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Ukraine : Les corps de trois hommes trouvés dans une forêt

Cette découverte a eu lieu quatre mois après qu’ils aient été arrêtés et torturés par des forces affiliées à la Russie

Des forces affiliées à la Russie ont détenu et torturé des hommes dans une cave située derrière ces maisons qu'elles occupaient en mars et avril 2022 dans le village de Kapytolivka (région de Kharkiv), dans le nord-est de l’Ukraine. Photo prise le 28 septembre 2022. © 2022 Belkis Wille/Human Rights Watch

(Kiev, le 4 octobre 2022) – Des forces affiliées à la Russie ont illégalement arrêté et apparemment tué au moins trois civils, avant de jeter leurs corps dans une forêt, au cours de l’occupation partielle de la région ukrainienne de Kharkiv par la Russie, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Ce cas s’inscrit parmi de nombreux autres impliquant des crimes de guerre présumés, qui font l’objet d’une enquête de Human Rights Watch dans la région.

Ces trois hommes – Ivan Shebelnik (52 ans), Oleksii Taran (76 ans) et Yurii Kavun (environ 59 ans) – ont été arrêtés fin mars 2022 et détenus dans une cave à Kapytolivka, un village proche d’Izioum. Cette cave a été décrite à Human Rights Watch par un quatrième homme, également arrêté, mais ayant survécu. Les corps ont été retrouvés dans une forêt au début du mois d’août. Selon les rapports médicaux et policiers, l’un des hommes a souffert d’un traumatisme au thorax et de multiples côtes cassées, le deuxième est mort d’un traumatisme à la tête provoqué par un objet contondant, tandis que le troisième présentait une blessure à la tête.

« Ces meurtres brutaux donnent un aperçu des abus dont ont été témoins ou victimes les personnes qui ont vécu sous l’occupation russe pendant six mois », a déclaré Belkis Wille, chercheuse senior auprès de la division Crises et conflits de Human Rights Watch. « Les autorités ukrainiennes, soutenues par leurs partenaires, devraient préserver toutes les preuves de ces exécutions et d’autres du même type, et notamment toute information concernant les groupes spécifiques et les commandants qui pourraient être impliqués, afin de contribuer à ce que les personnes responsables soient amenées à rendre des comptes et que justice soit finalement rendue. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec neuf personnes résidant à Kapytolivka, à environ cinq kilomètres au sud-est d’Izioum. Selon elles, les forces russes et affiliées ont commencé à occuper le village fin février ou début mars et l’ont quitté vers le 9 septembre, à la suite de la contre-offensive ukrainienne. Durant au moins le premier mois de cette occupation, ont affirmé les habitants, la majorité des membres des forces d’occupation, à en croire leur accent, étaient originaires de la « République populaire de Louhansk ». Cette zone de la région ukrainienne de Louhansk, contrôlée par des groupes armés affiliés à la Russie, est actuellement occupée par la Russie (elle est également désignée sous l’acronyme LNR, qui est utilisé dans ce communiqué pour désigner cette zone et ne constitue pas la reconnaissance d’une quelconque revendication de souveraineté russe).

Sept personnes avec lesquelles Human Rights Watch s’est entretenu ont déclaré qu’elles connaissaient les victimes ou les circonstances de leur détention. Deux [parents] proches d’Ivan Shebelnik, qui travaillait dans une usine métallurgique, ont expliqué que des membres de sa belle-famille étaient venus lui rendre visite fin mars. Ils ont précisé qu’Ivan Shebelnik et son beau-père Oleksii Taran étaient sortis le matin du 23 mars afin d’aller ramasser des pommes de pin pour allumer le feu, mais n’étaient jamais revenus.

De nombreux proches ont alors tenté de les retrouver. Ils ont contacté les soldats basés dans cette zone, ont rempli des déclarations au sujet de personnes disparues auprès du poste de police établi par les forces d’occupation, et se sont rendus à l’école N°2 d’Izioum, car ils avaient entendu qu’elle servait de centre de détention. Deux habitants de Kapytolivka ont affirmé qu’une base des services secrets russes se trouvait dans la zone où, selon leurs proches, Ivan Shebelnik et Oleksii Taran étaient allés chercher des pommes de pin.

Au début du mois d’août, des membres de la police d’occupation ont contacté la famille d’Ivan Shebelnik, affirmant qu’avoir été alertées par un fermier ayant senti une odeur de chair en décomposition dans la forêt, les autorités avaient découvert trois corps et les avaient emmenés à l’hôpital central d’Izioum pour des examens médico-légaux. À l’hôpital, une cousine d’Ivan Shebelnik a identifié son corps et celui d’Oleksii Taran à partir de leurs vêtements. En compagnie d’un autre membre de la famille, elle a eu accès aux certificats de décès des deux hommes, rédigés le 11 août par un médecin de l’hôpital.

Selon le certificat d’Ivan Shebelnik, que les chercheurs de Human Rights Watch ont consulté, ce dernier est décédé d’un traumatisme au thorax et de multiples côtes cassées. D’après ses proches, le certificat de décès d’Oleksii Taran indique que sa mort est due à un traumatisme à la tête provoqué par un objet contondant. Enfin, la police locale a déclaré à la famille que le troisième homme, identifié comme étant Yurii Kavun, un autre habitant du village, était décédé d’une blessure à la tête.

Le 28 septembre, des chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus avec un autre habitant du village, qui avait été détenu avec les trois victimes et a souhaité garder l’anonymat. Il a expliqué que quatre hommes, qu’il pensait être des soldats de la LNR, l’avaient arrêté le 24 mars. Ils fouillaient les maisons de sa rue et l’avaient soupçonné de cacher chez lui un groupe électrogène, qu’ils voulaient confisquer. Il a déclaré qu’il avait été emmené dans la cave de l’une des quatre maisons adjacentes occupées par ces soldats. Selon lui, la pièce au plafond bas mesurait 2,5 mètres de côté. Deux matelas s’y trouvaient et il pensait que les habitants l’avaient utilisée comme abri avant de fuir.

L’ancien détenu a expliqué que deux autres hommes y étaient déjà enfermés. Il faisait sombre, mais il a rapidement reconnu la voix d’Ivan Shebelnik, avec lequel il avait travaillé dans une usine voisine. L’autre homme était nettement plus âgé et parlait peu, mais il a finalement compris qu’il s’agissait d’Oleksii Taran.

Ivan Shebelnik a raconté à l’ancien détenu que des soldats de la LNR les avaient arrêtés alors qu’ils rentraient chez eux, et leur avaient imposé une fouille corporelle avant de les emmener dans cette cave. L’homme a déclaré ne pas avoir été témoin de violences à l’encontre d’Oleksii Taran de la part des soldats de la LNR, mais qu’ils avaient à plusieurs reprises emmené Ivan Shebelnik à l’étage : « Lorsqu’ils le ramenaient, il ne voulait jamais parler de ce qu’ils lui avaient fait. Mais je l’entendais crier à chaque fois ».

Deux jours après l’arrestation de l’ancien détenu, les soldats ont amené Yurii Kavun, qui vivait près de chez lui, dans la cave. Selon lui et d’autres voisins, Yurii Kavun avait été arrêté car il s’agissait d’un ancien militaire, même s’il avait pris sa retraite plusieurs années plus tôt en raison d’une hernie discale. D’après l’un des voisins, Yurii Kavun avait été arrêté, puis libéré, avant d’être arrêté à nouveau fin mars. À chaque fois, le voisin se trouvait à son propre domicile.

L’ancien détenu a expliqué que le visage de Yurii Kavun était couvert de sang : « Il nous a dit qu’un soldat avait tiré et que la balle avait heurté quelque chose à côté de sa tête, lui projetant de nombreux morceaux de métal au visage. Nous avions une couverture et nous avons essayé de lui faire un pansement ». Les soldats lui ont finalement lavé et pansé le visage, mais l’ont ensuite passé à tabac à au moins trois ou quatre reprises au cours des jours suivants. Le témoin ayant décrit ces faits a ensuite été lui-même libéré.

Il a précisé que deux ou trois autres détenus avaient été enfermés dans la cave en même temps que lui, mais seulement pendant un jour ou deux. Il ne les connaissait pas, car ils venaient d’Izioum.

Le 28 septembre, des chercheurs de Human Rights Watch ont visité une cave située dans le jardin à l’arrière d’une maison qui, selon les voisins, avait été occupée par les forces de la LNR de mars à avril. Elle correspondait en tout point à la description faite par l’ancien détenu. Les matelas y étaient toujours. Les voisins ont expliqué que les soldats de la LNR avaient occupé trois autres maisons à côté de celle-là.

Un homme vivant directement en face a affirmé qu’à au moins une occasion il avait entendu des cris venant de l’une des maisons. Sur le sol de la cave, les chercheurs ont observé ce qui aurait pu être une tache de sang. Les restes d’un véhicule militaire incendié se trouvaient encore dans le jardin de devant. D’après des voisins, les maisons avaient été endommagées par des attaques à la fin du mois d’avril, ce qui avait entrainé le retrait des forces prorusses vers une autre base de la zone.

Il ne s’agit probablement pas des seules exécutions de civils perpétrées durant l’occupation. Des corps enterrés dans la périphérie d’Izioum au cours des six mois d’occupation montrent en effet de possibles signes de torture et d’exécution.

Human Rights Watch a documenté des cas de détention arbitraire, de torture et d’exécutions extrajudiciaires perpétrées par les forces russes dans d’autres régions occupées.

Toutes les parties au conflit armé en Ukraine sont tenues de respecter le droit international humanitaire qui rassemble les lois de la guerre, dont les Conventions de Genève de 1949, le Premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève, ainsi que le droit international coutumier. Les forces armées belligérantes qui contrôlent effectivement une zone sont soumises au droit international de l’occupation militaire, en particulier tel que le prévoit la Quatrième Convention de Genève. Le droit international en matière de droits humains, et notamment l’interdiction de la torture et de tout traitement inhumain ou dégradant, le droit à la vie et l’interdiction des détentions arbitraires, s’applique également à tout moment.

Les lois de la guerre interdisent les homicides volontaires, la torture et les traitements inhumains des combattants capturés et des civils en détention. Quiconque ordonne ou commet délibérément de tels actes, ou les aide et les encourage, est responsable de crimes de guerre. Les commandants qui étaient au courant ou auraient dû être au courant de ces crimes, mais n’ont pas tenté d’y mettre fin ou de sanctionner les responsables, sont pénalement responsables de crimes de guerre, en vertu de la doctrine de la responsabilité du commandement.

En vertu des Conventions de Genève, la Russie et l’Ukraine ont l’obligation de diligenter des enquêtes concernant les crimes de guerre présumés commis par leurs forces armées ou sur leur territoire et d’en traduire comme il se doit les responsables en justice. Les victimes et leurs familles doivent recevoir des réparations rapides et adaptées.

« Ces exécutions autour d’Izioum s’ajoutent à la longue liste de crimes de guerre présumés perpétrés par les forces russes en Ukraine », a conclu Belkis Wille. « Alors que de nouvelles informations concernant ce type de crimes continuent d’émerger, il est plus important que jamais de conserver les preuves pour que des poursuites judiciaires puissent être engagées avec succès. »

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