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Russie : Respecter les droits des prisonniers de guerre

La diffusion d’images et d’interviews de soldats capturés viole les Conventions de Genève

Le centre de télévision Ostankino, à Moscou, où sont situés les studios de Pervi Kanal (« Première Chaîne »), l’une des principales chaînes de télévision en Russie. © 2022 AFP via Getty Images

(Berlin, le 28 avril 2022) - Les autorités russes devraient cesser de diffuser des reportages montrant des images et des interviews de soldats ukrainiens capturés qui les exposent à la curiosité du public, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Un tel traitement des prisonniers de guerre viole les garanties prévues par les Conventions de Genève, qui visent à assurer un traitement digne des combattants capturés par toutes les parties.

« Les autorités russes devraient cesser de filmer les prisonniers de guerre ukrainiens et de diffuser leurs images, même s’ils se trouvent dans des situations de confort relatif », a déclaré Aisling Reidy, conseillère juridique senior à Human Rights Watch. « L’obligation prévue par les Conventions de Genève est de protéger les prisonniers de guerre pour qu’ils ne deviennent pas des objets de curiosité publique, et ne fassent pas l’objet d’intimidation ou d’humiliation. »

Les 2 et 4 avril 2022, plusieurs chaînes de télévision russes ont diffusé des reportages montrant, et dans plusieurs cas identifiant, des prisonniers de guerre ukrainiens détenus par les forces russes à Sébastopol. Certaines séquences vidéo montrent Tatyana Moskalkova, haute-commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de Russie, aux côtés des prisonniers de guerre et interagissant avec eux. Ces images ont été diffusées sur le site Internet de Pervi Kanal (« Première Chaîne »), la principale chaîne de télévision du gouvernement russe dans plusieurs endroits, ainsi que dans les programmes de NTS, une chaîne de télévision de la Crimée occupée par la Russie. Elles ont également été partagées sur Facebook et YouTube. L’objectif de ces programmes semble être de démontrer que les autorités russes traitent correctement les prisonniers de guerre.

De même, plusieurs vidéos postées en avril sur Zvezda, le site d’information des forces armées de la Fédération de Russie, montrent des prisonniers de guerre ukrainiens louant leur traitement médical, décrivant les circonstances de leur capture et donnant leur avis sur leur service militaire. Au moins deux de ces vidéos semblent avoir été filmées dans les régions de Donetsk et de Louhansk, occupées par la Russie.

Dans un rapport publié le 26 mars, la Mission de surveillance des droits de l’homme des Nations Unies en Ukraine a noté l’existence d’un « grand nombre de vidéos » montrant des prisonniers de guerre ukrainiens insultés et intimidés lors de leur capture. La mission a également indiqué qu’elle disposait de plusieurs vidéos montrant « des interrogatoires de prisonniers de guerre immédiatement après leur capture », menés soit par les forces armées russes, soit par des membres de groupes armés affiliés à des « républiques » autoproclamées. Certains des prisonniers de guerre semblaient avoir des contusions, selon la mission de l’ONU.

Le 21 avril, Human Rights Watch a écrit à Pervi Kanal et Zvezda pour leur faire part de ses inquiétudes concernant leurs émissions et leur demander quelles mesures étaient prises pour garantir que les prisonniers de guerre soient traités conformément aux Conventions de Genève. Au 28 avril, Human Rights Watch attendait toujours une réponse.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a clairement fait savoir que tout contenu permettant aux téléspectateurs ou aux lecteurs d’identifier des prisonniers particuliers ne doit pas être transmis, publié ou diffusé. Il existe des dérogations à cette interdiction, mais elles ne sont autorisées que s’il existe un intérêt public impérieux ou si l’exposition de tels contenus est dans l’intérêt vital du prisonnier, et seulement dans la mesure où cela respecte la dignité de la personne.

Toute autorité responsable de prisonniers de guerre devrait également s’assurer que le personnel officiel ne prend de photos ou de vidéos de prisonniers qu’à des fins officielles, et que les images officielles des prisonniers ou toute autre information personnelle sont stockées en lieu sûr. L’accès à ces informations ne devrait être autorisé qu’au personnel directement affecté aux tâches concernées. L’utilisation de ces informations à toute autre fin est strictement interdite.

Le gouvernement russe devrait veiller à ce que le CICR ait accès à tous les prisonniers de guerre et collaborer avec lui pour garantir que toutes les informations et données personnelles concernant les prisonniers de guerre soient traitées conformément aux Conventions de Genève. Un rapport publié le 13 avril sous les auspices de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe s’inquiète du fait que la Russie et l’Ukraine ont violé les Conventions de Genève en ne permettant pas au CICR de rendre visite aux prisonniers de guerre pendant au moins un mois au début du conflit.

Les médias devraient également s’abstenir de diffuser ou de republier des documents concernant ou montrant des prisonniers de guerre et qui violent les lois de la guerre, a déclaré Human Rights Watch. Les plateformes de réseaux sociaux devraient prendre des mesures pour identifier et supprimer l’accès aux contenus qui violent le droit des prisonniers de guerre à un traitement humain, notamment en les protégeant de la curiosité du public. La décision de Twitter, annoncée le 5 avril, de supprimer les tweets publiés par des comptes de médias affiliés à l’État « qui partagent des contenus montrant des prisonniers de guerre » dans le cadre de la guerre en Ukraine est une mesure positive, a déclaré Human Rights Watch.

En mars, Human Rights Watch a signalé que le Service de sécurité de l’État et le ministère de l’Intérieur ukrainiens avaient aussi posté de nombreuses vidéos sur leurs comptes de réseaux sociaux respectifs, montrant l’humiliation et l’intimidation de prisonniers de guerre russes. Human Rights Watch a déclaré que les autorités ukrainiennes devraient aussi mettre fin à cette pratique. Human Rights Watch a également déclaré que les autorités ukrainiennes devraient enquêter sur les allégations selon lesquelles des militaires ukrainiens auraient frappé des prisonniers de guerre russes et tiré dans les jambes de plusieurs d’entre eux, comme le montrent des extraits de vidéos partagés sur les réseaux sociaux. Si ces informations sont vérifiées, les responsables de ces actes devraient être poursuivis pour crimes de guerre.

« Il est indispensable que toutes les parties belligérantes respectent leurs obligations en matière de traitement humain des prisonniers de guerre, notamment l’interdiction de les soumettre à la curiosité du public, et qu’elles permettent au CICR d’accéder aux prisonniers de guerre pour faciliter l’échange d’informations et la communication, » a conclu Aisling Reidy. « Les parties belligérantes devraient en particulier prévenir et punir les crimes de guerre visant les prisonniers de guerre, comme le fait de les maltraiter ou de les blesser délibérément. »

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