(Beyrouth) – Des Syriens réfugiés au Liban tentent de fuir la violence dans ce pays en retournant en Syrie, mais y sont confrontés au risque de répression et de persécution par le gouvernement, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui ; ils risquent notamment d’être détenus et torturés, d’être victimes de disparitions forcées ou de mourir en détention. Depuis fin septembre, les frappes aériennes israéliennes au Liban ont tué au moins 2 710 personnes, dont au moins 207 Syriens selon l’Observatoire syrien des droits humains (SOHR), contraignant des centaines de milliers de réfugiés syriens à la fuite.
Les Syriens qui fuient le Liban vers la Syrie, en particulier les hommes, risquent toutefois d’y être détenus arbitrairement et d’être victimes d’abus de la part des autorités syriennes. Human Rights Watch a documenté quatre récents cas d’arrestations de Syriens suite a leur retour dans ce pays ; d’autres organisations, dont le Réseau syrien pour les droits humains (SNHR), ont signalé des dizaines d’autres cas de ce type. Au moins deux Syriens expulsés du Liban et de Turquie vers la Syrie depuis 2023 y sont morts en détention dans des circonstances suspectes en 2024. En janvier et juillet 2024, les autorités libyennes ont arrêté deux autres Syriens et les ont remis aux autorités syriennes ; depuis lors, ces deux hommes ont été victimes de disparitions forcées, selon des sources bien informées.
« Les Syriens fuyant la violence au Liban sont contraints de retourner en Syrie, mais ce pays ne permet pas des retours sûrs et dignes, en l’absence de réformes significatives concernant les causes profondes des précédents déplacements », a déclaré Adam Coogle, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Les décès en détention de Syriens expulsées vers la Syrie, dans des circonstances suspectes, mettent en évidence le risque grave de détention arbitraire, d’abus et de persécution dans ce pays, et l’urgente nécessité d’une surveillance efficace de tels abus. »
Le gouvernement syrien et les groupes armés qui contrôlent certaines parties de la Syrie continuent d’empêcher les organisations humanitaires et de défense des droits humains d’accéder pleinement et sans entrave à toutes les zones, y compris aux sites de détention, entravant ainsi les efforts de documentation et occultant la véritable ampleur des abus.
Entre le 24 septembre et le 22 octobre, environ 440 000 personnes, dont 71 % de Syriens et 29 % de Libanais, ont fui le Liban vers la Syrie en passant par les postes-frontières officiels, selon le Croissant-Rouge arabe syrien (Syrian Arab Red Crescent, SARC). D’autres personnes auraient traversé la frontière de manière non officielle. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le SARC dirigent les efforts humanitaires d’urgence à la frontière et dans les communautés d’accueil ; jusqu’à présent, la Syrie a maintenu ses frontières ouvertes et a assoupli les procédures d’immigration. Parmi les personnes ayant fui le Liban, environ 50 779 étaient arrivées dans le nord-est de la Syrie au 25 octobre, et 6 600 personnes étaient entrées dans le nord-ouest de la Syrie au 24 octobre. Un grand nombre de ces personnes sont des femmes et des enfants.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec trois Syriens au Liban et huit Syriens qui ont fui vers la Syrie, dont des proches de cinq hommes arrêtés par les autorités syriennes à leur retour du Liban en octobre. Human Rights Watch a également interrogé deux chercheurs syriens spécialisés dans les droits humains qui ont documenté d’autres arrestations et plusieurs personnes au sujet du sort des expulsés, y compris des proches.
Sur les cinq arrestations récentes documentées par Human Rights Watch en octobre, deux ont eu lieu au poste frontière de Dabousieh dans le sud-ouest de la Syrie, accessible par le nord du Liban et situé non loin de la ville syrienne de Homs. Deux autres personnes ont été arrêtées après avoir franchi la frontière, lors de leur arrivée à un poste de contrôle situé entre Alep et Idlib, en Syrie. Toutes ces arrestations ont été effectuées par des agents de la Direction du renseignement militaire syrien, ont déclaré des proches, sans qu’aucune information ne soit fournie aux familles sur les raisons des arrestations ou sur le lieu de détention de ces personnes.
Une femme a raconté avoir fui le Liban vers la Syrie avec son mari, un ex-soldat syrien, et ses quatre enfants en octobre. Son mari, âgé de 33 ans, vivait au Liban depuis 13 ans, a-t-elle déclaré. Fin septembre, les bombardements israéliens se sont intensifiés dans la région où ils vivaient, et l’armée israélienne a émis des avertissements accompagnés d’appels à évacuer la zone. Ils ont fui en n’emportant pratiquant rien, vivant dans la rue pendant 10 jours avant de réunir les fonds nécessaires pour retourner en Syrie. Elle a expliqué que son mari ne s’était pas inscrit pour le service militaire de réserve en Syrie ; mais ils pensaient qu’une récente amnistie du gouvernement syrien, qui incluait la désertion militaire, le protégerait.
Le 7 octobre, ils sont entrés en Syrie et ont été contrôlés au poste frontière de Dabousieh près de Homs. Elle a déclaré que les services de renseignements militaires syriens ont immédiatement arrêté son mari, en leur disant : « Continuez sans lui, il restera avec nous ». Elle a attendu cinq heures, suppliant pour obtenir des informations, en vain. Vivant désormais dans un logement exigu avec sa famille en Syrie, elle n’a aucune idée de l’endroit où se trouve son mari, et a du mal à subvenir aux besoins de ses enfants. « J’aurais préféré que nous restions sous les roquettes plutôt que de vivre cela », a-t-elle déclaré, affirmant que son seul espoir était la libération de son mari.
Au Liban, selon diverses sources, de nombreux refuges donnent la priorité aux ressortissants libanais et palestiniens déplacés, refusant l’accès aux Syriens ; certains propriétaires ont même expulsé leurs locataires syriens pour faire de la place aux Libanais déplacés. Même avant l’offensive israélienne, les Syriens au Liban vivaient dans un contexte souvent coercitif, les forçant à envisager de retourner en Syrie. Ils étaient confrontés au Liban à des conditions de vie difficiles, à une xénophobie croissante et au risque d’expulsion.
Certains dirigeants européens affirment que la Syrie est un pays sûr pour les retours, menant des politiques qui pourraient révoquer la protection des réfugiés syriens malgré les préoccupations persistantes en matière de sécurité et de droits humains. Compte tenu du manque de fiabilité des réseaux d’information et du suivi inadéquat des agences humanitaires, les pays qui accueillent des réfugiés syriens devraient reconnaître que la Syrie reste un pays dangereux pour les retours et cesser immédiatement tout retour forcé ou sommaire ou tout plan visant à faciliter de tels retours, a déclaré Human Rights Watch.
Le HCR devrait continuer à maintenir son point de vue, exprimé en mars 2021, selon laquelle la Syrie n’est toujours pas un pays sûr pour les retours et qu’il ne favorisera ni ne facilitera les retours tant que des conditions sûres et dignes ne seront pas garanties. Conformément à son Cadre opérationnel régional pour le retour des réfugiés en Syrie (Regional Operational Framework For Refugee Return To Syria, 2019), le HCR devrait continuer de faire pression pour la création d’un mécanisme de protection et de surveillance indépendant et efficace, qui permettrait aux organisations humanitaires de surveiller et de signaler les violations des droits des personnes revenues en Syrie.
Les gouvernements donateurs internationaux devraient apporter un généreux soutien financier et d’autres types d’assistance aux personnes déplacées fuyant vers la Syrie, tout en s’assurant que ces programmes humanitaires ne favorisent pas par inadvertance les retours prématurés vers ce pays. Les pays qui ont imposé des sanctions à la Syrie, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et les États membres de l’Union européenne, devraient mettre en œuvre des exemptions humanitaires pour toutes les opérations d’aide, afin de garantir aux personnes déplacées un accès sans restriction aux services essentiels.
« La Syrie ne présente pas actuellement des conditions de retour plus sûres qu’auparavant, mais pour de nombreux Syriens qui s’étaient réfugiés au Liban, les dangers croissants dans ce pays ne leur laissent guère d’autre choix que de tenter un tel retour », a conclu Adam Coogle. « Leur retour en Syrie n’est pas le signe d’une amélioration des conditions dans ce pays, mais plutôt de la dure réalité d’un manque d’alternatives plus sûres ; en Syrie, ils sont toujours confrontés aux risques de détention, de maltraitance et de mort. »
Suite en anglais, avec des informations plus détaillées.
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