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Ukraine : Torture et disparitions dans des zones occupées dans le sud du pays

Les forces russes ont commis des exactions qui s’apparentent à des crimes de guerre dans les régions de Kherson et de Zaporijia

Des soldats russes photographiés près de leur véhicule militaire au bord d’une route dans la région de Kherson, dans le sud de l’Ukraine, le 19 mai 2022. © 2022 Olga Maltseva/AFP/Getty Images

(Kiev, le 22 juillet 2022) – Les forces russes ont torturé, détenu illégalement et fait disparaître de force des civils dans les zones occupées des régions de Kherson et de Zaporijia, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les forces russes ont également torturé des prisonniers de guerre (PG) détenus dans ces régions.

« Les forces russes ont transformé les zones occupées du sud de l’Ukraine en un abîme de peur et d’anarchie sauvage », a déclaré Yulia Gorbunova, chercheuse senior sur l’Ukraine à Human Rights Watch. « La torture, les traitements inhumains, ainsi que la détention arbitraire et la séquestration de civils, font partie des crimes de guerre apparents que nous avons documentés ; les autorités russes devraient immédiatement mettre fin à ces abus et comprendre qu’elles peuvent être tenues responsables, et qu’elles le seront ».

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 71 personnes originaires de Kherson, Melitopol, Berdiansk, Skadovsk et de 10 autres villes et villages des régions de Kherson et de Zaporijia. Ces personnes ont décrit 42 cas dans lesquels les forces d’occupation russes ont fait disparaître des civils ou les ont détenus arbitrairement, dans certains cas au secret, en torturant nombre d’entre eux. Human Rights Watch a également documenté la torture de trois membres ukrainiens des Forces de défense territoriale qui étaient prisonniers de guerre. Deux d’entre eux sont décédés.

L’objectif de ces abus semble être d’obtenir des informations et d’instiller la peur afin que la population ukrainienne accepte l’occupation russe ; la Russie cherche à affirmer sa souveraineté sur le territoire qu’elle occupe en violation du droit international, a ajouté Human Rights Watch.

Des personnes interrogées ont décrit comment elles avaient été torturées, ou avaient été témoins de tortures par passages à tabac prolongés et, dans certains cas, au moyen de chocs électriques. Elles ont décrit des blessures telles que des fractures de côtes et d’autres os, des dents cassées, des brûlures graves, des commotions cérébrales, des vaisseaux sanguins éclatés dans l’œil, des coupures et des contusions.

Un organisateur de manifestations qui a été détenu et a requis l’anonymat, a déclaré que les forces russes l’avaient battu avec une batte de baseball pendant sa détention. Un autre manifestant a été hospitalisé pendant un mois pour des blessures dues aux coups qu’il a reçus en détention. Un troisième a déclaré qu’après sept jours de détention, il pouvait « à peine marcher » et qu’il avait plusieurs côtes et une rotule cassées.

La femme d’un homme que les forces russes ont détenu pendant quatre jours suite à une perquisition début juillet, a déclaré que ses ravisseurs avaient frappé son mari avec une barre en métal, lui avaient administré des électrochocs, l’avaient blessé à l’épaule et lui avaient fait subir une commotion cérébrale.

Décrivant l’omniprésence de la peur, un journaliste de Kherson a déclaré : « Vous ignorez quand ils viendront vous chercher et quand ils vous laisseront partir ».

D’anciens détenus ont décrit comment on leur avait bandé les yeux en les gardant menottés pendant toute la durée de leur détention, avec très peu de nourriture et d’eau et sans aucune assistance médicale. Le personnel russe a transféré de force au moins un détenu civil en Crimée occupée par la Russie, où il a été contraint d’effectuer des « travaux de rééducation ».

Dans plusieurs cas, les forces russes n’ont libéré les détenus qu’après leur avoir fait signer une déclaration où ils promettaient de « coopérer » avec les autorités, ou fait enregistrer une vidéo dans laquelle ils exhortaient d’autres personnes à le faire.

Dans tous les cas de détention sauf un seul, les forces russes n’ont pas dit aux familles où leurs proches étaient détenus, et le bureau du commandant militaire russe n’a fourni aucune information aux familles qui souhaitaient en savoir plus.

Les lois de la guerre autorisent une partie belligérante à un conflit armé international à détenir des combattants comme prisonniers de guerre et à interner des civils dans le cadre d’une détention non pénale si leurs activités constituent une menace grave pour la sécurité de l’autorité détentrice. La détention arbitraire, la séquestration et les disparitions forcées sont toutes interdites par le droit international humanitaire et peuvent constituer ou comprendre plusieurs crimes de guerre. La torture et le traitement inhumain de tout détenu sont interdits en toutes circonstances par le droit international et, lorsqu’ils sont liés à un conflit armé, constituent un crime de guerre et peuvent également constituer un crime contre l’humanité.

Le risque de détention arbitraire et de torture est élevé pour les civils sous occupation, mais ces derniers n’ont pas d’option claire pour rejoindre le territoire contrôlé par l’Ukraine, a déclaré Human Rights Watch. À titre d’exemple, le journaliste de Kherson a déclaré à Human Rights Watch : « J’ai un compte sur Telegram, je suis dans leur base de données, j’ai dû me cacher. J’ai été prévenu qu’ils pouvaient venir me chercher à tout moment. Je ne prends pas le risque de partir parce que je suis sur leur [liste noire] ». Treize personnes qui sont parties ont décrit des voyages éprouvants au cours desquels ils sont passés par de nombreux points de contrôle et lieux de détention russes.

Dans un entretien avec Human Rights Watch, Tamila Tasheva, la Représentante permanente du président ukrainien en Crimée, qui suit également la situation dans les zones nouvellement occupées du sud de l’Ukraine, a déclaré que les autorités ukrainiennes n’était pas en mesure de vérifier le nombre exact de disparitions forcées dans la région de Kherson. Elle a ajouté que les observateurs des droits humains estimaient à au moins 600 le nombre de personnes victimes de disparition forcée depuis février 2022.

« Les Ukrainiens des zones occupées vivent un calvaire infernal », a déclaré Yulia Gorbunova. « Les autorités russes, ainsi que des organes d’enquête internationaux, devraient immédiatement enquêter sur les crimes de guerre et autres abus commis par les forces russes dans ces zones, en vue d’engager des poursuites. »

Informations complémentaires

Le 25 février 2022, les forces russes ont envahi la région de Kherson, située au bord de la mer Noire et du fleuve Dniepr, et le 3 mars, elles ont affirmé contrôler sa capitale, Kherson. Cette invasion s’inscrit dans le cadre d’une invasion et d’une occupation plus larges du sud côtier de l’Ukraine, qui comprend Melitopol et Berdiansk, villes de la région de Zaporijia, et Marioupol, dans la région de Donetsk.

Les forces ukrainiennes ont commencé à préparer une contre-offensive pour reprendre les zones côtières occupées, a déclaré le ministre ukrainien de la Défense en juillet. Le 21 juin, un responsable de l’administration d’occupation russe a déclaré qu’un « référendum » sur le « rattachement à la Russie » de la région de Kherson était prévu à l’automne.

Dès le début de l’occupation, les militaires russes ont ciblé, en vue de leur détention ou de leur capture, non seulement les membres des Forces de défense territoriale, qui doivent être traités comme des prisonniers de guerre en vertu du droit humanitaire international, mais aussi les maires et autres fonctionnaires ou agents publics, les agents de police, les perosnnes qui participent à des manifestations contre l’occupation, les journalistes ou d’autres personnes censées détenir des informations liées à la sécurité ou s’opposer à l’occupation.

Peu à peu, les forces russes ont également commencé à détenir des personnes apparemment au hasard, selon de nombreuses sources. Elles ont également pris pour cible les bénévoles qui distribuaient de la nourriture, des médicaments, des couches et d’autres produits de première nécessité, tous très rares à Kherson, aux personnes qui, dans leur communauté, sont dans le besoin.

Pour ce rapport, Human Rights Watch a mené des entretiens en personne à Kiev, Lviv, Dnipro et Zaporijia, et a également fait des entretiens par téléphone.

Torture de prisonniers de guerre

Le 27 mars, les forces russes ont capturé, détenu et torturé à plusieurs reprises trois membres des Forces de défense territoriale de Kherson, Vitali Lapchuk, un commandant, Denis Mironov, son adjoint, et « Oleh », un volontaire des Forces de défense territoriale, ainsi que « Serhii », un civil, dont les vrais noms ne sont pas divulgués pour garantir leur protection. Denis Mironov, 41 ans, est mort des suites de blessures infligées en détention lors de passages à tabac. Le corps de Lapchuk a été retrouvé le 22 mai dans la baie de Kherson, ses bras liés avec un poids attaché à ses jambes. Oleh, blessé suite à la torture dont il a fait l’objet, a fait l’objet d’un échange de prisonniers avec des prisonniers de guerre russes détenus par l’Ukraine le 28 avril.

Denis Mironov et Oleh

Denis Mironov avec sa famille à Kherson, en Ukraine, en 2021. © 2021 Privé

« Oleh », un volontaire des Forces de défense territoriale, a déclaré qu’il devait rencontrer Mironov et Lapchuk au matin du 27 mars, mais que lorsqu’il s’était rendu à l’endroit convenu, il ne les avait pas vus. Il était sur le point de quitter les lieux lorsque deux hommes en civil se sont approchés de lui, l’ont fait tomber et l’ont menotté, puis l’ont conduit au coin de la rue, où il a vu trois autres hommes qu’il a pris pour des agents du Service fédéral de sécurité russe (FSB), en uniforme, lourdement armés et portant des cagoules. Mironov et Lapchuk étaient debout contre un mur, menottés.

Les agents du FSB ont emmené les trois hommes dans le bâtiment de l’ancienne direction de la police nationale à Kherson, au 4 rue Liouteranska (anciennement rue Kirova).

Oleh a déclaré que le premier jour, il avait eu les yeux bandés, qu’il avait été interrogé pendant 12 heures et que les agents l’avaient passé à tabac, lui avaient administré des décharges électriques et avaient essayé de l’étouffer avec un sac en plastique. « Il m’est impossible de dire combien de fois ils m’ont torturé, car on perd toute notion du temps, » a-t-il expliqué. Finalement, Mironov, Serhii et lui-même se sont retrouvés dans la même pièce. L’agent a fait tomber Oleh. Il affirme que son bandeau s’est alors déplacé et qu’il a pu voir les agents frapper Mironov plusieurs fois au visage et lui donner des coups de pied à l’aine, avant de lui enlever son pantalon et de le frapper avec une matraque en caoutchouc. « Son corps n’était plus qu’une loque noircie, » a-t-il déclaré.

Après un nouvel interrogatoire, les agents ont emmené Oleh dans une cellule au sous-sol, où, environ 30 minutes plus tard, trois hommes ont apporté une porte détachée de ses gonds et l’ont posée sur le sol. Deux soldats « transportaient pratiquement Denis [Mironov]... il était très gravement blessé... Ils l’ont déposé sur la porte. Il est resté allongé et n’a plus bougé. »

Le lendemain, les hommes ont été emmenés dans un autre bâtiment du complexe, qui avait été un centre de détention temporaire, et placés dans des cellules différentes. Après environ quatre jours, Oleh a été transféré dans une plus grande cellule. Il avait aperçu la date sur la montre d’un agent du FSB, qu’il a reconnue comme étant la sienne. Il a gardé la notion du temps en collant des morceaux de chewing-gum mâchés sur le mur.

Le 6 avril, Oleh a été transféré dans une autre cellule avec Mironov.

« Denis était dans un état pitoyable (...). Il parlait à voix basse, un mot à la fois... il ne pouvait pas finir une phrase. Il gémissait, il ne pouvait pas tousser, il était évident que sa poitrine était percée, et que ses côtes appuyaient sur ses poumons. Il ne pouvait pas s’allonger correctement... il ne pouvait que s’asseoir. »

Tous les deux jours, du personnel russe leur apportait trois boîtes de conserve, de 250 grammes chacune pour les cinq personnes de la cellule, provenant des rations de l’armée. « Ils retiraient toujours le chocolat et la viande avant et ne nous donnaient que ces boîtes de conserve et quelques biscuits secs », a déclaré Oleh. « Je n’ai pas vu un seul morceau de pain pendant toute cette période. Nous avons tous perdu beaucoup de poids. Denis ne pouvait rien manger d’autre que de la compote de pommes... Nous l’avons nourri à la cuillère... Pendant 22 jours, sans aucune attention médicale, il mourait à petits feux. »

À un moment donné, les ravisseurs d’Oleh l’ont forcé, avec deux autres personnes, à déclarer devant la caméra, avec les drapeaux de l’Ukraine et du groupe militant d’extrême droite, Secteur droit en arrière-plan, que « la Force de défense territoriale de Kherson n’existe plus, mais il y a toujours des patriotes et tout le monde devrait se battre ». « J’ai compris plus tard qu’ils avaient diffusé cette vidéo sur les réseaux sociaux pour voir qui allait poster des commentaires et des likes, [afin de piéger les gens] », a-t-il expliqué.

Le 18 avril, Oleh, Mironov et ses autres compagnons de cellule ont été transférés à Sébastopol, en Crimée occupée. Le lendemain, Mironov a été emmené à l’hôpital. « J’étais soulagé... mais c’était trop tard pour lui », a déclaré Oleh. Oleh a été échangé le 28 avril.

Lors de son entretien avec Human Rights Watch le 9 juillet, il a déclaré que sept de ses côtes avaient été cassées et n’étaient pas encore guéries. La plupart de ses dents étaient cassées et il lui en manquait au moins six : « J’ai une commotion cérébrale. Je continue à avoir de graves maux de tête. Toutes les parties de notre corps ont été battues... Nos dos, nos hanches, nos fesses, nos épaules... tout était bleu [à cause des coups]. Tout le monde avait été battu au niveau des reins, et quand nous urinions, c’était rose. »

Dans un autre entretien, Ksenia Mironova, l’épouse de Denis, a déclaré à Human Rights Watch que le 8 avril, après que Mironova eût quitté Kherson, une connaissance l’avait appelée pour lui dire qu’un homme lui avait apporté la montre de Denis et qu’il était détenu dans le centre de la rue Liouteranska (anciennement rue Kirova), qu’il avait des blessures à la poitrine, qu’il ne pouvait pas marcher et qu’il devait être nourri à la cuillère. Mironova a écrit à l’établissement, qui a répondu qu’il n’y avait personne répondant à ce nom. Après avoir appris qu’il avait été transféré à Sébastopol, elle a tenté en vain d’obtenir des informations de Crimée à son sujet.

Le 24 mai, a raconté Mironova, la police de Mykolaïv lui a téléphoné pour lui dire que Denis était mort à l’hôpital. Oleh a identifié le corps à la demande de Mironova. Il a déclaré que « la date de sa mort était écrite à l’antiseptique vert sur sa jambe : 23.04 ». Le certificat de décès, délivré par les autorités ukrainiennes qui ont reçu le corps et que Human Rights Watch a examiné, indique que la cause du décès est « un traumatisme contondant à la cage thoracique pneumothorax. »

Oleh a également déclaré que Serhii, qui avait été détenu avec lui, et les deux autres hommes, dont l’un était également un civil, ont été violemment battus en détention, et qu’il avait vu Serhii avec des bleus et des coupures à la tête. Il a été libéré le 5 avril.

Décès de Vitali Lapchuk

Vitalii Lapchuk, photo non datée. © Privé

Vitali Lapchuk, 48 ans, n’a pas été emmené au sous-sol avec les autres détenus le jour de leur arrestation. La femme de Vitali Lapchuk, Alyona, une femme d’affaires locale, a déclaré que le 27 mars vers 13 heures, elle se trouvait chez sa mère avec sa mère et son fils aîné, lorsque trois véhicules portant la lettre Z se sont approchés de la maison.

« Mon mari m’a appelé, et m’a dit "Ouvre, ils vont prendre les armes". J’ai ouvert la porte, et j’ai failli m’évanouir. Sa mâchoire était toute noire, cassée, les vaisseaux sanguins de ses yeux avaient explosé. Son visage était lacéré de coups de crosse... Il y avait neuf hommes armés avec lui. Vitali a dit à l’un d’eux : "Vous m’avez donné votre parole d’officier que [si je rendais les armes] vous ne toucheriez pas à ma famille". »

Les hommes armés ont emmené Lapchuk au sous-sol où se trouvaient les armes. Alyona pouvait les entendre frapper son mari. Sa mère, raconte-t-elle, a pris une Bible et a commencé à prier et à pleurer. Lorsqu’ils ont ramené Lapchuk du sous-sol, elle a dit qu’elle pouvait voir du sang couler de sa joue et, en s’appuyant sur son expérience antérieure de médecin, elle a pensé que sa pommette était fracturée.

Les hommes armés ont mis des sacs sur la tête de Lapchuk, d’Alyona et de son fils, et les ont emmenés au poste de police de la rue Liouteranska (anciennement rue Kirova), où ils les ont retenus pendant plusieurs heures. « Ils m’ont demandé si j’étais fasciste... Je leur ai dit que mon grand-père était juif et que j’étais ukrainienne. Ils m’ont répondu que ce pays n’existait pas. »

Pendant tout ce temps, Alyona et son fils pouvaient les entendre frapper et interroger son mari dans la pièce voisine. « Je leur ai dit que s’ils pensaient qu’il avait fait quelque chose de mal, il y avait des tribunaux pour cela, mais qu’on ne pouvait pas simplement tabasser un homme à mort », a-t-elle déclaré. « Je ne pouvais pas croire ce qui se passait. »

Les soldats russes ont fait monter Alyona et son fils dans une voiture et ont déclaré que Vitali « était un terroriste et qu’il devrait répondre devant la loi de la Fédération de Russie ». Les soldats ont laissé Alyona et son fils sous un pont, et ils sont rentrés chez eux à pied, vers 4 heures du matin.

À partir du 28 mars, Alyona s’est mise à la recherche de Lapchuk. Après avoir appris la libération d’Oleh depuis la Crimée, elle a dit avoir cherché dans toute la Crimée, ainsi qu’à Rostov et Taganrog, grâce à ses amis et relations en Russie.

Le 9 juin, un médecin pathologiste lui a envoyé un SMS en lui demandant d’appeler le lendemain. « J’ai su tout de suite. J’ai sangloté toute la nuit, puis j’ai appelé le procureur [en charge de l’affaire Lapchuk] et je lui ai dit : "Je ne survivrai pas à cela, appelez vous-même [le médecin pathologiste]" ». Le procureur a ensuite appelé Alyona pour lui dire que le 22 mai, un jeune homme qui pêchait des écrevisses avait trouvé le corps de son mari qui flottait, les bras attachés avec un poids attaché aux jambes.

« Pendant tout ce temps, j’ai prié pour qu’il soit en vie », a-t-elle déclaré.

Abus contre des manifestants, journalistes et militants
Des manifestants tiennent un drapeau ukrainien avec une pancarte qui affirme : « Kherson, c’est l’Ukraine », lors d’un rassemblement contre l’occupation russe à Kherson, en Ukraine, dimanche 20 mars 2022. © 2022 Olexandr Chornyi/AP

Les médias ont fait état de manifestations publiques contre l’occupation à Kherson, Berdiansk et Melitopol, en mars, avril et début mai. Les forces russes ont violemment réprimé certaines d’entre elles, notamment à Kherson, en usant de balles réelles et en blessant certains manifestants. Deux témoins ont déclaré que les soldats russes visaient les jambes ; l’un d’eux a dit avoir vu un homme touché aux jambes. Les forces russes ont également pourchassé des bénévoles d’associations qui distribuaient de l’aide aux personnes dans le besoin.

Human Rights Watch s’est entretenu avec neuf personnes qui avaient organisé des manifestations, y avaient participé, en avaient été témoins ou étaient des bénévoles associatifs, et toutes avaient été détenues par les forces russes.

Manifestants

Kherson

Arkadiy Dovzhenko, 29 ans, biologiste marin de Kherson, a déclaré que les habitants de Kherson avaient commencé à manifester en grand nombre dès le début de l’occupation et qu’il s’était joint à ces manifestations :

Arkadii Dovzhenko lors d’une manifestation à Kherson, en Ukraine, le 9 mars 2022. © 2022 Privé
J’étais juste un Ukrainien ordinaire. Mais un jour, lors d’une manifestation, j’ai pris le micro pour dire : « Russes, rentrez chez vous ». C’est comme ça qu’ils ont entendu ma voix... et qu’ils ont décidé que j’étais l’organisateur. Puis les journalistes russes ont commencé à arriver, et nous avons pris la décision suivante : nous allions les empêcher de faire de belles images pour leur télévision de propagande.

Dovzhenko a décrit sa détention du 21 avril :

Ce jour-là, ils [ont commencé] à lancer des grenades avec des gaz lacrymogènes. Ils ont tiré sur les gens à balles réelles. Ils visaient les jambes. J’ai vu plusieurs gars qui avaient été abattus et ont dû être transportés. Il y avait du sang sur le trottoir.

Les forces russes ont arrêté Dovzhenko alors qu’il tentait de s’enfuir et l’ont emmené, les yeux bandés et les mains liées, dans le sous-sol d’un bâtiment de la police, puis dans une autre pièce :

Ils m’ont frappé avec des matraques, m’ont donné des coups de poing et des coups de pied. Cela a duré plusieurs heures... Environ trois heures après, ils m’ont ramené au sous-sol. Puis ils m’ont fait remonter. Ils m’ont posé les mêmes questions. Qui a organisé cette manifestation ? Qui organise les autres rassemblements de protestation ? Ils m’ont demandé si je connaissais quelqu’un à l’ATO [et] les adresses [d’autres] manifestants. Ils m’ont également posé des questions sur ma religion... ils m’ont dit que les chrétiens orthodoxes ukrainiens étaient des terroristes et des renégats.

ATO est l’acronyme ukrainien de « Anti-Terrorist Operation ». Elle désigne les opérations de l’armée et des forces de sécurité ukrainiennes visant à reprendre le contrôle de certaines parties des régions de Donetsk et de Louhansk, saisies en 2014 par des groupes armés soutenus par la Russie.

Les forces russes ont détenu Dovzhenko pendant sept jours. Pendant toute cette période, il était menotté et les yeux bandés, et était interrogé plusieurs fois par jour. « Ils m’ont donné de l’eau, mais elle était très mauvaise... Ils nous ont nourris avec leurs rations alimentaires. Ce n’était presque rien. »

Lorsqu’ils ont relâché Dovzhenko, a-t-il dit, il pouvait à peine marcher : « J’avais une commotion cérébrale. J’avais plusieurs côtes cassées et une rotule brisée ».

Dovzhenko a quitté Kherson en mai, mais il a fallu trois jours de voyage harassant en passant par de nombreux postes de contrôle russes pour parcourir 200 kilomètres et aller se mettre en sécurité à Kryvyï Rih.

Ville de la région de Kherson (nom de la ville non divulgué pour des raisons de sécurité)

Un adjoint municipal d’une ville de la région de Kherson qui a participé aux manifestations a déclaré qu’aux alentours du 7 juin, des membres des forces russes avaient fouillé son domicile, l’avaient roué de coups pendant deux heures à coups de batte de baseball et l’avaient gardé pendant 36 heures les yeux bandés dans une cellule d’un centre de détention improvisé dans un camp de vacances pour enfants. Ils l’ont aussi filmé contre sa volonté, déclarant qu’il avait accepté de devenir un informateur du FSB. Ils l’ont libéré 24 heures plus tard, en le menaçant de le détenir indéfiniment s’il continuait à manifester et à faire du bénévolat. Après qu’ils soient revenus plusieurs fois à son domicile pour le harceler, il a fui le pays.

« Anton », à Berdiansk

Le 18 mars, à Berdiansk occupée, des membres des forces russes ont arrêté « Anton », un organisateur de manifestations, à un carrefour alors qu’il apportait de l’aide aux habitants de sa communauté.  Anton a raconté à Human Rights Watch qu’ils l’ont conduit, les yeux bandés et menotté, vers ce qu’il croyait être un poste de police. Les membres des forces russes lui ont demandé s’il était un organisateur de manifestations, et lorsqu’il leur a répondu par la négative, ils l’ont frappé avec sa chaussure, le faisant tomber avant de le frapper à coups de pied et de poing pendant plusieurs minutes. « Je leur ai dit que je n’étais pas un organisateur de manifestations, juste un patriote de mon pays, l’Ukraine. Ils ont répondu qu’un tel pays n’existait pas. »

Les forces russes lui ont fait enlever son jean, lui ont scotché les jambes ensemble et ont continué à le rouer de coups. Ils lui ont administré des chocs électriques à l’aide de pinces qu’ils ont attachées aux lobes de ses oreilles, d’abord pendant quelques secondes, puis jusqu’à 20 secondes, tout en lui posant des questions sur les manifestations et sur son travail de bénévole. « Tout est devenu noir et j’ai vu des taches orange », a-t-il dit. « Ils ont pris une [arme] automatique et l’ont pointée vers mon aine en me disant de me préparer à mourir. »

Après 90 minutes, ils l’ont conduit dans une cellule où, explique-t-il, il a craché du sang pendant trois heures. Lors de son troisième jour de détention, le personnel de sécurité russe lui a bandé les yeux et l’a emmené au deuxième étage de l’établissement, où ils lui ont fait lire devant la caméra une déclaration qu’ils avaient écrite selon laquelle il avait organisé des manifestations, exhortant les gens à ne pas y assister et à faire confiance aux nouvelles autorités.

Ils l’ont averti que s’il refusait l’enregistrement, ils placeraient son fils et son petit-fils en détention. « Un homme tenait le [texte], un autre filmait, et un troisième se tenait derrière la caméra avec son automatique pointé sur moi. Ils m’ont fait lire le texte deux fois, car ils n’ont pas aimé la première version ». Les forces russes l’ont relâché après trois jours de détention.

Anton a demandé une aide médicale pour de nombreuses contusions, des vaisseaux sanguins éclatés dans les yeux et des blessures aux jambes. Il est parti le 5 avril pour une ville sous contrôle ukrainien, où il a été hospitalisé et soigné pour ces blessures, principalement aux chevilles. « Les tissus mous étaient broyés. J’avais environ 20 centimètres de [gonflements] sous la peau et [je risquais] la gangrène. Les [médecins] l’ont enlevé et j’ai eu une greffe de peau. Je suis resté au lit pendant 22 jours sans me lever [et] le 18 mai, j’ai pu sortir. »

Journalistes et bénévoles

Novaïa Kakhovka

Le 12 mars, les forces russes ont arrêté et détenu au secret Oleh Baturin, un journaliste de la région de Kherson. Baturin a raconté à Human Rights Watch que le matin du 10 mars, il avait reçu un message, qui venait apparemment de son ami Serhyi Tsyhypa, un ancien combattant du Donbas, lui demandant de le rencontrer. Quand Baturin est arrivé au point de rendez-vous à Kakhovka, une ville voisine, Tsyhypa n’y était pas et Baturin a commencé à s’éloigner. Plusieurs hommes en tenue militaire ont couru vers lui : « Ils m’ont crié de me mettre à terre, m’ont menotté et ont tiré la capuche de ma veste sur ma tête pour que je ne puisse rien voir. Ils n’ont pas dit qui ils étaient, ne m’ont pas dit de quoi j’étais accusé, ni pourquoi on m’enlevait de cette manière. »

Les militaires ont emmené Baturin dans un bâtiment administratif local, où ils l’ont interrogé et passé à tabac : « Ils m’ont dit que j’en avais fini avec [le journalisme] et ont menacé de me tuer. » Ils l’ont ensuite emmené au poste de police de la ville de Kherson, où il a de nouveau été interrogé. « Pendant tout ce temps, j’entendais des gens crier quelque part à proximité, et des tirs d’armes automatiques. » Baturin a passé la nuit menotté à un radiateur dans une pièce non chauffée du poste de police. Le lendemain, il a été emmené dans un centre de détention provisoire à Kherson, où il a été interrogé tous les jours jusqu’à sa libération le 20 mars.

Tsyhypa est toujours porté disparu. Sa femme, Olena, a déclaré que des témoins l’avaient vu en détention à un poste de contrôle. Un passant a trouvé le chien de Tsyhypa, qui était avec lui le jour de sa disparition, attaché devant l’hôtel de ville.

Snihurivka

Le 6 avril, des membres des forces russes ont arrêté Yurii, un pasteur baptiste, à un poste de contrôle à Snihurivka, dans la région de Mykolaïv, près de la frontière administrative avec la région de Kherson, où il avait acheté de la nourriture, des médicaments et d’autres articles de base pour la communauté de Kherson. Après avoir découvert dans son téléphone plusieurs photos d’équipements militaires russes prises dans les premiers jours de l’invasion, ils l’ont conduit dans une cellule de la police.

Ils l’ont détenu pendant six jours dans une petite cellule glaciale, sans électricité, avec peu de nourriture et à peine assez d’eau. Ils l’ont interrogé sur sa participation aux manifestations et sur son rôle de prêtre qui encourageait les gens à manifester. Ils lui ont confisqué sa voiture, qui contenait 2 000 dollars de médicaments et d’aide humanitaire, ainsi que, selon lui, 6 000 dollars de son propre argent. Les soldats russes présents au poste de contrôle ont dit à Yurii que sa voiture se trouvait dans les locaux du FSB à Kherson. Il a été libéré à condition qu’il continue à livrer de l’aide à Kherson tout en transmettant aux forces russes des informations sur les postes de contrôle ukrainiens.

Yurii a fui Kherson avec sa femme dès le lendemain.

Abus contre des responsables locaux et agents de la fonction publique

Dans les zones nouvellement occupées, les autorités russes ont arrêté de nombreux élus, propriétaires d’entreprises, militants associatifs et personnes influentes, dont le maire de Melitopol, le maire de la ville de Kherson et des responsables d’administrations locales. Tamila Tasheva, la représentante du président ukrainien, a déclaré qu’au 28 juin, parmi les 431 dossiers de détention illégale ouverts par les forces de l’ordre ukrainiennes, six concernaient des maires de villes de la région de Kherson, trois des chefs d’unités d’administration territoriale locale, 17 des membres de conseils régionaux et locaux, et 43 des agents des forces de l’ordre. Elle a ajouté que 162 personnes étaient toujours en détention.

Human Rights Watch a documenté des cas dans lesquels un ancien bénévole de la municipalité, un ancien policier et le chef d’une administration régionale ont été détenus, ou dont les membres de la famille ont été détenus illégalement, apparemment pour faire pression sur eux. L’un d’entre eux est toujours en détention.

À Kherson, les forces russes ont arrêté un ancien policier de 36 ans le 27 mai, après avoir fouillé son domicile et trouvé son uniforme de police et le fusil de chasse de son père, selon sa femme. L’homme avait travaillé à la permanence téléphonique de la police.

La famille de l’homme s’est rendue tous les jours au bureau du commandant militaire, mais n’a reçu aucune information sur l’endroit où il pouvait se trouver. « Ils nous ont dit que... que quelqu’un "travaillait sur lui" », a déclaré sa femme. Elle a fini par se rendre au centre de détention provisoire, où au 28ème jour de détention de son mari, un garde a accepté le colis de nourriture qu’elle lui avait apporté. Son mari a été libéré le 12 juillet. Sa femme n’a pas souhaité évoquer son état physique, si ce n’est qu’elle a noté qu’il portait « des marques de violence physique ». « Vous savez comment ils torturent les gens là-bas », a-t-elle expliqué.

Le 8 avril, les forces russes ont arrêté Vladyslav (Vlad) Buryak, 16 ans, à un poste de contrôle russe à Vassylivka, à environ 70 kilomètres de Melitopol, alors qu’il tentait de rejoindre Zaporijia, a déclaré son père, le chef de l’administration régionale de Zaporijia. Craignant pour sa sécurité, le père avait quitté Melitopol avant, mais son fils a refusé de partir car son grand-père était malade et ne pouvait pas voyager.

Alors que les soldats vérifiaient les documents des passagers, l’un d’eux a vu Vlad regarder son téléphone. Ils ont exigé qu’il leur donne et y ont trouvé plusieurs chaînes Telegram pro-Ukraine. L’un des soldats a dit à Vlad de descendre de voiture, a pointé une arme sur lui et lui a demandé s’il devait l’abattre sur place. Les militaires ont interrogé Vlad pendant trois heures et après avoir découvert qui était son père, l’ont emmené dans un centre de détention de la police à Vassylivka, où ils l’ont gardé dans une cellule d’isolement. Buryak a déclaré à Human Rights Watch que pendant sa détention, son fils avait été forcé de laver les sols ensanglantés du centre, notamment dans les cellules vides, « où les [militaires] ukrainiens ont été torturés ».

Après que Vlad eut passé 48 jours en détention, les militaires russes l’ont emmené dans un hôtel à Melitopol, où il a été détenu pendant 42 jours supplémentaires, mais où il avait régulièrement accès à un téléphone et pouvait contacter sa famille. Vlad a été libéré le 7 juillet.

Le 30 juin, les forces armées russes ont arrêté « Alina », 40 ans, et son ex-belle-mère dans la maison de l’ex-mari d’Alina, près de Kherson, où elles séjournaient depuis l’invasion, selon la sœur d’Alina.

La sœur a déclaré qu’elle pensait qu’ils étaient détenus en raison de la participation d’Alina et de son ex-mari à la garde municipale de Kherson, une force de police communautaire mise en place pendant une courte période après l’occupation russe afin de lutter contre les pillages et les destructions. La sœur a déclaré qu’elle pensait que les forces russes disposaient d’une liste de tous les participants et qu’elles avaient arrêté un grand nombre d’entre eux.

Les soldats ont détenu Alina et son ex-belle-mère et ont forcé Alina à laisser son fils de 6 ans chez un voisin. Les autorités ont libéré Alina le soir suivant, mais son ex-belle-mère était toujours en détention au moment de l’entretien. Alina apporte des vêtements propres et des médicaments sur le lieu de détention, pour le diabète et les problèmes de foie de son ex-belle-mère. Elle a déclaré que les vêtements de son ex-belle-mère étaient souillés et tachés de sang.

Alina a dit à sa sœur qu’elle pensait qu’ils détenaient son ex-belle-mère en attendant que son fils, l’ex-mari d’Alina qui a réussi à quitter Kherson, revienne à Kherson et qu’ils puissent le détenir à son tour.

Autres disparitions forcées, détentions illégales de civils

Human Rights Watch a documenté 13 autres cas dans lesquels les forces russes ont apparemment fait disparaître de force des civils, 12 hommes et une femme, dans la région de Kherson. Dans la plupart des cas, les forces russes n’ont pas dit aux familles où leurs proches étaient détenus et n’ont fourni aucune information quand les proches tentaient de se renseigner. Plusieurs d’entre eux ont été battus en détention et l’un d’entre eux a été transféré illégalement en Crimée pour y effectuer un « travail de rééducation ». Les membres des familles ont déclaré qu’aucun d’entre eux n’avait participé à l’armée.

Le fait de ne pas reconnaître la détention d’un civil ou de ne pas révéler le lieu où il se trouve en détention, dans l’intention de le soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée, constitue une disparition forcée, un crime de droit international qui, lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque contre la population civile, peut constituer un crime contre l’humanité.

Disparus de force

Yurii, 43 ans, à Kherson

Le 26 mai, les forces russes ont arrêté « Yurii », un homme d’affaires local de 43 ans, sur le parking du marché central de Kherson. Sa belle-fille a déclaré que le 14 juillet, sa mère avait déposé un recours auprès de l’administration militaire russe, qui lui a répondu que Yurii était en vie et que son cas était « en cours d’examen », sans préciser où il était détenu.

Fin juin, selon la belle-fille, un homme a contacté sa mère et a déclaré qu’il avait été le compagnon de cellule de Yurii dans un centre de détention provisoire improvisé à Kherson, et que Yurii avait passé plusieurs semaines à l’isolement avant d’être placé dans la cellule commune. Il a déclaré qu’il était prévu que Yurii soit transféré en Crimée, puis à Rostov en Russie, soi-disant pour possession d’armes.

Sa femme s’est rendue au centre tous les quelques jours avec des colis de nourriture et de vêtements, que les gardes de l’établissement ont acceptés, sans toutefois confirmer sa présence.

« Bohdan », 39 ans, à Ivanivka

Les forces russes ont arrêté « Bohdan », un directeur d’entrepôt de 39 ans, le 29 avril dans la ville d’Ivanivka, dans la région de Kherson. Il est toujours porté disparu. Sa famille a contacté les autorités d’occupation russes mais n’a reçu aucune information.

Sa femme a déclaré avoir fui la ville avec leurs enfants à la mi-mars après que des soldats russes ont fouillé leur maison, et interrogé et détenu Bohdan pendant plusieurs heures. Ses voisins l’ont appelée fin avril et ont expliqué que des soldats russes étaient venus dans deux voitures et avaient emmené Bohdan. Bohdan avait appelé sa femme la veille et lui avait dit que des soldats russes lui avaient pris sa voiture et avaient promis de la rendre.

« Dmytro », 54 ans, à Ivanivka

Le 5 mai, les forces russes ont arrêté Dmytro, 54 ans, à Ivanivka, dans la région de Kherson. Sa fille a déclaré que Dmytro avait appelé le 4 mai pour dire qu’il allait s’installer chez des voisins pour quelques temps. D’autres voisins lui ont dit qu’ils avaient vu Dmytro se rendre chez lui le 5 mai pour nourrir son bétail, quand des soldats sont arrivés, ont menotté Dmytro et l’ont emmené. Les voisins ont dit que les forces russes avaient pris le contrôle de la maison, qu’ils avaient déclaré ne rien savoir de l’endroit où se trouvait Dmytro et que « tant que nous sommes ici, il ne peut pas revenir ».

Selon sa fille, Dmytro n’a pas participé aux opérations des Forces de défense territoriale et n’était pas un vétéran de la guerre dans le Donbas.

« Stepan », 49 ans, à Oleshkyà Oleshky

Tôt le matin du 7 avril, un groupe d’environ 10 Russes armés s’est présenté au domicile de Stepan, un moniteur de conduite de 49 ans dans la ville d’Oleshky, dans la région de Kherson. Sa fille, qui s’est entretenue avec sa mère par la suite, a déclaré que son père, sa mère et sa jeune sœur étaient à la maison ce jour-là. Les hommes ont fouillé la maison et la cour, notamment à l’aide de détecteurs de métaux, en disant qu’ils cherchaient des armes. Ils ont séparé les membres de la famille et les ont interrogés dans différentes pièces. Les soldats désignaient l’un des hommes qui était avec eux par son nom de guerre, « Le Vent » (Ветер en russe).

Ils ont emmené Stepan avec eux, menotté, en lui demandant d’apporter ses papiers d’identité et ses médicaments et en lui annonçant : « Tu en auras besoin, car les choses vont aller très mal pour toi ». Stepan est atteint de pancréatite, une inflammation du pancréas, et d’ostéomyélite, une infection de la moelle osseuse, et est officiellement enregistré comme handicapé.

Le 8 avril, Stepan a appelé sa femme et sa fille, séparément, depuis sa détention, pour leur dire qu’il avait eu une crise pancréatique, mais qu’il avait reçu des médicaments et de la nourriture et qu’il n’était pas battu. Sa fille a dit qu’elle avait l’impression que son père parlait dans un haut-parleur. Personne dans la famille n’a eu de nouvelles de lui depuis.

La fille de Stepan a déclaré qu’un ami, agissant au nom de la famille, s’était rendu à l’administration militaire locale pour demander des nouvelles de son père, mais qu’il n’avait pu obtenir aucune information. La famille a également contacté des agences gouvernementales ukrainiennes, des lignes d’assistance téléphonique et un centre de détention provisoire en Crimée, sans succès.

Libérés

Une femme nommée Mariia a déclaré que le 25 juin, les forces russes avaient arrêté son mari, un chauffeur de taxi de 30 ans, et son frère, un étudiant à l’académie navale de 19 ans, avec deux autres hommes dans un magasin du centre de Kherson appartenant à la belle-mère de Mariia. Selon Mariia, les caméras de sécurité du magasin ont filmé 10 à 15 soldats russes armés qui entraient dans le magasin, forçant les hommes à se coucher par terre, leur prenant leurs téléphones et leur mettant des sacs sur la tête avant de les emmener.

Après l’arrestation, la belle-mère de Mariia s’est rendue à l’administration militaire locale pour demander des nouvelles des hommes. Les responsables n’ont donné aucune information sur eux et lui ont dit d’attendre.

Le mari de Mariia a été libéré au bout de sept jours, son frère au bout de treize jours et les autres hommes au bout de trois jours. Elle a déclaré qu’ils étaient apparemment détenus dans le sous-sol d’un centre de détention provisoire de Kherson. Les responsables les avaient battus et ne les avaient pas suffisamment nourris. Mariia a déclaré que son frère avait perdu 10 kilos. Elle a déclaré que son frère avait envoyé des géolocalisations de positions russes aux services de renseignement ukrainiens, bien que les forces russes ne l’aient pas interrogé à ce sujet. Pendant les interrogatoires, les forces russes ont posé des questions qui montraient qu’« elles savaient tout sur ces hommes », a déclaré Mariia. Après la libération des hommes, elle, son mari, son frère et sa belle-mère ont quitté Kherson, craignant pour leur sécurité.

« Vasylii », à Kherson

Des membres des forces russes ont arrêté Vasylii à son domicile le 4 juillet et l’ont détenu pendant quatre jours. Sa femme a déclaré qu’elle était à la maison avec Vasylii, leur enfant en bas âge et les parents de Vasylii. Sept soldats russes sont entrés dans la maison et ont demandé aux hommes de sortir et aux femmes de descendre au premier étage. Les soldats ont pris des photos des documents d’identité des membres de la famille, ont fouillé la maison et ont arrêté Vasylii.

Dans la soirée, sa famille s’est rendue au bureau local de l’administration militaire pour demander de ses nouvelles, mais les responsables ne leur ont donné aucune information. Vasylii a été libéré le 8 juillet. Il a dit à sa femme qu’il avait été détenu dans un ancien centre de détention provisoire à Kherson. Selon sa femme, les forces russes ont passé Vasylii à tabac, lui ont administré des électrochocs, l’ont frappé aux jambes avec une tige métallique, l’ont blessé à l’épaule et ont provoqué chez lui une commotion cérébrale. Il a encore des maux de tête et des cauchemars. Lorsqu’ils l’ont interrogé, les Russes savaient tout sur lui et sa famille, a déclaré sa femme.

Après sa libération, les membres des forces russes ont dit à Vasylii qu’ils reviendraient le voir sous trois semaines. La famille a fui Kherson, pour sa sécurité. Ils n’ont aucune idée des raisons de sa détention : Vasylii n’était pas dans les Forces de défense territoriale et n’a pas participé à la guerre dans le Donbas, ni aux manifestations pro-Ukraine, selon sa femme. Sa femme a également déclaré à Human Rights Watch que des soldats russes s’étaient présentés à l’atelier de réparation de voitures de Vasylii au début du mois d’avril et avaient exigé un paiement de 5 000 hryvnia (169 dollars US) pour que l’atelier puisse rester ouvert ou pour réparer leurs voitures gratuitement. Sa femme a déclaré que Vasylii leur avait donné l’argent et qu’ils étaient partis.

« Valentyn », 48 ans, à Chaplynka

Le 8 juin, Valentyn, 48 ans, a quitté son domicile dans le village de Chaplynka, dans la région de Kherson, à environ 50 kilomètres de la frontière administrative avec la Crimée occupée par la Russie, pour aller faire des courses. Il n’est pas revenu. La fille de Valentyn a déclaré que sa mère septuagénaire, dont il s’occupait, était allée le chercher le 9 juin au poste de police local, où des agents de l’occupation russe lui ont dit qu’il était détenu « pour faits de drogue », sans préciser où ils le détenaient. Ils lui ont conseillé d’aller dans une maison de retraite.

La mère s’est rendue tous les jours au poste de police, et a fini par être autorisée à voir son fils. Elle a dit à sa fille que Valentyn était « tout couvert de coups, très maigre ». Lors d’une visite ultérieure, le personnel lui a dit qu’il avait été emmené en Crimée. Les autorités russes ont libéré Valentyn environ un mois après sa première détention, le 4 ou le 5 juillet.

Sa fille a déclaré que Valentyn avait dit à sa famille qu’il avait été battu et qu’il avait été envoyé en Crimée pendant deux semaines pour un « travail de rééducation ». Les autorités ne lui ont pas rendu ses documents d’identité et ses cartes bancaires, et lui ont interdit de quitter le village. Sa fille a déclaré que le personnel russe aurait détenu plusieurs autres villageois, également le 8 juin, mais qu’elle n’avait pas d’autres informations à leur sujet.

Obligations légales

Toutes les parties au conflit armé en Ukraine sont tenues de respecter le droit international humanitaire, ou droit de la guerre, notamment les Conventions de Genève de 1949, le premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève et le droit international coutumier. Les forces armées belligérantes qui exercent un contrôle effectif sur une zone sont soumises au droit international de l’occupation, tel qu’il est défini dans les règlements de La Haye de 1907 et les conventions de Genève. Le droit international des droits de l’homme, incluant notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme, est applicable en toutes circonstances.

Le droit de la guerre interdit les attaques contre les civils, les transferts forcés de civils, les exécutions sommaires, la torture, les disparitions forcées, la détention illégale et le traitement inhumain des détenus. Le pillage et la mise à sac des biens sont également interdits. Une partie au conflit qui occupe un territoire est généralement tenue de veiller à ce que la population sous son contrôle dispose de nourriture, d’eau et de soins médicaux, et de faciliter l’assistance des organismes de secours.

La troisième Convention de Genève régit le traitement des prisonniers de guerre, à compter du moment de leur capture. Elle prévoit l’obligation de les traiter humainement à tout moment. Le fait de tuer, de maltraiter ou de torturer délibérément des prisonniers de guerre, ou de leur causer délibérément de grandes souffrances ou des atteintes graves à leur intégrité physique ou à leur santé, constitue un crime de guerre. Aucune torture ou autre forme de coercition ne peut être infligée aux prisonniers de guerre pour obtenir d’eux des informations, de quelque nature que ce soit.

Quiconque ordonne ou commet des violations graves des lois de la guerre avec une intention criminelle, ou aide et encourage les violations, est responsable de crimes de guerre. Les commandants de forces qui avaient connaissance ou avaient des raisons d’avoir connaissance de tels crimes, mais qui n’ont pas cherché à les arrêter ou à punir les responsables, sont pénalement responsables de crimes de guerre au titre de la responsabilité du commandement.

La Russie et l’Ukraine ont l’obligation, en vertu des Conventions de Genève, d’enquêter sur les crimes de guerre présumés commis par leurs forces, ou sur leur territoire, et de poursuivre les responsables de manière appropriée. Les victimes d’exactions et leurs familles doivent recevoir une réparation rapide et adéquate.

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Articles

Le Parisien    Journal de Québec/AFP

Libération

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