(Gaza) – Les autorités de Gaza devraient d’urgence assurer la sécurité et la remise en liberté de deux sœurs qui seraient détenues de force par leur père et qui encourent de graves risques depuis leur retour forcé à son domicile il y a un mois, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Les deux jeunes femmes, Wissam al-Tawil, 23 ans, et Fatma al-Tawil, 19 ans, ont déclaré avoir déjà échappé à leur père à plusieurs reprises, y compris en septembre 2022 ; elles ont signalé les abus subis aux autorités, à des organisations de défense des droits humains, et sur les réseaux sociaux. Malgré cela, le 5 janvier 2023, la police a arrêté les deux femmes plusieurs jours après que leur père et deux proches aient signalé leur disparition. La police les a alors placées de force sous le contrôle d'un proche, qui les a ensuite emmenées chez leur père. On est sans nouvelles des deux jeunes femmes depuis le 6 janvier. Le 3 février, des photos ont circulé sur les réseaux sociaux, montrant des proches rendant visite aux deux femmes et à leur père. Toutefois, des sources fiables ont indiqué à Human Rights Watch qu'elles sont toujours confinées au sixième étage de l'immeuble ou vit leur père à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, sans leurs téléphones ni d’autres moyens de communication.
« Les photos montrant les deux femmes avec des proches un mois après que la police de Gaza les a retrouvées et renvoyées de force chez leur famille, qu'elles avaient fuie après avoir signalé de graves violences domestiques, y compris des menaces de mort, ne suffisent pas pour garantir qu'elles sont libres et en sécurité, et que leur vie n'est plus en danger », a déclaré Rothna Begum, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Les autorités du Hamas à Gaza devrait assurer d’urgence leur sécurité et liberté de circulation, afin qu'elles puissent quitter la maison de leur père, se rendre dans un lieu sûr de leur choix, et parler librement et indépendamment de leur situation. »
Human Rights Watch a été en contact régulier avec Wissam al-Tawil depuis septembre 2022, jusqu’à sa situation de confinement. Human Rights Watch a également mené des entretiens avec cinq personnes, dont des proches, qui étaient en contact avec les deux femmes, et a examiné des photographies, des vidéos et des publications sur les réseaux sociaux pour corroborer les récits des deux sœurs.
Le ministère de l'Intérieur de l’Autorité palestinienne avait précédemment publié deux communiqués, les 31 août et 8 septembre 2022, faisant état de la manière dont ils ont cherché à « résoudre le différend » opposant les deux jeunes femmes à leur père. En octobre 2022, Human Rights Watch a écrit au ministère du Développement social à Gaza au sujet du risque imminent pour la vie et l'intégrité physique des deux femmes et a demandé des informations sur les mesures prises par les autorités pour enquêter sur les abus signalés, et pour aider et protéger les deux sœurs. Les autorités devraient prendre des mesures pour les protéger et les soutenir, avait alors déclaré Human Rights Watch. Cela devrait inclure une enquête appropriée sur leurs plaintes, la garantie qu'elles aient accès au monde extérieur et à leurs téléphones pendant leur séjour dans un refuge gouvernemental, et la possibilité de se déplacer ou de quitter le territoire librement.
Bien que les autorités n'aient pas répondu aux questions concernant les mesures prises, le 3 novembre, un haut responsable du ministère a indiqué dans un message sur WhatsApp que les autorités tentaient de « remédier à la situation d'une manière mutuellement satisfaisante qui vise le regroupement familial ».
Wissam al-Tawil a expliqué à Human Rights Watch que sa sœur Fatma et elle-même avaient subi des violences de la part de leur père après son retour à Gaza en 2019, après 12 ans d'absence. Wissam a déclaré qu'en 2019, son père avait battu Fatma pour avoir quitté la maison sans sa permission, et qu’elle avait alors tenté de protéger sa sœur cadette ; après cela, il les a enfermées dans deux pièces séparées au sixième étage de leur immeuble, pendant 35 jours. Chaque sœur ne disposait que d’un matelas, d’un oreiller et d’une couverture, ne recevait qu'un seul repas par jour et n'était autorisée à quitter la pièce pour aller aux toilettes que deux fois par jour. Lorsque leur père les a finalement relâchées, a-t-elle dit, il a menacé de les pendre si elles faisaient quoi que ce soit pour le contrarier.
Wissam a ajouté que le 15 août 2022, son père l'avait enfermée dans une pièce pendant sept jours. Fatma a immédiatement signalé cet incident à la police en demandant de l'aide à plusieurs reprises, mais des policiers ne sont venus qu'une semaine plus tard. Wissam a expliqué que leur père avait alors justifié ses abus auprès des policiers en prétendant à tort qu'elle avait une « maladie mentale ». Bien qu’elle ait dit aux policiers que son père l'avait emprisonnée pendant une semaine, ils ont estimé qu'il ne lui ferait pas de mal, et sont repartis.
Le 26 août, a poursuivi Wissam son père a dit aux deux sœurs qu'elles allaient « certainement mourir » et leur avait demandé de choisir « le moyen le plus simple ». Elle a dit qu'il les avait laissées dans une pièce au sixième étage de leur immeuble avec une bouteille de gaz, et les avait encouragées à se suicider. « Je me suis dit que nous sommes déjà mortes, nous pouvons essayer de sauter et de nous échapper », a poursuivi Wissam, ce qu'elles ont fait en sautant par la fenêtre sur le balcon du cinquième étage en dessous et puis en fuyant. Le 29 août, elles ont pu se réfugier dans un centre par un groupe non gouvernemental, puis ont décrit de manière détaillée les abus subis, aux autorités.
Wissam a indiqué que le12 novembre, alors que Fatma et elle se trouvaient dans un refuge gouvernemental, la police les avait « traînées » hors de ce refuge et les avait emmenées chez un proche, qui les a enfermées dans une pièce pendant 48 heures. Les femmes ont déclaré avoir fui et s’être cachées, se déplaçant d'un endroit à l'autre de peur d'être retrouvées et renvoyées à leur père. À la mi-décembre, les femmes ont rencontré à nouveau les autorités pour discuter de leur situation.
Un proche a déclaré à Human Rights Watch que le père de la femme et deux autres membres de la famille avaient signalé la disparition des deux femmes à la police, début janvier. Le 5 janvier, la police a arrêté les deux femmes et les a remises de force à un membre de la famille, qui les a conduites chez leur père à Rafah, dans le sud de Gaza. Peu après minuit, l’une des sœurs a envoyé un message a Amnesty International : « Nous sommes chez notre père ; il nous enverra au sixième étage tout à l'heure. Nous sommes condamnées. ».
Les autorités de Gaza ont l’obligation de prévenir les violences sexistes, d'enquêter sur de tels actes et de les punir, en vertu du droit international des droits humains, y compris les conventions internationales auxquelles la Palestine a adhéré.
L'Autorité palestinienne, qui gère les affaires dans certaines parties de la Cisjordanie, a abrogé ou modifié certaines lacunes juridiques dans les codes pénaux de Cisjordanie et de Gaza en 2011 et 2019 afin d'interdire les peines réduites pour les crimes graves contre les femmes et les enfants. Cependant, un projet de loi sur la protection de la famille demeure en suspens depuis plusieurs années ; en outre, les autorités du Hamas à Gaza n’appliquent pas suffisamment les lois visant à protéger efficacement les femmes contre la violence domestique.
Communiqué complet en anglais : en ligne ici.
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