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Cameroun : Meurtre d’un éminent journaliste d’investigation

Une enquête efficace et transparente est nécessaire ; les assassins de Martinez Zogo devraient être traduits en justice

Des personnes en deuil disposent des bougies dans une salle de Radio Amplitude FM où un portrait du journaliste Martinez Zogo a été placé pour lui rendre hommage, dans le quartier Elig Essono à Yaoundé, au Cameroun, le 23 janvier 2023. © DANIEL BELOUMOU OLOMO/AFP via Getty Images

Les autorités camerounaises devraient mener une enquête efficace et transparente sur le meurtre de Martinez Zogo, un éminent journaliste d’investigation, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Zogo était le directeur de la station de radio Amplitude FM et dénonçait régulièrement la corruption dans le cadre de son travail. Dans les jours précédant son meurtre, il avait parlé à l’antenne des menaces auxquelles il était confronté.

Le corps de Zogo a été retrouvé le 22 janvier 2023 à Soa, une banlieue de Yaoundé, la capitale camerounaise. Selon les informations de plusieurs médias, le corps de Zogo présentait des signes indiquant qu’il aurait subi de graves tortures, dont « un pied cassé, des doigts coupés ». Un article affirme qu’« il a reçu des décharges électriques, on lui a fait manger ses excréments, la langue n’avait pas sa position normale ». Human Rights Watch n’a pas été en mesure d’obtenir un rapport d’autopsie. Le gouvernement a publié une déclaration le 22 janvier, affirmant que Zogo avait « subi d’importants sévices corporels ».

« Martinez Zogo était un journaliste qui prenait de grands risques pour faire éclater la vérité sur la corruption », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Son meurtre odieux envoie un message effrayant à tous les autres journalistes du Cameroun. Les autorités camerounaises devraient mener une enquête rapide et impartiale afin que les assassins de Zogo puissent être traduits en justice. »

Zogo a été vu pour la dernière fois par des collègues dans la soirée du 17 janvier, après avoir fini son travail à Yaoundé. Des gendarmes du quartier de Nkol-Nkondi ont déclaré avoir entendu un grand bruit à l’extérieur d’un de leurs postes plus tard dans la nuit, et avoir trouvé la voiture de Zogo endommagée près du portail, comme si quelqu’un avait essayé de passer à travers le portail, en vain. Il n’y avait plus personne dans la voiture quand les gendarmes sont arrivés. Toutefois, après la découverte du corps de Zogo, les gendarmes ont émis l’hypothèse qu’il avait peut-être essayé d’entrer dans le poste pour se protéger de ses agresseurs. D’après certaines informations, les gendarmes ont supposé qu’il avait été kidnappé par les éventuels tueurs alors qu’il se trouvait dans sa voiture.

Certaines sources ont indiqué au Comité pour la protection des journalistes (Committee to Protect Journalists, CPJ) que des voisins avaient déclaré que des hommes non identifiés avaient été aperçus devant le domicile de Zogo plusieurs nuits de suite avant son enlèvement. Le 18 janvier, la femme de Zogo a découvert que les freins de sa voiture avaient été trafiqués. 

Zogo était l’animateur d’« Embouteillages », une émission de radio populaire diffusée quotidiennement. Dans son émission, il discutait régulièrement d’affaires de corruption, accusant parfois nommément des personnes connues. Dans les semaines qui ont précédé son assassinat, Zogo a parlé à la radio de son travail d’enquête sur des affaires de détournement de fonds au sein d’institutions publiques, et a déclaré qu’il nommerait les personnes impliquées. Human Rights Watch a pu voir une copie d’une note que Zogo aurait soumis aux autorités judiciaires avant sa mort, et dans laquelle il demandait une enquête sur la corruption d’une personnalité de premier plan.

En janvier 2020, l’ancienne femme d’un responsable du gouvernement a accusé Zogo de diffamation. Les autorités ont ouvert une enquête criminelle et l’ont arrêté. Il a passé deux mois en détention provisoire, a été reconnu coupable et condamné à deux mois de prison en mars 2020, puis a été libéré puisqu’il avait déjà purgé sa peine.

Le meurtre de Zogo a été largement condamné, à l’intérieur comme à l’extérieur du Cameroun. Le Syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC) a dénoncé « des conséquences qui restreignent encore plus la liberté et la sécurité dans notre pays » et a déclaré : « Où sont la liberté de presse, la liberté d’opinion et la liberté d’expression au Cameroun quand exercer dans un média fait encourir désormais un risque mortel ? » Les organisations de la société civile ont vivement condamné la mort de Zogo et ont demandé le soutien de la communauté internationale afin que justice soit rendue.

Le ministre de la Communication, René Emmanuel Sadi, a publié deux communiqués depuis le meurtre de Zogo, dont un le 22 janvier, déclarant qu’une « enquête [était] ouverte pour retrouver et traduire devant la justice les auteurs de ce crime odieux, inqualifiable et inadmissible, qui ne peut se justifier sous aucun prétexte » , et insistant sur le fait que le Cameroun est un pays qui respecte l’état de droit et où la liberté de la presse est garantie.

Mais le meurtre de Zogo ne fait que souligner la difficulté des conditions de travail des journalistes au Cameroun, a déclaré Human Rights Watch.

En août 2019, Samuel Wazizi, un journaliste anglophone travaillant pour une chaîne privée, Chillen Muzik and TV (CMTV), a été arrêté à Buea, dans la région du Sud-Ouest. Wazizi couvrait le conflit dans les régions anglophones ainsi que des affaires de corruption. Début juin 2020, les autorités ont annoncé que Wazizi était mort en détention à une date indéterminée. Wazizi n’avait pas été revu par les membres de sa famille ou par son avocat depuis son arrestation. Il était accusé d’avoir tenu des propos critiques à l’antenne sur les autorités et leur gestion de la crise anglophone.

Ahmed Abba, un journaliste de Radio France Internationale (RFI), a été arrêté en juillet 2015 après avoir documenté les activités du groupe armé Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord du pays. Il a été détenu au secret pendant trois mois et torturé avant d’être finalement condamné à 10 ans de prison en vertu des lois antiterroristes, au motif qu’il n’avait pas signalé des actes de terrorisme aux autorités. Sa peine a ensuite été réduite, et il a été libéré en décembre 2017.

« Le meurtre de Martinez Zogo ne doit pas être balayé sous le tapis », a déclaré Lewis Mudge. « Les autorités camerounaises devraient se montrer à la hauteur des paroles du gouvernement, protéger activement les journalistes qui risquent leur vie pour faire leur travail, et demander des comptes aux assassins de Zogo – et à tous ceux qui intimident les professionnels des médias. »

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