Skip to main content
Faire un don

(Berlin, le 16 mars 2022) – Les autorités ukrainiennes devraient cesser de publier sur les réseaux sociaux et applications de messagerie des vidéos de soldats russes capturés qui les exposent à la curiosité du public, notamment celles qui les montrent humiliés ou intimidés, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Un tel traitement des prisonniers de guerre viole les protections prévues par les Conventions de Genève visant à garantir un traitement digne des combattants capturés, quel que soit leur camp.

Le Service de sécurité d'Ukraine (Sluzhba Bezpeky Ukrayiny, SBU), la principale agence de sécurité du gouvernement ukrainien, gère un compte Telegram avec environ 868 000 abonnés. Le SBU a publié sur son compte Telegram des vidéos de soldats russes capturés qui semblent être sous la contrainte ; certains révèlent leurs noms, numéros d'identification et d’autres renseignements personnels, y compris dans certains cas les noms et l'adresse du domicile de leurs parents. Le SBU a également partagé de telles vidéos sur ses pages Facebook, Twitter, YouTube et Instagram, qui comptent au total 978 000 abonnés. Des vidéos ont été aussi diffusées sur une chaîne Telegram apparemment gérée par le ministère ukrainien de l'Intérieur, qui compte plus de 847 000 abonnés, et qui est cogérée avec un site Web affilié et une chaîne YouTube.

« L'obligation juridique de protéger les prisonniers de guerre contre la curiosité publique, l'intimidation ou l'humiliation, fait partie de l'exigence plus large de garantir leur traitement humain et de protéger leurs familles contre tout préjudice », a déclaré Aisling Reidy, Conseillère juridique senior à Human Rights Watch. « Les autorités ukrainiennes devraient cesser de mettre ces vidéos en ligne. »

Les médias sociaux concernés devraient également clarifier si et comment leurs politiques abordent la question de vidéos de prisonniers de guerre qui sont incompatibles avec les Conventions de Genève. S’ils ne disposent pas de tels textes, ces médias sociaux devraient élaborer de nouvelles politiques à ce sujet, identifier de tels contenus sur leurs plateformes, et agir pour empêcher leur diffusion, a déclaré Human Rights Watch. 

Human Rights Watch a écrit au Service de sécurité SBU et au ministère de l'Intérieur le 10 mars, pour exprimer sa préoccupation concernant les réseaux sociaux et le site Web gérés par l'État qui publiaient les images et les vidéos. L’organisation a demandé quelles mesures les autorités allaient prendre pour garantir que les prisonniers de guerre soient traités dans le respect des Conventions de Genève. Au 16 mars, Human Rights Watch n’avait toujours pas reçu de réponse.

Les différents comptes des services de sécurité ont publié des dizaines de vidéos de soldats russes capturés, dont certaines montrent qu'ils sont interrogés alors qu'ils sont ligotés. La plupart montrent clairement le visage du prisonnier, ou bien les prisonniers indiquent leur nom ou d'autres informations personnelles, telles que leur date de naissance et le nom de leurs parents.

Une vidéo avec 2,2 millions de vues sur la chaîne Telegram du SBU montre un soldat russe capturé qui parle au téléphone avec sa mère, puis un autre prisonnier de guerre qui, répondant à des questions, donne son nom, sa date de naissance et des détails sur son unité militaire. Une vidéo sur la page Facebook du SBU avec plus de 5,4 millions de vues montre un prisonnier de guerre au visage meurtri et à la jambe bandée, disant qu'il a traversé la Biélorussie jusqu'à Tchernobyl, à 90 kilomètres au nord de Kiev.

La chaîne Telegram, la chaîne YouTube et le site Web apparemment gérés par le ministère de l'Intérieur, tous créés le 26 février, incluent une base de données avec les noms des soldats russes qui ont été capturés ou tués pendant la guerre. Un conseiller du ministère de l'Intérieur, Victor Andrusiv, a déclaré qu'il était le gestionnaire du site Web et des chaînes affiliées. Il a indiqué que le but était d'aider les proches à identifier les soldats russes capturés et tués.

Sur ces plateformes, le ministère a mis en ligne des centaines de photos et de vidéos de soldats russes capturés, souvent accompagnés de leurs passeports et pièces d'identité. Certains soldats ont les yeux bandés, sont bâillonnés ou masqués. Dans certains cas, les prisonniers de guerre sont enregistrés alors qu'ils appellent leur famille en Russie. Dans une vidéo publiée sur Telegram le 6 mars avec 785 000 vues, deux prisonniers de guerre identifiés par leurs noms et leur unité militaire sont interrogés sous la menace d'une arme les yeux bandés et à genoux.

Les plates-formes de ces médias sociaux montrent également des images explicites de soldats russes morts. L'authenticité de toutes ces photographies et vidéos ne peut être vérifiée.

Dans une vidéo publiée sur la chaîne YouTube du ministère, Victor Andrusiv a évoqué la volonté de l'Ukraine de respecter des lois de la guerre. « Nous nous engageons à respecter les Conventions de Genève et avons demandé à toutes les unités de traiter tous les prisonniers avec respect », a-t-il affirmé. « Le commandant en chef et le ministre de l'Intérieur ont adopté des instructions basées sur les Conventions de Genève, pour tous les soldats et policiers. Nous contrôlerons en permanence le respect de ces consignes. »

La troisième Convention de Genève et le Protocole additionnel I traitent de la protection des prisonniers de guerre. Il y précisé (art. 13) que les prisonniers de guerre « doivent être traités en tout temps avec humanité » ; ils doivent aussi être protégés « contre tout acte de violence ou d'intimidation, contre les insultes et la curiosité publique ». Parmi les actes interdits figure la divulgation de photographies ou de vidéos, d'enregistrements d'interrogatoires, de conversations privées ou de correspondance personnelle, et de toute autre donnée privée.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a précisé que tout matériel permettant aux spectateurs ou aux lecteurs d'identifier des détenus individuels ne doit pas être transmis, publié ou diffusé. Il existe des exemptions à l'interdiction, mais elles sont exceptionnelles et autorisées uniquement s'il existe un intérêt public impérieux, ou si l'exposition des matériaux est dans l'intérêt vital du prisonnier, et seulement dans la mesure où cela respecte la dignité du prisonnier de guerre.

Le gouvernement ukrainien devrait s'assurer que le CICR a accès à tous les prisonniers de guerre et devrait travailler avec le CICR pour s'assurer que toutes les informations et données personnelles sur les prisonniers de guerre sont traitées conformément aux Conventions de Genève.

Toutes les autorités en charge des prisonniers de guerre devraient également s'assurer que le personnel officiel ne prend pas de photos ou de vidéos de prisonniers à des fins autres que officielles, et que les images officielles ou autres informations personnelles des prisonniers sont stockées en toute sécurité. L'accès à ce matériel ne devrait être autorisé qu'au personnel directement impliqué dans les fonctions concernées. L'utilisation de ces documents à d'autres fins est strictement interdite.

Les autorités devraient faire tous les efforts possibles pour identifier et demander des comptes à toute personne ayant publié des images et des vidéos de prisonniers de guerre sur des sites de médias sociaux, en particulier si elle a également été impliquée dans la prise ou la création d'images à des fins autres que officielles, ou si elle a utilisé à mauvais escient des images qui étaient prises à des fins officielles.

Il est également important que les médias s'abstiennent de diffuser ou de republier du contenu sur des prisonniers de guerre qui viole les lois de la guerre, a déclaré Human Rights Watch. Les plateformes de médias sociaux devraient prendre des mesures pour identifier et supprimer l'accès au contenu qui viole le droit des prisonniers de guerre à un traitement humain, notamment la protection contre la curiosité publique.

Human Rights Watch a précédemment documenté de nombreuses violations des lois de la guerre et des présumés crimes de guerre commis par des forces russes, notamment des attaques indiscriminées contre des civils avec des armes à sous-munitions, parmi d’autres, et des actions empêchant les civils de fuir les zones de combat.

« Les violations commises par les forces russes sont omniprésentes et généralisées, causant d'intenses dommages civils », a conclu Aisling Reidy. « Dans le même temps, l'Ukraine a des obligations claires qu'elle devrait respecter, notamment le traitement légal des prisonniers de guerre. »

............

Articles

Blick.ch

Tweets

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays