(Beyrouth, le 14 octobre 2024) – Les autorités iraniennes ont durci la loi sur les tenues vestimentaires obligatoires en imposant de nouvelles restrictions et des sanctions draconiennes en cas d’infraction, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le 18 septembre, le Conseil des gardiens de la constitution, l’organe juridique chargé de la validation finale des lois iraniennes, a approuvé la « Loi sur la protection de la famille par la promotion de la culture du hijab et de la chasteté ». Cette loi, qui avait été adoptée par le Parlement il y a un an, le 20 septembre 2023, entrera prochainement en vigueur. Cette loi intègre plusieurs mesures déjà en place pour faire respecter le port obligatoire du hijab, et impose des sanctions supplémentaires sévères, telles que des peines de prison plus longues, des amendes et des restrictions d’accès aux opportunités d’emploi et d’éducation en cas d’infraction.
« Au lieu de répondre au mouvement “Femme, vie, liberté” en menant des réformes de fond, le gouvernement autocratique iranien tente au contraire de réduire les femmes au silence avec une loi encore plus répressive sur le code vestimentaire », a déclaré Nahid Naghshbandi, chercheuse par intérim sur l’Iran à Human Rights Watch. « Mais cette loi ne fera qu’engendrer une résistance et une défiance plus fortes parmi les femmes iraniennes, que ce soit en Iran ou à l’étranger. »
La nouvelle loi est constituée de 71 articles qui renforcent le contrôle du gouvernement sur la vie des femmes, et soumet les entreprises et les institutions au risque d’amendes ou même de fermeture si elles ne font pas respecter ces mesures discriminatoires. Ces articles juridiques augmentent aussi considérablement les sanctions pour l’activisme contre le port obligatoire du hijab (article 36), y compris de longues peines de prison. La loi confère au ministère iranien du Renseignement, au Corps des gardiens de la révolution islamique (article 24), à la police (article 28) et aux autorités judiciaires (article 29) des pouvoirs accrus afin d’identifier les violations et d’engager des poursuites.
L’ancien président Ebrahim Raïssi avait soumis le projet de loi au Parlement le 21 mai 2023, un an avant son décès en mai 2024. Le 12 septembre 2023, la Commission juridique du Parlement avait approuvé les amendements proposés, conformément à l’article 85 de la Constitution iranienne. Suite à l’approbation par le Conseil des gardiens, la loi sur le hijab et la chasteté sera mise en œuvre pour une période d’essai de trois ans, comme l’a précisé le Parlement iranien.
La loi sur le hijab et la chasteté définit différentes formes de hijab « inapproprié », avec des sanctions différentes selon le type de hijab « inapproprié » porté par une femme, ou d’autres tenues vestimentaires jugées « inappropriées » pour une femme ou pour un homme. Par exemple, l’article 47 concerne les personnes accusées de s’habiller de manière « immodeste ». Pour les femmes et les filles, cela signifie des vêtements serrés ou qui exposent une partie du corps sous le cou, au-dessus des chevilles ou au-dessus des avant-bras. Pour les hommes, cela signifie des vêtements serrés qui exposent une partie du corps sous la poitrine ou au-dessus des genoux, ou des chemises sans manches qui exposent les épaules.
Quiconque apparaît avec une telle tenue dans un lieu public, ou même dans un espace virtuel, est passible d’une amende allant de 20 millions de rials iraniens (environ 31 USD) à 500 millions de rials (790 USD), selon la fréquence de l’infraction. Si l’infraction est répétée plus de quatre fois, les sanctions sont aggravées et peuvent inclure une amende pouvant aller jusqu’à 1 500 millions de rials (2 380 USD), une interdiction de voyager pouvant aller jusqu’à deux ans, une interdiction d’activités en ligne pouvant aller jusqu’à deux ans et une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans.
L’article 48 de la loi sur le hijab et la chasteté traite des sanctions à appliquer aux personnes qui apparaissent dans les lieux publics dans un état de nudité (« berahnegi »), de semi-nudité (« nime-berahnegi ») ou portant une tenue « socialement considérée » comme équivalente à la nudité. Les sanctions pour de telles infractions peuvent aller jusqu’à 10 ans de prison ou une amende pouvant atteindre 1 500 millions de rials (2 380 USD) ; en cas de récidive, la peine peut aller jusqu’à 15 ans de prison, et une amende de 2 800 millions de rials (4 445 USD). En vertu de l’article 36, quiconque promeut une culture de la nudité, de l’impudeur et du dévoilement en collaboration avec des entités étrangères risque d’être condamné à une peine de 5 à 10 ans de prison.
L’article 49 stipule que toute femme ou fille qui apparaît en public (que ce soit dans un espace réel ou virtuel) avec le visage dévoilé (« kashf-e hijab »), sera passible d’une amende allant de 15 millions de rials (24 USD) à 500 millions de rials (790 USD), selon la fréquence de l’infraction. Si la violation est répétée plus de quatre fois, les sanctions peuvent atteindre jusqu’à un milliard 500 millions de rials (2 380 USD), une interdiction de voyager pouvant aller jusqu’à deux ans, une interdiction d’activités en ligne pouvant aller jusqu’à deux ans, et jusqu’à cinq ans de prison.
La loi étend sa portée aux espaces numériques en pénalisant les comportements qui encouragent en ligne les violations de la réglementation sur le hijab. Les personnes qui partagent du contenu faisant la promotion de la nudité ou se moquant du hijab sont passibles d’amendes et de restrictions sur l’activité sur Internet (article 37). Les plateformes de médias sociaux sont tenues de surveiller et de supprimer ce type de contenu dans les 12 heures (article 42). Les influenceurs ou les personnalités publiques qui participent ou soutiennent ces actions risquent des sanctions sévères, telles que des amendes pouvant aller jusqu’à 5% de leurs actifs, ainsi qu’une interdiction de quitter l’Iran et de participer à des activités professionnelles (article 41). Les propriétaires d’entreprises peuvent également être tenus responsables s’ils promeuvent du contenu qui contredit les valeurs islamiques imposées par l’État (article 39).
En vertu de l’article 28 de la loi, le Commandement des forces de l’ordre de la République islamique d’Iran est tenu d’utiliser des systèmes technologiques, tels que des caméras de surveillance de la circulation et l’intelligence artificielle, pour identifier les contrevenant-e-s potentiel-le-s. Les forces de l’ordre doivent déployer des systèmes de surveillance en ligne pour détecter les violations des normes sociales et la normalisation des soi-disant « comportements indécents », et signaler les contrevenant-e-s à la justice.
Dans le cas de cette loi, le Parlement iranien a fait une exception à la norme habituelle selon laquelle l’ensemble de ses membres est chargé de rédiger et adopter des lois. Le Parlement a voté pour permettre à la Commission juridique, un groupe plus restreint au sein du parlement, de rédiger cette loi. Grâce à cette délégation d’autorité, ce groupe plus restreint a pu limiter une discussion ouverte qui aurait reflété les points de vue de tous les députés. Une telle délégation n’est généralement autorisée que dans les « situations d’urgence ».
Cette loi a été approuvée malgré l’opposition publique et constante du président Masoud Pezeshkian à l’application stricte du port obligatoire du hijab, lors de sa campagne. En vertu de la loi iranienne, le président est tenu d’exécuter les résolutions du parlement. Si le président Pezeshkian s’abstenait de signer ou de promulguer la loi dans le délai requis, le journal officiel iranien, sur instruction du président du Parlement, publierait la loi dans les 72 heures. Néanmoins, le président Pezeshkian devrait continuer de refuser de signer la loi et prendre toutes les mesures possibles pour minimiser les dommages qu’elle engendrerait, a déclaré Human Rights Watch.
« La communauté internationale devrait appeler l’Iran à renoncer à sa nouvelle loi sur le hijab et la chasteté, et veiller plutôt à ce que les femmes et les filles iraniennes ne soient plus confrontées à la discrimination et aux abus en raison de leurs choix vestimentaires », a conclu Nahid Naghshbandi.
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