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Gambie : Condamnation historique en Suisse d’un ex-ministre

L’ex-ministre de l’Intérieur de l’ère Jammeh, Ousmane Sonko a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité

Tribunal pénal fédéral suisse à Bellinzone, Suisse, le 15 mai 2024. © 2024 Human Rights Watch

(Genève) – La condamnation par un tribunal suisse de l’ancien ministre de l’Intérieur gambien Ousmane Sonko pour crimes contre l’humanité est un événement majeur pour les victimes gambiennes des crimes d’atrocité commis sous le règne de Yahya Jammeh, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le verdict est une avancée de taille dans les efforts de la Suisse visant à demander des comptes aux responsables de crimes graves commis à l’étranger.

Le 15 mai 2024, le Tribunal pénal fédéral suisse de Bellinzone a reconnu Sonko coupable et l’a condamné à 20 ans de prison pour son rôle dans des crimes contre l’humanité liés à la torture, des détentions illégales et des exécutions illégales commises entre 2000 et 2016, au cours du mandat du président de l’époque Yahya Jammeh. Sonko est la deuxième personne condamnée en Europe pour des crimes internationaux commis en Gambie.

« La condamnation d’Ousmane Sonko est historique pour les victimes gambiennes de crimes brutaux commis sous le régime de Yahya Jammeh », a déclaré Balkees Jarrah, Directrice adjointe du Programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Le verdict devrait catalyser les efforts de justice en Gambie et encourager les procureurs suisses à poursuivre d’autres affaires d’atrocités au niveau international. »

Le procès de Sonko a été rendu possible parce que le droit suisse reconnaît la compétence universelle pour certains crimes internationaux graves, qui permet de poursuivre ces crimes quel que soit le lieu où ils ont été commis et quelle que soit la nationalité des suspects ou des victimes. Sonko est l’ancien responsable gouvernemental le plus haut placé à être condamné sur le continent en vertu du principe de compétence universelle, a déclaré Human Rights Watch.

Les autorités suisses ont arrêté Sonko à Berne le 26 janvier 2017, le lendemain du jour où TRIAL International, un groupe non gouvernemental suisse, a déposé une plainte pénale contre lui. Le ministère public de la Confédération a déposé un acte d’accusation contre Sonko le 17 avril 2023. L’accusation, les représentants des victimes qui étaient formellement parties à la procédure, connus sous le nom de plaignants privés en droit suisse, et la défense ont présenté leurs arguments au cours du procès qui s’est ouvert le 8 janvier et s’est achevé le 7 mars. Un certain nombre de témoins, ainsi que Sonko lui-même, ont témoigné pendant le procès. TRIAL International a diffusé quotidiennement des informations sur les audiences.

Au cours des deux dernières décennies, les tribunaux nationaux d’un nombre croissant de pays ont instruit des affaires de crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, torture, disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires commis à l’étranger. Bien qu’ils disposent d’une législation solide pour poursuivre de telles affaires, les responsables judiciaires suisses ont été critiqués par le passé pour leur retard sur leurs homologues européens. Néanmoins, au cours des dernières années, les autorités suisses ont poursuivi un certain nombre d’affaires sur la base de la compétence universelle, concernant des crimes présumés commis au Libéria, en Algérie et en Syrie.

Les médias, les représentants de la société civile et le grand public ont pu assister au procès en personne. Cependant, l’accès à distance à la procédure n’était pas disponible, ce qui a posé certains problèmes aux victimes et aux communautés affectées en Gambie pour suivre l’affaire. Les médias ont rapporté que si le tribunal suisse avait pris en charge les frais des plaignants privés pour les jours où ceux-ci ont présenté des preuves dans la salle d’audience, il n’avait pas défrayé ces mêmes plaignants pour qu’ils puissent assister à l’ensemble du procès. Les plaignants n’ont donc pas pu assister à certaines audiences clés, y compris au prononcé du verdict. Les recherches menées par Human Rights Watch dans d’autres situations ont montré que l’insuffisance de la sensibilisation des communautés affectées peut compromettre l’impact des efforts visant à mettre en œuvre l’obligation de rendre des comptes pour les crimes internationaux graves.

Une autre préoccupation était de savoir si les Gambiens pouvaient suivre et comprendre les procédures, qui se sont déroulées en allemand. Human Rights Watch a suivi cinq séances du tribunal et a noté que l’interprétation de l’allemand vers l’anglais, une langue comprise par l’accusé et les communautés gambiennes, était incomplète. Le dernier jour du procès, Sonko s’est dit préoccupé par le fait que certaines étapes cruciales de la procédure, telles que les plaidoiries des parties, n’avaient pas été interprétées en anglais. Le tribunal a rendu les conclusions du jugement disponibles en anglais. Les autorités suisses devraient veiller à ce que les futures affaires de compétence universelle soient pleinement accessibles aux accusés et aux communautés concernées, notamment en donnant une interprétation adéquate, même si cela n’est pas exigé par la loi.

Sous le règne de Yahya Jammeh, qui a duré 22 ans, le gouvernement a mené une répression systématique à l’encontre de tout opposant réel ou supposé dans le but de conserver le pouvoir politique. Le gouvernement a notamment pris pour cible des journalistes, des défenseurs des droits humains, des leaders étudiants, des chefs religieux, des membres de l’opposition politique, des responsables judiciaires, des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels, ainsi que des membres des forces de sécurité. Les personnes appréhendées ont été soumises à la torture, à des exécutions extrajudiciaires, à des disparitions forcées et à des violences sexuelles. Nombre de ces violations des droits humains ont été mises en lumière pendant les audiences de la Commission vérité, réconciliation et réparations (Truth, Reconcilation and Reparations Commission – TRRC) gambienne, mise en place en 2018.

Depuis la chute du président Jammeh, le gouvernement gambien n’a engagé que deux poursuites pour des crimes commis pendant sa présidence. En décembre 2021, le rapport final de la TRRC a conclu que Yahya Jammeh et 69 de ses associés avaient commis des crimes contre l’humanité, et a demandé qu’ils soient poursuivis. En mai 2022, le gouvernement gambien a accepté la recommandation de la TRRC de mise en œuvre une obligation de rendre des comptes.

Le 22 avril 2024, dans ce qui constitue une avancée décisive en matière de justice, l’assemblée nationale gambienne a approuvé deux projets de loi visant à favoriser la création d’un bureau du procureur spécial et d’un tribunal hybride avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dans le but de juger les crimes les plus graves.

« Les victimes des crimes commis sous l’ère Jammeh ont droit à la justice et la condamnation de Sonko est un pas de plus vers cet objectif », a déclaré Balkees Jarrah. « Le verdict souligne l’importance pour le gouvernement gambien et la CEDEAO de donner suite au plus vite à la création d’une cour hybride impartiale et indépendante afin d’élargir la portée de l’obligation de rendre des comptes dans le pays. »

 

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