(New York) – Les États parties à la Cour pénale internationale (CPI) devraient renforcer leur soutien politique, financier et concret à la Cour, afin que celle-ci dispose des moyens requis pour s’acquitter de son mandat, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. La 22ème session annuelle de l’Assemblée des États parties à la CPI se tiendra à New York, du 4 au 14 décembre 2023.
Les situations dont la CPI est saisie, qui comprennent les conflits au Darfour, en Israël/Palestine et en Ukraine, mettent en évidence le rôle essentiel de la Cour pour faire rendre des comptes et défendre l’État de droit dans le cadre des conflits actuels. Cette année marque le 25ème anniversaire de l’adoption du Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI. Pendant des années, les augmentations du budget de la CPI ont été limitées au strict minimum, certains États parties prônant une approche de croissance nominale zéro, si bien que la Cour est aujourd’hui privée des ressources dont elle aurait besoin pour remplir sa mission.
« La CPI vise à ce que personne ne soit au-dessus des lois, mais l’absence d’un soutien constant des États à toutes ses enquêtes engendre le risque de perpétuer une approche “deux poids, deux mesures” entravant l’accès des victimes à la justice », a déclaré Elizabeth Evenson, directrice du Programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Les États parties devraient profiter de leur réunion annuelle pour soutenir un accès équitable à la justice pour toutes les victimes dans les affaires dont la Cour est saisie, et concrétiser leur engagement en appuyant une hausse significative de son budget. »
Lors de cette Assemblée annuelle, les États parties à la CPI prendront des décisions cruciales concernant le fonctionnement de la Cour. Ils détermineront notamment son budget pour 2024 et voteront pour renouveler la présidence de la CPI et de l’Assemblée. Human Rights Watch a publié un rapport de 25 pages contenant des recommandations pour la 22ème session de l’Assemblée des États membres de la CPI.
Les États parties devraient démontrer leur engagement en faveur d’une justice impartiale en fixant le budget de la CPI pour les prochaines années à un niveau qui permet à la Cour de remplir son mandat en toute indépendance, a déclaré Human Rights Watch. En 2022, les États parties à la CPI ont approuvé une augmentation du budget annuel de la Cour qui couvrait à peine les coûts liés à l’inflation et le budget adopté était bien inférieur à ce que la Cour avait demandé. Si certains pays ont promis des contributions volontaires, ce modèle de financement n’est pas pérenne et entache le travail de la Cour de soupçons de politisation.
La CPI est actuellement saisie d’affaires dans 17 situations avec trois procès en cours. Elle est également la clé de voûte d’un vaste système de justice pénale internationale permettant de traduire en justice les auteurs de crimes internationaux à travers des tribunaux au niveau national et international. La CPI dépend de la coopération des États, y compris en ce qui concerne les arrestations. En août, à la veille du sommet des BRICS prévu dans le pays, l’Afrique du Sud a confirmé son obligation d’arrêter Vladimir Poutine compte tenu du mandat d’arrêt lancé par la CPI contre le président russe pour sa responsabilité dans les graves crimes de guerre commis en Ukraine.
Les États devraient apporter un soutien plus constant à la CPI dans toutes les affaires dont elle est saisie, a déclaré Human Rights Watch.
Le Procureur de la CPI, Karim Khan, a ouvert une enquête concernant la situation dans l’État de Palestine, qui est partie à la CPI. Lors d’une visite en Égypte fin octobre, Karim Khan a évoqué le mandat de la Cour dans le contexte du conflit entre Israël et des groupes armés palestiniens. Il s'est rendu en Israël et en Palestine avant la session annuelle de l’Assemblée. Le 17 novembre, l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti – tous États parties à la CPI – ont déféré la situation en Palestine au bureau du Procureur de la Cour. L’État de Palestine a également déféré la situation en Palestine en 2018 et s’est engagé à coopérer avec la Cour.
Seuls quelques États parties à la CPI se sont exprimés sur le rôle de la Cour s’agissant de la situation en Palestine. À l’inverse, de nombreux États ont réagi à l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Ce contraste a fait naître le sentiment que le soutien des États à la justice internationale souffrait d’un « deux poids, deux mesures », et a fragilisé la légitimité de la CPI.
Les États parties à la CPI devraient profiter de la session annuelle de l’Assemblée pour aborder directement le rôle essentiel de la Cour pour lutter contre l’impunité dans toutes les situations dont elle est saisie, y compris dans le contexte des hostilités entre Israël et des groupes armés palestiniens, a déclaré Human Rights Watch.
La Cour ayant pour mandat de traduire en justice les auteurs des crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale, les tentatives récurrentes de faire obstruction à l’obligation de rendre des comptes ne sont guère surprenantes. En 2023, les autorités russes ont entamé des procédures pénales et émis des mandats d’arrêt contre le Procureur de la CPI et plusieurs juges de la Cour. En septembre, la CPI a été la cible d’une grave cyber-attaque à des fins d’espionnage, dont elle n’est toujours pas en mesure de confirmer le ou les responsables.
La Présidence de l'Assemblée, la Cour et certains États parties ont condamné ces actes d’intimidation et ces tentatives de faire obstruction au travail de la Cour, conformément à une importante stratégie adoptée en 2022 pour répondre aux menaces et aux attaques contre « la Cour, ses fonctionnaires et ceux qui coopèrent avec elle » [sous-lignage rajouté] . Toutefois, cette stratégie n’a pas encore été appliquée pour répondre aux menaces proférées à l’encontre des défenseurs des droits humains qui réclament justice auprès de la Cour. En octobre, des États parties ont adopté des « lignes directrices et recommandations pour renforcer la sécurité des participants aux travaux de l’Assemblée ». Lors de l’Assemblée, les États parties doivent s’engager à faire davantage pour protéger les espaces civiques afin que les défenseurs des droits humains puissent mener leur action en faveur de la justice auprès de la CPI sans crainte de représailles, a déclaré Human Rights Watch.
L’Assemblée va également élire six nouveaux juges, soit un tiers des juges de la Cour. L’élection au mérite de responsables de la Cour hautement qualifiés est l’un des éléments les plus importants de la gestion de la Cour par les États parties à la CPI. Pour cette élection, les candidats ont été soumis à une nouvelle procédure visant à évaluer leur « haute moralité », une exigence du Statut de Rome pour les postes de fonctionnaire de la CPI. Cette procédure a constitué une nouvelle étape cruciale vers une procédure permanente de vérification pour tous les candidats à des postes de responsables élus de la CPI, qui devrait être mise en place lors de la session annuelle de l’Assemblée.
Les États parties prendront également des décisions concernant l’avenir du processus d’examen des performances de la Cour par des experts indépendants, qui a débouché sur près de 400 recommandations de changement en 2020. Ces trois dernières années, les États parties ont évalué ces recommandations et commencé leur mise en œuvre. Alors qu’ils s’apprêtent à déterminer les prochaines étapes, les États membres devraient rester engagés dans un processus structuré de suivi afin de poursuivre les efforts visant à renforcer l’efficacité de la Cour, a déclaré Human Rights Watch. Cela passe notamment par l’élaboration d’un rapport annuel de la Cour et de l’Assemblée sur la mise en œuvre des recommandations, par le maintien du respect de l’indépendance de la Cour en matière de justice et de poursuites, ainsi que par une participation continue et effective de la société civile.
« Les États parties à la CPI vont devoir démontrer que leur volonté de soutenir le mandat impartial de la Cour va au-delà des déclarations d’intention, alors que, partout dans le monde, des voix toujours plus nombreuses se demandent si le droit international s’applique bien à tous », a conclu Elizabeth Evenson. « Les États parties devraient saisir l’opportunité que constitue la session annuelle de l’Assemblée pour dénoncer l’approche “deux poids, deux mesures” et garantir à la Cour le soutien et les ressources dont elle a besoin pour être à la hauteur des attentes légitimes des victimes et des communautés affectées. »
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