(Nairobi) – Des groupes armés islamistes au Mali ont tué des centaines de personnes et forcé des dizaines de milliers d'autres à fuir leurs villages, lors d'attaques apparemment systématiques depuis mars 2022, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les forces de sécurité maliennes et les forces de maintien de la paix des Nations Unies devraient renforcer leur présence dans les régions touchées, intensifier les patrouilles de protection et aider les autorités à rendre justice aux victimes et à leurs familles.
Depuis le début de l'année, des groupes armés islamistes alignés sur l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS, ou ISGS en anglais) ont attaqué des dizaines de villages et massacré un grand nombre de civils dans les vastes régions du nord-est du Mali, Ménaka et Gao, qui bordent le Niger. Ces attaques ont en grande partie ciblé l'ethnie daoussahak, une tribu touarègue.
« Des groupes armés islamistes dans le nord-est du Mali ont mené des attaques terrifiantes et apparemment coordonnées contre des villages, massacrant des civils, pillant des maisons et détruisant des biens », a déclaré Jehanne Henry, conseillère senior auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Le gouvernement malien devrait faire davantage pour protéger les villageois particulièrement exposés aux risques d'attaques, et leur fournir une plus grande assistance. »
Entre mai et août, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 30 témoins d'attaques survenues entre mars et juin contre 15 villages dans les régions de Ménaka et de Gao. Les témoins ont décrit des groupes d'hommes lourdement armés circulant à moto et dans d'autres véhicules autour de leur village, tirant de manière indiscriminée, exécutant sommairement des hommes et d'autres villageois, pillant et détruisant des biens. Souvent, d'autres villages de la région ont été attaqués à peu près le même jour, suggérant l’existence d’un plan ou d’une directive. Des dizaines de milliers de personnes qui ont perdu leur bétail, leurs moyens de subsistance et leurs objets de valeur ont fui ailleurs au Mali ou vers le Niger voisin.
Un certain nombre de groupes armés sont actifs dans la région et impliqués dans de graves exactions. Les analystes de sécurité estiment que l’EIGS contrôle désormais largement trois des quatre cercles administratifs de la région de Ménaka par le biais de divers groupes armés islamistes. En outre, d'anciens groupes rebelles touaregs, alignés sur le gouvernement malien depuis un accord de paix de 2015, sont présents, notamment une faction daoussahak du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA-D) et le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA).
Il y a eu des reportages presque hebdomadaires dans les médias sur les meurtres, la destruction de villages et le déplacement massif de civils à Ménaka et Gao au début de cette année. En mai, les médias ont rapporté des informations sur des attaques contre plusieurs villages de la région de Ménaka. Un témoin a déclaré à Human Rights Watch que le 22 mai, des hommes lourdement armés sur une centaine de motos ont envahi le village d'Inékar de Ménaka, et ont commencé à tirer sur les hommes s’y trouvant, tuant neuf des membres masculins de sa famille. En juin, les médias ont signalé une attaque à Izingaz, dans le cercle de Tidermène, au cours de laquelle 22 civils auraient été tués, selon des groupes touaregs. En septembre, des médias ont rapporté que des groupes armés islamistes avaient mené une attaque à grande échelle contre la commune de Talataye, à Gao, tuant au moins 42 civils.
Des dirigeants communautaires ont déclaré que près de 1 000 civils ont été tués dans la région depuis le mois de mars. Un membre du comité d'enquête local a déclaré à Human Rights Watch qu'au moins 492 personnes avaient été tuées entre mars et juin dans la seule région de Gao, mais il pense que le nombre est beaucoup plus élevé puisque le comité n'a pas enquêté sur tous les lieux attaqués.
La vague actuelle d'attaques de groupes armés islamistes fait suite à un affrontement entre le groupe État islamique et le MSA-D début mars. L'État islamique a alors apparemment commencé à cibler les villages peuplés de daoussahak, émettant une fatwa – un ordre ou un décret religieux – contre les villageois qu'ils accusaient d'allégeance à d'anciens groupes rebelles et à un groupe islamiste armé rival, ont déclaré des villageois. Les combats entre les groupes armés ont conduit à des attaques contre des villes et des villages et leurs habitants, en violation des lois de la guerre.
« Ils ont brûlé des maisons, pris nos animaux et nos céréales, et ce qu'ils ne pouvaient pas prendre, ils l'ont incendié », a déclaré un chef de village qui a été témoin d'attaques contre la ville de Tamalate le 8 mars. Un enseignant témoin d'une attaque contre le village d'Intagoiyat en mars a expliqué : « Ils tirent sur tout. Ils se contentent de tuer, ils n'essayent pas d'interroger, ils ne parlent pas, seulement " Dieu est grand " et c'est fini. »
La flambée de violence coïncide avec le retrait par la France, le 15 août, du reste de ses troupes, déployées dans le cadre d'une opération régionale de lutte contre le terrorisme vers des sites au Niger et ailleurs. Cela reflète également des tensions de longue date entre les communautés pastorales de la région – des éleveurs semi-nomades dépendants de la diminution de l'eau et des pâturages. Si la grande majorité des meurtres récents ont été perpétrés par des groupes armés islamistes contre la communauté daoussahak, Human Rights Watch a également reçu des informations faisant état d'attaques de représailles par des groupes armés progouvernementaux contre des partisans présumés de l'État islamique.
L'armée malienne et la Mission multidimensionnelle intégrée de l’ONU pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) disposent toutes deux des forces dans les régions de Gao et Ménaka. Cependant, ces troupes ne patrouillent pas loin des villes et – en particulier à Ménaka – ont peu ou pas de capacité pour protéger les civils, y compris les populations déplacées, dans les zones reculées. La mission de l'ONU devrait continuer à intensifier ses patrouilles, ses vols de dissuasion et ses interactions avec les communautés touchées, a déclaré Human Rights Watch.
Des groupes armés islamistes ont également attaqué des civils dans d'autres régions du Mali cette année. Human Rights Watch a enquêté sur l'attaque du 18 juin contre des villages du cercle de Bankass dans la région de Mopti, qui aurait été perpétrée par la Katiba Macina, un groupe armé aligné sur la coalition Al-Qaïda, qui aurait tué 132 villageois, selon le gouvernement.
Human Rights Watch a également documenté depuis plusieurs années de graves abus commis par les forces de sécurité maliennes et des forces largement soupçonnées d'appartenir au groupe Wagner, un sous-traitant privé russe de la sécurité militaire qui serait lié au gouvernement russe, lors d'opérations militaires.
« Les autorités maliennes devraient travailler en étroite collaboration avec l'ONU pour assurer une meilleure sécurité à la population dans le nord-est et dans d'autres zones du pays touchées par le conflit », a conclu Jehanne Henry. « L'ONU et les autorités maliennes devraient améliorer les dispositifs de sécurité dans les zones menacées, s'engager davantage auprès des communautés locales et enquêter de manière impartiale sur tous les signalements d'abus graves. »
Pour plus de détails sur les attaques, veuillez lire la suite ci-dessous.
Attaques dans les régions de Gao et de Ménaka
Entre mai et août, les chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus en personne avec 17 témoins de graves abus à Gao, et par téléphone avec 13 personnes à Ménaka. Les témoins à Gao ont décrit des attaques contre des villages de la commune de Talataye. Ceux de Ménaka ont décrit des attaques contre des villages du cercle d'Andéramboukane. Tous les entretiens ont été menés dans les langues locales en toute confidentialité, avec l'aide d'un interprète si nécessaire, et aucune compensation n'a été fournie. Les noms des témoins n'ont pas été divulgués pour leur sécurité.
De nombreux villageois ont déclaré que l'État islamique du Grand Sahara (EIGS) avait auparavant imposé la charia, ou loi islamique, à leurs villages, les obligeant à payer la taxe islamique, connue sous le nom de zakat, et à respecter une morale et des codes vestimentaires stricts, mais n'avait pas mené d'attaques. Début 2022, les tensions se sont accrues entre l'État islamique et le MSA-D, entraînant un affrontement à Tamalate, dans la région de Ménaka, le 8 mars. Selon des témoins, l'État islamique a alors attaqué des villages de l'ethnie daoussahak, les accusant d'affiliation avec le MSA-D, le GATIA, et des groupes armés islamistes rivaux.
Des témoins ont décrit les assaillants comme des hommes bien armés à moto, vêtus de treillis militaires et de turbans, parlant le fulfulde (parlé par l'ethnie peule), le tamashek (parlé par l'ethnie touarègue) et l'arabe. Dans certains cas, ils arboraient le drapeau noir de l'État islamique. Selon un mode opératoire apparent, les assaillants ont encerclé des villages, puis ont arrêté et exécuté sommairement des personnes, des hommes pour la plupart. Il s'agissait notamment d'hommes âgés et d'hommes handicapés mentaux, mais aussi d'enfants. Les assaillants ont pillé des objets de valeur, de la nourriture et du bétail et ont incendié des maisons. Dans de nombreux cas, les survivants ont déclaré qu'ils n’ont pas pu enterrer ni organiser des funérailles pour les personnes tuées, par crainte d'une autre attaque.
Bien que Human Rights Watch n'ait pas été en mesure de confirmer le nombre de morts signalé, des entretiens avec des témoins et des rapports de l'ONU et d'autres agences indiquent que des centaines de civils ont été tués et des dizaines de milliers d’autres forcés de fuir, ayant perdu leur bétail, leurs objets de valeur et leurs moyens de subsistance pendant les attaques. Les témoignages suivants, bien que non exhaustifs, illustrent les graves abus commis par l'État islamique qui violent le droit international humanitaire.
Région de Gao, mars 2022
Des villageois ont décrit une série d'attaques contre des villages à prédominance daoussahak dans la commune de Talataye. Ils ont rapporté qu'entre 5 et 35 civils ont été tués dans chaque incident. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de confirmer ces chiffres. La mission de maintien de la paix de l'ONU a rapporté que ces attaques ont tué au moins 100 civils et entraîné le déplacement de milliers d’autres.
Oudeini
Vers le 17 mars, un groupe d'hommes armés de fusils d'assaut kalachnikov et de mitrailleuses PKM est arrivé dans le village d’Oudeini. Ils ont tué cinq hommes dans le village, et peut-être des dizaines d'autres près d'un point d'eau où des hommes s'étaient rassemblés avec leur bétail, ont indiqué des témoins.
Une femme de 23 ans a déclaré : « Ils faisaient du porte-à-porte. Ils ont fait sortir cinq hommes, leur ont ordonné de s'agenouiller et l'un des assaillants les a abattus. » Les assaillants ont ensuite incendié des maisons, pillé des objets de valeur et menacé de tuer toutes les femmes restant dans le village ou de les épouser de force.
Un homme de 75 ans a expliqué : « J'étais au puits en train d'abreuver mes animaux vers 9 heures du matin. Les assaillants ont d'abord capturé cinq personnes parmi nous, (...) les ont fait s'agenouiller et leur ont tiré dessus. Puis ils sont revenus vers nous et l'un d'eux a commencé à me tirer dessus à bout portant. Heureusement pour moi, la balle est passée au-dessus de ma tête, mais il m'a tiré dans la jambe. »
Intakofa
Le même jour que l'attaque d’Oudeini, un groupe de combattants de l'État islamique a pris pour cible le village d'Intakofa et ses environs, ont indiqué des témoins. Les hommes sont arrivés à moto, armés de kalachnikovs et de mitrailleuses PKM, et ont tiré sur les villageois.
« Ils ont envahi notre village, tirant pendant que nous fuyions », a expliqué un berger. Il s’est caché avec plusieurs autres hommes désarmés dans un puits jusqu'à la tombée de la nuit, puis dans la forêt, avant de regagner le village. Il a indiqué que les villageois ont enterré 24 hommes, tous tués par balle : « Nous avons creusé une fosse pour y mettre les corps avant de fuir. »
Un membre d'un comité d'enquête local a déclaré qu'il avait aidé à enterrer un total de 92 corps par semaine après les attaques dans la région.
« Les corps étaient éparpillés sur une zone de 10 kilomètres à Garnadamouss et Intakofa », a expliqué le membre du comité. « Certains corps étaient allongés sur le dos, d'autres avaient les mains liées derrière le dos, d'autres sur le côté. Certains ont reçu une balle dans la tête, d'autres dans le ventre. Nous avons vu des cartouches de balles de kalachnikov partout. »
Inziguitiya
Les combattants de l'État islamique ont également attaqué le village d'Inziguitiya le même jour, tuant au moins 35 hommes, selon des villageois. À leur arrivée dans le village, des groupes de combattants ont fait du porte-à-porte pour sortir les gens de chez eux, à la recherche de membres et de « collaborateurs » du MSA. Ils ont ensuite exécuté des hommes et pillé de la nourriture et du bétail.
Une femme de 35 ans a déclaré : « Les assaillants sont arrivés [chez nous] et ont ordonné aux hommes de s'agenouiller, puis ont ouvert le feu sur eux. J'ai couvert le visage de mes enfants pour qu'ils n'aient pas à assister au meurtre de leur père. »
Elle a expliqué qu'elle avait cherché refuge dans une forêt voisine avec d'autres femmes et des enfants, puis qu'elle était revenue le lendemain pour enterrer les morts. « Nous avons d'abord enterré mon mari et ses amis, puis nous avons fait le tour et ramassé des corps dans tout le village. » Elle a ajouté qu'elles avaient enterré les corps de 35 hommes, tous présentant des blessures par balle à la tête ou à la poitrine.
Un homme a indiqué qu'il s'était caché dans un puits avec un groupe d'hommes : « Quand je suis sorti, j'ai découvert que mes amis étaient tous morts autour du puits. »
Agoursso
Une femme de 42 ans a décrit une attaque contre son village à la mi-mars, au cours de laquelle les assaillants ont abattu par balle son mari et son père, ainsi que d'autres hommes du village :
Ils sont arrivés sur de nombreuses motos et ont encerclé le village pendant que les gens se reposaient dans leurs huttes. Certains hommes ont pu s'échapper, mais d'autres hommes comme mon mari n'ont pas pu s'échapper. … Dès que mon mari est sorti de la maison, ils ont ouvert le feu sur lui et il est mort sur le coup. Quand je suis sortie de la maison, j'ai failli tomber sur le corps de mon père.
Elle estime que 20 hommes au total ont été tués dans l'attaque. Avant de partir, les assaillants ont pris toute la nourriture, les bijoux et les objets de valeur et ont mis le feu à la maison.
Inwelane
Le village d'Inwelane a été attaqué le 20 mars. Une femme a déclaré qu'un groupe de combattants lourdement armés était arrivé dans leur village vers 10 heures du matin.
« Ils n'ont interrogé personne, ils ont ouvert le feu sur nous, en tirant partout », a-t-elle expliqué. « Ils ont tiré sur les hommes sans dire un mot. De 10 heures du matin à midi, ils ont tiré sur les hommes, pillé le bétail et brûlé ce qu'ils ne pouvaient pas emporter. »
Elle a ajouté que des assaillants étaient entrés chez elle et avaient tiré sur son mari, le tuant, puis sur le mari de sa voisine et son enfant de 5 ans. Elle a aidé à enterrer 30 corps mais pense que bon nombre d'autres personnes ont été tuées.
Le 26 mars, les assaillants sont revenus au village, selon des témoins.
Un villageois a déclaré que les assaillants sont restés de 16 heures jusqu'à 20 heures :
Ils étaient très nombreux et bien armés. Ils sont arrivés et ont ouvert le feu sur nous. J'ai quitté ma maison en courant, pendant que je courais, les balles volaient au-dessus de ma tête. Je me suis caché [dans la brousse] et je les ai vus se diriger vers ma maison où ils ont emmené ma femme et mes enfants. Ils ont mis le feu à notre maison et ont rassemblé les femmes en pleurs et leur ont affirmé, selon ma femme, qu'ils tueraient tous leurs maris car ils sont des collaborateurs du MSA et du GATIA. Ils ont pillé tout le village et brûlé toutes les récoltes. Il ne reste plus rien : mes chameaux, mes vaches, mes chèvres, sont tous partis.
In Delimane
Les villageois ont indiqué que vers le 20 mars, un groupe d'hommes lourdement armés qu'ils ont identifiés comme étant des combattants de l'État islamique ont encerclé le village d'In Delimane, ont ordonné aux familles de quitter leurs maisons, puis ont exécuté 20 hommes par balles. Les assaillants ont également menacé de marier les femmes de force si elles ne s'enfuyaient pas du village.
« Ils ont fait sortir nos maris et leur ont dit de s'agenouiller », a expliqué une femme. « Ils faisaient face à l'est, puis [l'un des hommes armés] a ouvert le feu sur eux, notamment mon mari. Ils sont morts sur le coup. Ils nous ont dit que c'est ce qu'ils feraient à tous les Daoussahak, car ils ont une fatwa contre nous qui leur donne le droit de tuer nos maris et de nous prendre comme épouses et de s’emparer de nos animaux. »
Un homme de 32 ans a déclaré : « Ils ont tiré dans la tête à tous. J'ai entendu ‘taa taa taa’ et puis le lendemain j'ai participé aux funérailles. » Il a confié qu'ils ont été forcés de donner de l'argent et de l'essence aux assaillants pour qu'ils puissent organiser les funérailles. « Nous avons découvert que les 20 hommes avaient tous reçu une balle dans la tête. Nous les avons mis dans le même trou. »
Région de Ménaka, mars 2022
Des témoins ont décrit des attaques contre plusieurs villes et villages de la région de Ménaka, principalement dans le cercle administratif d'Anderamboukane entre le 8 et le 28 mars, et ont fait état de dizaines de morts à chaque attaque. La mission de l'ONU a documenté qu'au moins 157 civils ont été tués dans la région de Ménaka au cours de cette période.
Tamalate
À la suite du meurtre d'un combattant de l'État islamique à Tamalate, les tensions sont montées entre le groupe et le MSA-D, et les deux groupes armés se sont affrontés le 8 mars, ont indiqué des témoins. Un ancien du village a déclaré :
J'étais chez moi au moment de l'affrontement. Quelques minutes plus tard, les djihadistes [combattants islamistes] ont envahi le village, tirant sur les civils. Les djihadistes se sont séparés en deux groupes, l'un a attaqué les éléments du MSA au sud de la ville et un autre groupe s'est attaqué aux civils au nord. J'ai vu trois hommes abattus d'une balle dans la tête. Les djihadistes ont tiré sur tout.
Inchinane
Toujours le 8 mars, en début d'après-midi, un groupe important d'hommes portant des treillis militaires montés sur des motos et dans des véhicules, et armés de kalachnikovs et de PKM, ont attaqué Inchinane, ont déclaré des témoins. Un ancien du village a expliqué que tous les habitants avaient fui et n’avaient donc pas compté les corps, mais ils ont appris plus tard qu'au moins 100 personnes étaient peut-être mortes dans l'attaque.
Un homme, blessé lors de l'attaque, a raconté avoir été traîné hors de chez lui et avoir reçu une balle : « J'étais chez moi. Plusieurs motos m'ont entouré. Les agresseurs étaient lourdement armés et disposaient de talkies-walkies. L'un d'eux m'a tiré hors de la maison et a tiré près de ma tête et dans mon épaule. Je me suis alors évanoui et je me suis cassé le bras. »
Il a ajouté que la raison de l'attaque n'était pas claire : « L' EIGS nous a imposé la charia pendant plus de trois ans. Nous payons la zakat deux fois par an, ce qui dépasse les règles de la charia. Ils nous ont interdit de fumer des cigarettes et nous avons accepté cela, mais ils sont revenus pour dire que nous étions des collaborateurs du MSA et du GATIA. Je pense que ce n'est qu'un prétexte pour nous exterminer. »
Un autre villageois s'est rappelé s'être caché dans une maison abandonnée et avoir entendu des assaillants parler en tamasheq, affirmant qu'ils pouvaient piller ce qu'ils voulaient. Lorsqu'il a quitté le village plusieurs heures plus tard, il a vu des corps d'hommes éparpillés et a découvert plus tard que son oncle et son cousin étaient parmi eux.
Tingorof
Les villageois ont déclaré avoir vu le 28 mars un grand nombre d'hommes armés, certains à moto et d'autres à bord de trois véhicules, encercler le village. Ils étaient vêtus d'uniformes militaires, de vêtements civils et de turbans, et arboraient le drapeau noir de l'État islamique. Pendant l'attaque, ils criaient : « Dieu est grand ! »
Un responsable villageois a indiqué avoir été témoin de l'attaque depuis une cachette et avoir vu les assaillants tirer sur les villageois. Les assaillants ont tué 15 personnes, dont 2 femmes, 2 enfants et au moins 2 hommes âgés dans leurs maisons. Il a également déclaré qu'ils avaient incendié des magasins et des maisons.
« Après avoir exécuté ces personnes, les assaillants ont rassemblé les animaux et saccagé les maisons, ils ont pris tous les objets de valeur et l'or, les vaches, les chameaux, les moutons et les chèvres. Tout a été pris », a déclaré le maire. « Les survivants n'ont pas pu enterrer les morts, de peur d'une autre attaque, et tout le village a fui vers Ménaka ou le Niger. »
Il a ajouté : « Ils étaient déjà venus auparavant pour percevoir la zakat, mais cette fois ils sont venus et nous ont attaqués sans raison. Nous n'avons pas de milice dans notre village. Nous ne sommes que des civils sans défense. »
Intagoiyat
Toujours le 28 mars, vers 11 heures du matin, des combattants portant des turbans noirs à bande rouge et arborant le drapeau noir de l'État islamique ont attaqué le village d'Intagoiyat. Ils ont tué 105 personnes, dont 17 garçons et 3 filles, selon des témoins.
« Ils ont commencé à tirer sur tout, tuant et blessant des villageois alors qu'ils fuyaient », a déclaré un enseignant de 45 ans. Les assaillants sont ensuite allés de maison en maison et ont exécuté des hommes avant de repartir vers 13 heures. Ils sont ensuite revenus plusieurs heures plus tard et ont tué d'autres hommes.
Un berger a expliqué que lui et d'autres personnes avaient essayé de sauver certains des blessés et d'enterrer les morts, mais ils ont fui lorsque les assaillants sont revenus dans la soirée. Il les a vus piller du bétail, des bijoux, de l'argent ainsi que d'autres biens, et détruire des maisons ainsi qu’une pompe à eau. Il a ajouté que les survivants avaient fui vers Ménaka ou traversé la frontière vers le Niger.
Ingarzabane
Vers 18h30 le 28 mars, les combattants de l'État islamique ont également attaqué le village d'Ingarzabane, tuant 43 hommes dont 20 adolescents, ont indiqué des témoins. Un ancien du village a déclaré qu'il avait pu s'échapper alors que les hommes armés attaquaient le village : « Par la grâce de Dieu, j'ai pu sortir du village sous la pluie des tirs des assaillants qui criaient ‘Dieu est grand’. » Quand il est revenu plus tard, tout le bétail avait été volé.
« Ils ont pillé tout ce qu'ils pouvaient prendre et ont abattu ceux [animaux] qu'ils ne pouvaient pas amener et ont incendié des maisons », a-t-il déclaré. Au bout de trois jours, des survivants et lui-même ont tenté d'enterrer les morts. « Nous avons trouvé des corps éparpillés partout, à l'intérieur et à l'extérieur du village. Ils étaient déjà en décomposition et il y avait une odeur nauséabonde partout. Nous craignions que les assaillants reviennent, alors nous n’avons pas pu les enterrer tous. Nous n'avons enterré que cinq corps. »
Un berger de 46 ans a déclaré : « Nous avons compté 43 morts dont des enfants de moins de 18 ans. Ils ont brûlé nos affaires et pillé nos animaux. Nous sommes devenus pauvres en un instant. Je n'ai pas assez pour nourrir ma famille maintenant. »
Inkalafane
Le 28 mars, des combattants de l'État islamique ont également attaqué le village d'Inkalafane, tuant 35 civils, dont 7 enfants de moins de 16 ans, ont indiqué des villageois. Un berger de 55 ans qui a échappé à l'attaque se trouvait dans son village ce matin-là, lorsqu'un important groupe d'hommes armés est arrivé dans un véhicule armé et à moto. Il a affirmé que deux mois plus tôt, certains des hommes étaient venus au village pour exiger le paiement de la zakat. Mais cette fois, a-t-il déclaré, « ils sont venus nous tuer, et la plupart des villageois l'ont compris et se sont enfuis. » Lui et d'autres personnes sont allés à Ménaka. Quand ils sont revenus au village, ils ont trouvé des corps éparpillés partout. « Nous avions peur de tous les enterrer parce que nous pensions que les assaillants reviendraient pour nous tuer », a-t-il expliqué. Les combattants avaient volé tout le bétail et les objets de valeur, et incendié les maisons. « Ils ont tout pris et ne nous ont rien laissé. »
Intakoreit
Des témoins ont indiqué que lors d'une attaque contre le village d'Intakoreit le même jour, le 28 mars, des combattants ont tué environ 40 personnes, dont 2 hommes handicapés mentaux et 7 enfants. Un ancien du village a déclaré que les assaillants sont arrivés vers 11 heures du matin et ont ouvert le feu sur le village, puis sont allés de maison en maison pour faire sortir les hommes et les exécuter sommairement. Il s'est caché dans la forêt et s'est échappé, mais il est revenu deux jours plus tard pour voir les cadavres. « De nombreuses victimes ont été exécutées d'une balle dans la tête. Le nombre de personnes exécutées était supérieur à celui des personnes tuées sans discernement », a déclaré l'ancien du village. D'autres survivants et lui-même n'ont pas pu enterrer les corps par crainte d'une autre attaque.
Attaque dans la région de Mopti, juin 2022
Au cours de l'année écoulée, des groupes armés islamistes ont également attaqué des civils dans d'autres régions du Mali. Lors d'un incident particulièrement horrible le 18 juin, des combattants de la Katiba Macina, faisant partie de la coalition réunissant des groupes alignés sur Al-Qaïda, Jama'at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM), auraient attaqué des villages du cercle de Bankass dans la région de Mopti, tuant 132 villageois, selon des rapports du gouvernement. On pense que les attaques étaient des représailles contre la communauté pour avoir demandé à l'armée malienne d'intervenir, malgré un accord préexistant de ne pas impliquer les autorités. Le massacre a forcé des milliers de personnes à fuir vers Bankass et d'autres villes pour leur sécurité.
Les chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus avec cinq témoins des attaques de Bankass et avec des dirigeants communautaires des villages de Dianwali, Deguessago et Diallassagou. Ils ont déclaré qu’un grand nombre d’hommes armés à moto parlant les langues dogon et peule ont attaqué leurs villages respectifs en fin d'après-midi, pillé des céréales et de la nourriture dans les maisons, et enlevé un grand groupe d'hommes qu'ils ont sommairement exécutés dans la forêt.
Un enseignant du village de Deguessago a déclaré : « Ils nous ont attaché les mains et nous ont conduits à pied comme des animaux dans la forêt avec des armes pointées sur nous. Ils nous ont fait marcher plusieurs kilomètres jusqu'à la tombée de la nuit. » Il a été autorisé, ainsi que d'autres survivants, à quitter le site d'exécution avant le début du massacre car ils n'étaient pas originaires des villages ciblés.
Un homme plus âgé a déclaré : « Nous avons tous été rassemblés et conduits dans la forêt. Nous avons marché plusieurs heures l'un derrière l'autre. Puis au milieu de la forêt ils nous ont demandé de nous asseoir. Nous avons été rejoints par un autre groupe d'hommes capturés. Heureusement pour moi, un des assaillants m'a reconnu et m'a laissé partir. »
Une villageoise d’une soixantaine d’années a expliqué que les combattants avaient enlevé son fils de 30 ans, et elle pense qu'ils l'ont tué :
J'étais terrifiée. Les assaillants ont envahi notre village en tirant partout. À 17 heures, ils sont arrivés à ma porte. Ils ont pillé notre maison, pris notre millet, nos objets de valeur et ont capturé mon fils. Ils l'ont attrapé et lui ont lié la main et sont partis avec lui. Depuis, je ne l'ai plus revu. Une semaine après sa capture, j'ai été informée que les assaillants avaient exécuté tous les hommes emmenés dans la forêt.
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