- Les récentes frappes de drones turcs contre des zones contrôlées par les autorités kurdes dans le nord-est de la Syrie ont endommagé des infrastructures cruciales et entraîné des coupures d'eau et d'électricité pour des millions de personnes.
- Les habitants de la région, déjà confrontés à une grave crise de l'eau, subissent désormais également le poids des bombardements croissants, exacerbant leur lutte pour obtenir un approvisionnement essentiel en eau.
- La Turquie devrait cesser de toute urgence de cibler les infrastructures nécessaires au bien-être des résidents, notamment les centrales électriques et hydrauliques, et de violer ainsi leurs droits.
(Beyrouth, 26 octobre 2023) – Les frappes de drones menées par les forces armées turques contre des zones contrôlées par des autorités kurdes dans le nord-est de la Syrie entre le 5 et le 10 octobre ont endommagé des infrastructures critiques et entraîné des coupures d'eau et d'électricité pour des millions de personnes, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Les frappes turques menées contre plus de 150 sites dans les gouvernorats d'Al-Hasakeh, Raqqa et Alep, dans le nord-est de la Syrie, ont tué des dizaines de personnes, dont des civils, et endommagé des structures civiles, ont indiqué des groupes civiques. L’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie, dirigée par des autorités kurdes et qui gouverne les zones ciblées, a confirmé que les attaques contre les centrales électriques et d’eau ont entraîné la « coupure complète de l’approvisionnement en électricité et en eau » dans le gouvernorat d’Al-Hasakeh. Des importantes installations pétrolières et l’unique usine de gaz opérationnelle à usage domestique dans le nord-est de la Syrie ont également été endommagées par les attaques. Dans la ville d’Al-Hasakeh, un conflit persistant concernant l’accès à l’eau depuis l’invasion par la Turquie de certaines parties du nord de la Syrie en 2019 met déjà en danger le droit à l’eau de près d’un million de personnes, y compris des résidents et des communautés déplacées.
« En ciblant les infrastructures critiques dans le nord-est de la Syrie, notamment les centrales électriques et hydrauliques, la Turquie ignore sa responsabilité de s’assurer que ses actions militaires n'aggravent pas la crise humanitaire déjà désastreuse dans cette région », a déclaré Adam Coogle, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les habitants de la ville d’Al-Hasakeh et de ses environs, déjà confrontés à une grave crise de l’eau depuis quatre ans, doivent désormais également supporter le poids des bombardements et des destructions, exacerbant leur lutte pour obtenir un approvisionnement crucial en eau. »
La Turquie a considérablement intensifié ses frappes de drones sur les zones du nord de la Syrie tenues par les forces kurdes, après qu'un groupe affilié au Parti armé des travailleurs du Kurdistan (PKK) a revendiqué la responsabilité d’un attentat-suicide mené le 2 octobre contre l'entrée du ministère de l'Intérieur turc à Ankara, blessant deux policiers. Le 4 octobre, le ministre des Affaires turc a déclaré a qualifié les infrastructures et installations énergétiques en Syrie et en Irak de « cibles légitimes » pour les forces armées turques, ainsi que pour les forces de sécurité et services de renseignement de ce pays. La Turquie, l’Union européenne et les États-Unis considèrent le PKK comme un groupe terroriste interdit ; en outre, la Turquie considère les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les États-Unis et l’Administration autonome dirigée par les autorités kurdes, comme un proche affilié du PKK.
Selon l'Administration autonome, les dégâts causés aux infrastructures par les attaques survenues entre le 5 et le 10 octobre affectent environ 4,3 millions de personnes dans le nord-est de la Syrie, car au moins 18 stations de pompage d'eau et 11 centrales électriques auraient été rendues non opérationnelles.
Parmi les installations électriques ciblées figurent la centrale électrique de Sweidiya, une source d'électricité vitale pour plus d'un million de personnes, et la station de transfert électrique du nord de Qamishli, dont dépendent 40 000 familles. Les attaques ont mis provisoirement fin au fonctionnement de ces installations, entraînant une interruption totale des services d’approvisionnement en électricité et en eau le 18 octobre.
La station de transfert du barrage d'Al-Gharbi à Al-Hasakeh, et celle d'Amuda, qui desservent respectivement environ 20 000 et 30 000 familles, étaient toujours inopérantes le 18 octobre à la suite des attaques subies le 5 octobre. La station de transfert d’Amuda fournit normalement de l'électricité à la station de transfert de Derbasiya, qui alimente elle-même la station de pompage d’eau d'Alouk.
En raison de ces perturbations, les communautés qui dépendent habituellement de la centrale hydraulique d’Alouk sont obligées de dépendre en grande partie de l’eau coûteuse – et souvent de mauvaise qualité et non testée – provenant de camions privés non réglementés, a déclaré l’autorité locale des eaux. Une habitante d’Al-Hasakeh a déclaré que l’eau qu’ils recevaient des camions privés était « jaune », et semblait être « rouillée ».
Ces piètres conditions d’assainissement ont déjà donné lieu à des épidémies de maladies d’origine hydrique, notamment le choléra en septembre 2022. Un médecin urgentiste de l'hôpital d'Al-Hasakeh a déclaré que rien qu’un un mois, du 9 avril au 9 mai 2023, cet hôpital avait enregistré 104 cas de personnes souffrant de diarrhée aiguë, pouvant être causée par une maladie d'origine hydrique, et 84 cas d'infections gastriques. Or, cet hôpital ne dispose que d’une capacité d’accueil de 50 à 60 cas de ce type, et n’a donc pas pu traiter tous les cas. Un médecin a déclaré que le centre de dialyse rénale de l’hôpital a été particulièrement touché, car il a besoin d’un approvisionnement continu en eau purifiée.
Avant les frappes turques en octobre, l'ONU avait déjà déterminé que depuis le début du conflit syrien en 2011, deux tiers des installations de traitement de l'eau, la moitié des stations de pompage et un tiers des châteaux d'eau ont été endommagés ; ceci a contribué à une grave crise de l'eau à travers la Syrie, en plus de la sécheresse et des pénuries d'énergie.
Les frappes turques d’octobre 2023 ne marquent pas la première fois que la Turquie semble cibler intentionnellement des infrastructures civiles en Syrie. Les frappes aériennes turques de novembre 2022 ont également causé des dégâts dans des zones densément peuplées et des infrastructures critiques, en Syrie.
En vertu du droit de la guerre, la Turquie et les autres parties au conflit armé doivent s’abstenir d’attaquer, de détruire ou de rendre inopérants les biens indispensables à la survie de la population civile, y compris pour la distribution d’eau et l’assainissement. Les gouvernements et les autorités de facto sont tenus de respecter le droit à l’eau en veillant à ce que les habitants aient accès à une eau suffisante, accessible et abordable, dans ces conditions sûres. Tout pays est également tenu de s'abstenir de porter atteinte, directement ou indirectement, au droit à l'eau dans d'autres pays.
La Turquie devrait veiller à ce que la centrale hydraulique d'Alouk fonctionne à sa capacité optimale sans interruption intentionnelle du pompage de l'eau, et devrait garantir un accès régulier aux équipes de réparation et de maintenance qualifiées. La Turquie et les autres parties au conflit devraient également s’associer aux efforts en cours de l’ONU concernant cette centrale, ainsi que la sous-station électrique de Derbasiyeh.
Texte complet en anglais : en ligne ici.
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