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Syrie : Le gouvernement a utilisé des armes à sous-munitions dans le nord-ouest du pays

Les forces syriennes et russes ont également utilisé des armes incendiaires

Morceau de la section de chargement de l'une des deux roquettes à sous-munitions Uragan de 220 mm de la série 9M27K, enfoncé dans le sol sur un trottoir à côté d'une école de garçons dans la ville de Termanin, en Syrie. Photo prise le 6 octobre 2023.
Ogive d’une roquette à sous-munitions Uragan de 220 mm de la série 9M27K, enfoncée dans le trottoir près d'une école de garçons dans la ville de Termanin (région d’Idlib) en Syrie, le 6 octobre 2023. Les fragments d'une autre roquette ont été trouvés non loin de là, suite à une attaque menée par l’armée syrienne contre cette zone tenue par l’opposition. © 2023 Défense civile syrienne

(Beyrouth, le 5 novembre 2023) – Les forces gouvernementales syriennes ont utilisé des armes à sous-munitions largement interdites lors d’une attaque contre Termanin, une ville du nord d’Idlib, le 6 octobre 2023, faisant deux morts et neuf blessés parmi les civils, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le lendemain, un garçon âgé de neuf ans a ramassé une munition qui n’avait pas explosé à l’impact lors de l’attaque ; elle a explosé, blessant le garçon ainsi que deux autres personnes.

Cette attaque a été menée dans le cadre d’une vaste campagne militaire menée depuis le 5 octobre par les forces syriennes et russes dans le nord-ouest de la Syrie, une région tenue par l’opposition. Au 27 octobre, cette campagne militaire aurait déjà touché plus de 2 300 sites dans les provinces d’Idlib et dans l’ouest de la région d’Alep. Au moins 70 personnes ont été tuées, dont trois travailleurs humanitaires, 14 femmes et 27 enfants, et 338 autres ont été blessées. Environ120 000 personnes ont été déplacées, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA).

« L’utilisation par les forces gouvernementales syriennes d’armes à sous-munitions lors de leurs bombardements de zones tenues par l’opposition démontre les effets tragiquement indiscriminés de ces armes, dont les séquelles sont dévastatrices pendant longtemps », a déclaré Adam Coogle, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Sous les bombardements continus des forces syriennes et russes, les enfants d’Idlib sont une fois de plus victimes d’actions militaires cruelles et illégales. »

Ces attaques, dont certaines ont été menées avec des armes incendiaires, ont également endommagé des services et des infrastructures essentielles, dont 23 établissements de santé et hôpitaux et 17 écoles, selon l’ONU. Le 30 octobre, la Défense civile syrienne, un groupe bénévole qui organise des opérations de recherche et de sauvetage dans les zones tenues par l’opposition, a signalé que des frappes aériennes et des tirs d’artillerie continuaient d’endommager des zones résidentielles, des écoles et des établissements de santé dans toute la région. Le 24 octobre, une frappe aérienne a touché un camp de personnes déplacées près du village d’al-Hamama, dans une zone rurale de l’ouest du gouvernorat d’Idlib, tuant cinq membres d’une même famille, dont une femme enceinte, deux enfants en bas âge et leur grand-mère âgée de 70 ans.

Une partie dévastée d’un camp de personnes déplacées près de la ville d'Al-Hamamah, dans l’ouest de la région d'Idlib, en Syrie, suite à une frappe aérienne menée par l'alliance militaire syro-russe le 24 octobre 2023 contre cette zone tenue par l’opposition. L’attaque a tué cinq membres de la même famille : une femme enceinte, deux nourrissons et leur grand-mère âgée de 70 ans. © 2023 Ali Haj Suleiman

« Nous assistons à la plus importante escalade des hostilités en Syrie depuis quatre ans », a déclaré Paulo Pinheiro, qui dirige la Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie, devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 24 octobre. « Une fois de plus, la vie des civils semble être totalement ignorée dans ce qui constitue le plus souvent des actes de représailles. »

Cette dernière escalade par les forces gouvernementales syriennes fait suite à une attaque meurtrière menée par un drone contre une académie militaire à Homs le 5 octobre. Cette attaque s’est produite lors d’une cérémonie de remise de diplômes à des cadets et a tué au moins 120 personnes, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, une organisation qui analyse le conflit syrien. Des femmes et des enfants faisaient partie des victimes, selon les informations disponibles. Toutes les parties au conflit doivent prendre toutes les précautions possibles dans la conduite des opérations militaires pour éviter ou en tout cas réduire au minimum les pertes en vies humaines et les blessures infligées aux civils.

Aucun groupe n’a revendiqué cette attaque, mais le ministère syrien de la Défense a affirmé dans un communiqué que des « groupes terroristes armés » étaient responsables, sans nommer de groupe en particulier. Il a promis de répondre « avec toute la force et la détermination nécessaires », et a averti que ceux qui ont planifié et exécuté l’attaque « le paieront cher ».

Les forces gouvernementales syriennes ont ensuite intensifié leurs attaques dans le gouvernorat d’Idlib, qui est en grande partie contrôlé par le groupe armé antigouvernemental Hayat Tahrir al-Sham et abrite environ trois millions de personnes, dont la moitié venues d’autres régions de la Syrie depuis le début du conflit.

Le 12 octobre, l’agence de presse de l’État syrien, SANA, a cité une source militaire syrienne déclarant que l’armée syrienne « continuera à poursuivre et à frapper [les "extrémistes"] jusqu’à ce que le pays en soit nettoyé ». Les attaques contre Idlib ont duré au moins jusqu’au 30 octobre.

Human Rights Watch a mené des entretiens avec cinq habitants de Termanin, dont l’un a perdu un frère dans l’attaque aux armes à sous-munitions qui, selon lui, a eu lieu le 6 octobre juste avant 23 heures. Les chercheurs se sont également entretenus avec des secouristes de la Défense civile syrienne et ont analysé des vidéos et des photographies prises juste après l’attaque et dans les jours qui l’ont suivie, publiées sur des plateformes de réseaux sociaux ou partagées directement avec les chercheurs.

Human Rights Watch a confirmé l’authenticité et la localisation d’une vidéo que la Défense civile syrienne a partagée en ligne, enregistrée dans le centre de Termanin peu après l’attaque. Dans cette vidéo, on voit un homme allongé au sol, ses vêtements maculés de sang. Des membres de la Défense civile syrienne le transportent vers une ambulance et peu après, un deuxième homme plus jeune, est lui aussi transporté dans la même ambulance.

La Défense civile syrienne a déclaré à Human Rights Watch que le premier homme, qu’elle a identifié comme étant Sami Bakro, était mort à son arrivée à l’hôpital. La Défense civile syrienne a déclaré que le bombardement de cette nuit-là avait tué 5 civils et en avait blessé au moins 31 autres.

Depuis le début du conflit armé en Syrie en 2012, Human Rights Watch a documenté les dommages causés aux civils par l’utilisation d’armes à sous-munitions par le gouvernement syrien, notamment l’attaque du 6 novembre 2022 contre quatre camps de personnes déplacées à l’intérieur du pays à Idlib.

Les armes à sous-munitions sont tirées depuis le sol à bord de roquettes, de missiles et de projectiles, ou sont larguées depuis des avions. Elles se dispersent généralement en l’air, répandant de multiples sous-munitions ou mini-bombes sur une zone de la taille d’un pâté de maisons. Nombre d’entre elles n’explosent pas au moment de l’impact initial et laissent des ratés qui peuvent tuer et mutiler, comme les mines terrestres, pendant des années voire des décennies, à moins qu’elles ne soient déminées et détruites.

La Convention de 2008 sur les armes à sous-munitions, ratifiée par 112 pays et signée par 12 autres, interdit totalement ces armes et exige la dépollution des zones contaminées et l’assistance aux victimes. Ni la Syrie ni la Russie ne sont parties à cette convention.

Les armes incendiaires sont conçues pour déclencher des incendies, peuvent causer des brûlures atrocement douloureuses qui pénètrent souvent jusqu’à l’os, et mettre le feu à des objets, des infrastructures et des corps humains, avec des conséquences physiques et sociales durables et graves.

Depuis 2011, Human Rights Watch a également documenté des centaines d’attaques à caractère indiscriminé menées par les forces militaires syro-russes contre des civils et des infrastructures civiles essentielles, notamment à Idlib et dans l’ouest d’Alep. Le nord-ouest de la Syrie, tenu par l’opposition, abrite 4,5 millions de personnes, dont la moitié au moins a été déplacée au moins une fois depuis le début du conflit. Les civils de ces régions sont de fait pris au piège : ils manquent de ressources pour se reloger, sont dans l’impossibilité de passer en Turquie et risquent des persécutions s’ils tentent de se réinstaller dans les zones contrôlées par le gouvernement. La plupart de ces personnes dépendent de l’aide humanitaire pour satisfaire leurs besoins essentiels.

« La déclaration du gouvernement syrien menaçant de “poursuivre et frapper [les "extrémistes"] jusqu’à ce que le pays en soit nettoyé” est particulièrement préoccupante, compte tenu de ses antécédents en matière d’attaques illégales et indiscriminées, sans égard pour les vies des civils », a déclaré Adam Coogle.

Informations complémentaires  

L’attaque du 6 octobre

Deux habitants de Termanin ont déclaré que les attaques avaient commencé peu après 21 heures. « Nous étions tous assis ensemble à la maison après le dîner, comme n’importe quelle famille, quand nous avons été surpris par des bruits d’explosion en ville et à proximité », a déclaré Abdel Karim Bastin, 49 ans. Il a ajouté que son neveu Anouar Bastin, âgé de 21 ans, avait été tué peu après, lorsqu’une munition est tombée à 10 mètres d’eux sur une place près de sa maison où ils se trouvaient ensemble. « Nous nous sommes jetés à terre et il m’a tenu la main », a-t-il déclaré.

Vers 22h50, les charges de sous-munitions de deux roquettes à sous-munitions Uragan de 220 mm de la série 9M27K tirées depuis le sol ont atterri sur deux immeubles résidentiels distants d’environ 1 kilomètre dans le centre de Termanin, selon la Défense civile syrienne. Human Rights Watch a vérifié et géolocalisé une photographie que la Défense civile syrienne a partagée de l’un des débris de la roquette Uragan, enfoncé dans le sol sur un trottoir à proximité d’une école de garçons à Termanin.

Dans un message publié le 10 octobre sur son compte Facebook, l’école a partagé des images de la Défense civile syrienne qui semblent confirmer la présence de débris d’armes à sous-munitions autour des locaux de l’école.

Les photos des débris nettoyés après l’attaque par la Défense civile syrienne montrent des sous-munitions à fragmentation 9N235 ou 9N210 qui jonchent le sol. Chaque roquette Uragan de la série 9M27K a une portée de 10 à 35 kilomètres et contient 30 sous-munitions 9N235 ou 30 sous-munitions 9N210.

Peu après avoir entendu la première série d’explosions à Termanin, Taha Amouri, 50 ans, a emmené les membres de sa famille dans un champ à la périphérie de la ville pour les protéger des attaques. Il a ensuite reconduit son frère Ahmed, âgé de 35 ans, jusqu’en ville pour aider les autres victimes des bombardements.

« C’est un peu avant 23 heures [que je l’ai déposé] », a déclaré Amouri, à la suite de quoi des mini-bombes provenant de l’attaque aux armes à sous-munitions ont frappé Ahmed et son beau-frère, peu après le départ d’Amouri en voiture. Ahmed a succombé à ses blessures le 10 octobre dans un hôpital turc, comme l’a confirmé la Défense civile syrienne le 11 octobre. Le 2 novembre, le beau-frère d’Ahmed était toujours dans le coma, souffrant de graves blessures.

Par crainte de nouveaux bombardements, Amouri a déclaré à Human Rights Watch que lui et sa famille avaient choisi de rester dans le champ à ciel ouvert, où ils ont dormi pendant quatre nuits.

Blessure d’un garçon le 7 octobre

Le 7 octobre, Amoun Ahmad Bakro, 69 ans, et son petit-fils de 9 ans se rendaient à pied chez l’oncle du garçon après avoir acheté du pain à Termanin. Inconscient du danger, le garçon a ramassé une munition non explosée et l’a portée sur une distance d’environ 1,5 à 2 kilomètres jusqu’à la maison. À leur arrivée, le garçon a involontairement laissé tomber la munition à l’extérieur de la maison, ce qui l’a faite exploser et l’a blessé, lui, ainsi que son oncle et sa tante qui se trouvaient tous deux à 10 ou 15 mètres de là. « Il avait avec lui un objet avec lequel il jouait », a déclaré Mahmoud Hammad, l’oncle du garçon. « Je n’ai pas eu le temps de réagir ou de voir ce qu’il tenait dans ses mains ».

L’enfant a été grièvement blessé et se trouve toujours, depuis le 2 novembre, à l’hôpital de Bab al Hawa, dans le nord-ouest de la Syrie. Son oncle a été blessé au bras et à la jambe et sa tante à la hanche et à la cuisse.

Après l’attaque du 6 octobre à Termanin, Muhammad Sami al-Muhammad, un expert en explosifs de la Défense civile syrienne, a déclaré à Human Rights Watch que son organisation avait enlevé et détruit 9 sous-munitions à Termanin. « Malheureusement, le garçon blessé est arrivé plus vite sur les lieux que nous ne l’avons fait nous-mêmes », a-t-il déclaré en notant que les bénévoles de son groupe avaient été inondés de demandes d’aide pendant l’intensification des bombardements par l’alliance militaire syro-russe. La Défense civile syrienne s’occupe de l’enlèvement des restes d’explosifs de guerre depuis 2016.

Attaques aux armes incendiaires

Human Rights Watch a également recensé des preuves que les forces gouvernementales syriennes ont utilisé des armes incendiaires, en particulier des roquettes incendiaires de la série Grad tirées depuis le sol. Human Rights Watch a confirmé l’utilisation de roquettes incendiaires Grad grâce aux images prises par des victimes et par des membres des premiers secours d’une substance incendiaire tombant du ciel, à l’identification des restes de roquettes porteuses, et à celle de capsules uniques de forme hexagonale qui contiennent la substance incendiaire.

Le 18 octobre, une roquette incendiaire a atterri sur une maison à Darat Izzah, tuant Mariam al-Helou, une jeune fille de 13 ans, et blessant sa sœur de 11 ans, qui a subi des brûlures au bras, à la jambe et au dos. D’autres attaques menées avec des roquettes incendiaires Grad sur les villes et villages de Darat Izzah, al-Atarib, Jisr-al-Shughur et al-Abzimo les 6, 7 et 8 octobre n’ont pas fait de victimes selon la Défense civile syrienne. Lors d’une attaque contre le village d’al-Abzimo, trois civils ont été blessés mais aucun n’a été brûlé.

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