Les organisations soussignées appellent le gouvernement tunisien à mettre fin à la répression persistante des droits à la liberté d'expression et d’association et à respecter les droits fondamentaux de toutes les personnes en Tunisie.
En mai 2024, les autorités tunisiennes ont intensifié la répression visant les défenseur·e·s des droits humains, les organisations de la société civile, les avocat·e·s et les journalistes en procédant à de nouvelles arrestations, en les harcelant et en les intimidant. Parallèlement, les autorités tunisiennes intensifient une fois de plus le discours anti-migrant·e·s et amplifient la répression brutale exercée contre les ressortissant·e·s étrangers africains, y compris contre des personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées. Les autorités tunisiennes doivent libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues injustement dans le cadre de la répression actuelle et depuis la prise de pouvoir du président Kaïs Saïed en juillet 2021 ; mettre fin à toutes les expulsions collectives et sommaires de personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées ; et mettre un terme aux pratiques abusives du gouvernement qui violent les droits humains en Tunisie.
Après les raids menés par les autorités tunisiennes contre des personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées qui campaient près des bureaux tunisiens de l'OIM et du HCR les 3 et 4 mai 2024, le pays a expulsé environ 400 personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées, procédant ainsi des expulsions collectives illégales, et en a arrêté au moins 80 autres. Ces raids ont été menés parallèlement à une répression sévère de la société civile tunisienne visant en particulier des organisations œuvrant pour la protection des droits des personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées. Depuis le 3 mai, des personnes affiliées à au moins 12 organisations ont été convoquées par les autorités, intimidées, ont fait l'objet d'une enquête et ont été placées en détention.
Les arrestations de membres de la société civile ont coïncidé avec l’intensification de la campagne de répression menée contre des journalistes et des avocat·e·s avec l’arrestation de deux avocats et de deux journalistes. L'un des avocats est inculpé au titre du décret-loi n° 54, une loi abusive relative à la cybercriminalité, et les deux journalistes ont chacun été condamnés à un an d’emprisonnement au titre de ce même décret-loi. Le décret-loi n° 54 est devenu un outil privilégié pour étouffer la presse et la liberté d'expression ; depuis son entrée en vigueur, plus de 60 journalistes, avocat·e·s et opposant·e·s politiques ont fait l’objet de poursuites judiciaires en vertu de ses dispositions, selon le Syndicat national des journalistes tunisiens.
La répression exercée contre les personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées s'inscrit dans le sillage des propos xénophobes et haineux tenus par le président Kaïs Saïed en février 2023 au sujet des Africain·e·s noirs, que le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD) a jugés contraires à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale parce qu’ils incitaient à la discrimination raciale ou l’encourageaient. Les propos du président Kaïs Saïed ont déclenché une recrudescence de la violence envers les personnes noires, y compris envers les Tunisien·ne·s noirs.
Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que, dans de nouvelles remarques incendiaires en date du 6 mai 2024, le président tunisien a continué d’affirmer qu'il existe un complot soutenu par l'étranger visant à accroître la migration vers la Tunisie, et qu'il a accusé des groupes de la société civile soutenant les personnes migrantes de trahison et de recevoir des « millions d’euros et de dollars » dans le cadre de ce complot. Le dénigrement par le président Kaïs Saïed des bénéficiaires de fonds étrangers ces derniers mois souligne le risque de voir le gouvernement apporter au décret-loi n° 88, une loi saluée au niveau international qui protège le droit à la liberté d'association en Tunisie, des modifications qui restreindront considérablement ce droit. Le 14 mai, le Premier ministre tunisien a annoncé qu'un nouveau projet de loi sur les associations était en cours de finalisation et allait être soumis au gouvernement pour approbation.
Depuis la prise de pouvoir du président Saïed en juillet 2021, les autorités tunisiennes ont délibérément démantelé les libertés fondamentales protégées par le droit international en incarcérant des opposant·e·s politiques et des personnes considérées comme des détracteur·trice·s du pouvoir ; en harcelant, en intimidant et en emprisonnant des journalistes ; en arrêtant et en incarcérant des avocat·e·s ; et en multipliant les violations des droits fondamentaux des personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées. Le mois dernier, ces attaques se sont considérablement intensifiées.
Les autorités tunisiennes doivent de toute urgence inverser la tendance en libérant toutes les personnes détenues arbitrairement, y compris les journalistes, les avocat·e·s et les défenseur·e·s des droits humains arrêtés le mois dernier, ainsi que toutes les personnes qui s’opposent au pouvoir ou qui le critiquent, et en protégeant les droits des personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées.
Signataires
- Amnesty International
- DAWN
- EuroMed Rights
- FairSquare
- Femena
- Human Rights Watch
- HuMENA for Human Rights and Civic Engagement
- La Commission internationale de juristes
- Le Service international pour les droits de l’homme
- MENA Rights Group
- Middle East Democracy Center
- Institut Tahrir pour la politique au Moyen-Orient