ans du quartier de Morsal à N’Djamena a déclaré qu’elle avait cru que le son des balles perçant son toit était celui de petits cailloux :
J’étais dehors quand nous avons entendu les bruits, mais nous avons pensé que c’était juste un gamin qui faisait des bêtises. Puis [ma fille] a hurlé. Elle était touchée à la hanche. Nous avons fait venir un pharmacien à la maison, car elle saignait vraiment beaucoup, mais jusqu’à minuit nous n’avons pas pu prendre le risque d’aller à l’hôpital tellement ça tirait.
Une femme âgée de 18 ans de Mongo, dans l’est du Tchad, a déclaré qu’elle était enceinte de neuf mois lorsqu’elle a été touchée par une balle pendant qu’elle essayait de dormir. La balle a traversé son toit et l’a frappée dans le bas de la jambe droite.
Frais médicaux
Dans tout le Tchad, des autorités ont indemnisé, de façon non officielle, certains membres de famille de victimes décédées. Des proches ayant reçu des compensations ont rapporté que des hommes en civil étaient venus chez eux et leur avaient donné de l’argent pour « leur sacrifice ». Pour la plupart des familles, la somme était d’un million de francs CFA, soit environ 1 600 USD.
« La vie de mon fils valait bien plus qu’un million de francs CFA », a déclaré la mère d’une des victimes.
La mère d’un bébé âgé de 12 mois du quartier d’Angabo Chateau au nord de N’Djamena a déclaré : « Même un énorme sac d’argent ne ferait pas fait le poids face à la vie de mon fils. Ce que je veux, c’est que justice soit rendue pour la mort de mon fils. »
Au moins cinq familles ont reçu de l’argent, mais au moins une famille n’a rien reçu.
Les personnes blessées par les tirs de célébration, y compris celles qui ont toujours des balles logées dans leur corps, se sont dites déçues par le manque d’aide médicale de la part des autorités. D’après elles, le ministre de la Santé a annoncé à plusieurs occasions qu’elles seraient dispensées de frais médicaux.
Dans certains cas, les blessés ont réglé un montant minime pour les soins médicaux. Cependant, 14 personnes ont déclaré avoir dépensé entre 5 000 (environ 8 USD) et 400 000 francs CFA (environ 660 USD) pour leurs traitements. Un étudiant âgé de 25 ans qui a été touché par une balle juste en dehors de chez lui, dans le quartier de la Rue de 30 Mètres de N’Djamena, a déclaré :
J’ai dû me faire opérer pour retirer la balle de mon bras. C’est moi qui ai payé pour tout, pour la radiographie et les médicaments. J’ai payé au moins 100 000 francs CFA (environ 165 USD). Quand j’ai demandé à l’hôpital, on m’a dit : « Non, vous devez payer pour l’anesthésie, les pansements, tout. »
Une femme âgée de 36 ans du quartier de Gassi à N’Djamena a déclaré qu’elle avait dû retourner à l’hôpital après quelques jours parce que sa blessure au flanc causée par une balle était trop intense :
J’ai demandé des médicaments parce que ça me faisait toujours très mal. Un gestionnaire de l’hôpital m’a répondu : « Non, ce n’est pas vrai que les soins sont gratuits, vous devez payer. On ne va pas vous donner de traitement gratuit et de toute façon vous n’avez même plus de balle logée en vous, alors vous n’avez plus besoin de rien. La balle a été retirée, donc vous allez bien. » Lorsque j’ai dit que j’achetais des médicaments, le gestionnaire m’a répondu : « Ce n’est pas mon problème » ; donc j’ai dû payer moi-même.
Dans certains cas, les blessés ont renoncé à se faire soigner pour rassembler assez d’argent pour régler les frais médicaux anticipés. Une femme âgée de 45 ans de N’Djamena, qui a toujours une balle logée dans le bras, a déclaré : « D’abord je dois trouver l’argent pour des analyses de sang, ensuite il faudra que je paye l’opération. »
Tentatives de dissimulation
Les efforts pour camoufler les violations graves et fatales qui ont eu lieu le 9 mai ont commencé très tôt. Le 10 mai, le ministère de la Santé a émis un communiqué interdisant de publier des statistiques concernant le nombre de personnes tuées ou blessées lors des tirs du 9 mai. Le communiqué interdisait également à toute personne d’entrer dans les hôpitaux pour poser des questions sur les tirs ou pour prendre des photos.
Contrairement à la réponse aux tirs du 9 mai, lors d’une explosion dans un dépôt de munitions militaire le 18 juin à N’Djamena, le ministère de l’Action Sociale, de la Solidarité et des Affaires Humanitaires a publié un rapport approfondi décrivant le nombre de morts et de blessés ainsi que la localisation des domiciles qui avaient été touchés. Pourtant, dans la dernière ligne de ce rapport, le gouvernement lance un appel à l’aide aux personnes affectées par « l’explosion ... et les tirs de célébration ».
Normes internationales sur l’usage de la force létale
Le Tchad est un État partie à nombre de traités internationaux relatifs aux droits humains, y compris la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Parmi ses obligations juridiques internationales qui découlent de ces traités et d’autres sources, il se doit de respecter, entre autres droits, le droit à la vie, à l'intégrité corporelle, à la liberté, à la sécurité de la personne, à l’inviolabilité du domicile, et le droit au recours.
Le respect de ces obligations exige de mettre en place des lois pour prévenir et dissuader l’usage illégal des armes, y compris par l’armée et la police, et de veiller à ce que les agents déployés pour maintenir l’ordre, qu’ils appartiennent à des unités militaires ou policières, soient pleinement formés à suivre les directives des Nations Unies sur l’usage des armes à feu, et les respectent, telles qu’exposées dans le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois ainsi que dans les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois.
Ces normes interdisent l’utilisation des armes à feu, à moins que ce ne soit nécessaire pour sa propre défense ou la défense d’autres personnes contre une menace imminente de mort ou de graves blessures, et que les moyens moins extrêmes sont inefficaces. Lorsque des personnes sont tuées ou blessées ou des propriétés endommagées par l’emploi d’armes à feu par les forces de l’ordre, le Tchad a l’obligation de mener une enquête efficace – à savoir rapide, indépendante, publique et capable d’identifier les actes répréhensibles et leurs auteurs. Le Tchad a également l’obligation d’apporter aux victimes des voies de recours effectives, notamment pour recevoir une compensation adéquate, et de prendre des mesures dissuasives pour éviter que ces actes ne se reproduisent, notamment en punissant les responsables et en mettant en œuvre d’autres mesures appropriées comme l’amélioration des réglementations applicables et la mise en place d’une surveillance et de formations.
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