Dans le cadre d’une décision désastreuse pour les droits humains, la Commission de l’Union européenne (UE) a annoncé vendredi qu’elle allait mettre en œuvre un accord controversé sur le contrôle des migrations conclu en juillet, en débloquant immédiatement 67 millions d’euros pour la Tunisie, et ce malgré l’absence de garanties spécifiques en matière de droits humains pour les migrants et les demandeurs d’asile, ou de toute indication que l’UE ait évalué si ces fonds n’allaient pas rendre l’UE complice d’abus dans ce pays.
Cet accord – à propos duquel le chef de la diplomatie de l’UE, la ministre allemande des Affaires étrangères et d’autres ont exprimé leur malaise – promet à la Tunisie un soutien financier pour la gestion des flux migratoires, entre autres domaines, en échange de quoi la Tunisie empêchera les bateaux qui transportent des migrants et des demandeurs d’asile de quitter le pays de manière irrégulière vers l’Europe.
Cette précipitation à verser des fonds survient après l’augmentation significative du nombre de bateaux ayant quitté la Tunisie ces dernières semaines. Elle démontre une fois de plus l’obsession de l’UE à sceller ses frontières plutôt qu’à sauver des vies, et permet à des partenaires comme la Tunisie non seulement de ne pas être inquiétés pour les abus qu’ils commettent, mais aussi de faire pression sur l’UE pour obtenir davantage d’aide financière.
Une partie de cet argent – 42 millions d’euros selon les médias – ira aux garde-côtes et à la marine tunisiens.
Si les sauvetages en mer revêtent une importance vitale, l’UE veut surtout que les garde-côtes tunisiens interceptent et ramènent de force les bateaux en partance pour le continent. Human Rights Watch et d’autres organisations ont cependant documenté les abus commis par les garde-côtes pendant et après les interceptions : passages à tabac, vols d’effets personnels, abandon de personnes à la dérive ou encore manœuvres dangereuses susceptibles de faire chavirer les embarcations.
En Tunisie, les Africains noirs ont été confrontés à des violences accrues, à des détentions arbitraires et à des expulsions forcées, exacerbées par le discours de haine raciale prononcé par le président tunisien en février. Juste avant que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ne conclue son accord avec le président Kais Saied, les forces de sécurité tunisiennes avaient illégalement expulsé, de manière collective, plus de 1 300 étrangers noirs africains, dont des enfants, vers les zones frontalières avec la Libye et l’Algérie. Ces personnes ont été privées d’eau et de nourriture et ont souffert pendant des jours et des semaines, avant que certaines ne soient finalement évacuées. Mais selon les autorités libyennes, au moins 27 d’entre elles sont mortes à la frontière.
Il y a deux semaines, la médiatrice de l’UE a demandé à la Commission si elle avait procédé à une évaluation de cette mesure au regard des droits humains et comment elle prévoyait de contrôler sa mise en œuvre. Elle a été ignorée.
L’UE devrait garantir que la Tunisie respecte les critères fondamentaux en matière de droits humains, avant d’envoyer un seul centime d’euro à des entités dont le bilan en la matière est manifestement médiocre. Si elle ne le fait pas, l’UE risque de contribuer à alimenter de graves abus et à causer d’immenses souffrances.
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