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ONU : Réunion "Arria" sur l'Ukraine – Intervention de HRW

Assurer que des comptes soient rendus pour les atrocités commises en Ukraine

Le siège des Nations Unies à New York, photographié le 21 décembre 2021. © 2021 Sergi Reboredo / VWPics via AP Images

27 avril 2022 

Intervention de Ida Sawyer (texte original en anglais)

Madame la ministre Xhaçka, Mesdames et Messieurs les invités, chers collègues,

Tout d’abord, nous remercions les missions permanentes de l’Albanie et de la France pour avoir organisé cette importante réunion.

Aujourd’hui, c’est Human Rights Watch qui a le microphone, mais nous tenons à rendre hommage aux défenseurs des droits humains ukrainiens et russes, qui travaillent depuis de nombreuses années sur les lignes de front à documenter les violations et qui plaident avec insistance pour une justice crédible. Nous leur exprimons notre solidarité en ces temps difficiles.

Documentation de crimes par HRW

Les violations des droits humains et du droit international humanitaire par les forces russes dans ce conflit sont d’une extrême gravité. Depuis 2014, nous avons documenté une litanie de crimes de guerre manifestes dont la liste serait trop longue pour qu’on les énumère ici.

Au cours de ces deux derniers mois, depuis le début de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie, mes collègues et moi-même avons documenté des meurtres de civils et des destructions de résidences, d’écoles et d’hôpitaux à Kharkiv, à Tchernihiv, à Mykolaiv et ailleurs, résultant d’attaques menées manifestement sans discernement et de manière disproportionnée.

Dans la ville de Boutcha et dans d’autres zones qui ont été tenues par les forces russes, nous avons recueilli de nombreuses preuves d’exécutions sommaires, de disparitions forcées, de tortures, de violences sexuelles et d’arrestations arbitraires, actes qui pourraient tous constituer des crimes de guerre, voire même des crimes contre l’humanité.

À Marioupol, des dizaines de milliers de civils se sont retrouvés pris au piège, alors que leur ville était réduite en cendres, avec peu ou pas du tout de nourriture, d’eau, de médicaments, de chauffage ou de moyens de communication – et aucun moyen sûr de s’échapper. Beaucoup ont été transportés de force en Russie. Nous exhortons la Russie à faire en sorte que tous les civils qui souhaitent fuir la ville vers des zones contrôlées par l’Ukraine puissent le faire dans des conditions sûres. 

Nous demandons aux autorités d’accorder une attention particulière aux personnes qui sont souvent affectées de manière disproportionnée par les conflits: les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées. Les impacts de cette guerre en matière d’environnement et de santé seront également considérables et durables.

Les lois de la guerre s’appliquent à toutes les parties au conflit et nous nous félicitons de l’engagement pris publiquement par l’Ukraine à adhérer à ces normes.

Le traitement par l’Ukraine des prisonniers de guerre est un sujet de préoccupation, et nous avons pris note d’informations crédibles concernant des abus qui devraient faire l’objet d’enquêtes. Un autre sujet d’inquiétude provient d’informations faisant état de l’usage par l’Ukraine d’armes à sous-munitions, pratique qui, si ces informations sont exactes, devrait cesser immédiatement et les personnes responsables de l’utilisation de telles armes devraient être amenées à répondre de leurs actes.

Lors de tous nos travaux de recherche, ce que nous entendons répéter constamment est que les victimes de ces violations réclament justice.

La tendance à la commission d’abus que nous constatons en Ukraine est cohérente avec les graves crimes bien documentés commis précédemment par les forces russes en d’autres lieux, comme la Syrie. L’impunité pour ces violations a, malheureusement, ouvert la voie à ce qu’il se passe aujourd’hui.

Réponses en matière de justice

Dans ce contexte, nous nous réjouissons de la réponse sans précédent de nombreux gouvernements qui se sont engagés en faveur du recours à une série d’outils juridiques devant permettre d’établir les responsabilités, dans l’objectif que les auteurs de graves crimes soient punis. Nous prenons note de la rapide décision du Conseil des droits de l’homme de l’ONU de créer une commission d’enquête, du ferme soutien apporté par les gouvernements à l’ouverture d’une enquête par la Cour pénale internationale (CPI), ainsi que de la décision des autorités judiciaires de plusieurs pays d’engager leurs propres enquêtes criminelles, sur la base du principe de la compétence universelle.

De nombreux gouvernements ont offert à l’Ukraine une assistance visant à renforcer ses capacités en matière judiciaire. Pendant ce temps, les organisations de la société civile nationales et internationales continuent à documenter vigoureusement les violations dès qu’elles se produisent.

Aujourd’hui, nous aimerions souligner certains points afin de nous assurer que tous ces efforts mènent à des résultats positifs en termes d’établissement des responsabilités, à la fois pour ce conflit et pour d’autres. Nos recherches ont montré qu’une justice équitable et effective est possible avec la bonne combinaison de lois appropriées, de ressources adéquates et d’expertise, d’engagements institutionnels, de coopération efficace et, surtout, de volonté politique.

Recommandations à l’Ukraine

Des enquêtes et des procédures judiciaires équitables et efficaces au niveau national seront essentielles pour parvenir à faire rendre des comptes de manière générale. Toutefois, les affaires concernant des crimes graves sont toujours complexes quand il s’agit d’enquêter, de poursuivre en justice et de juger, et cela est encore plus vrai pendant un conflit armé.

Par conséquent, un accroissement des capacités et des ressources sera nécessaire pour traiter efficacement le large éventail de violations qui sont commises. Les autorités ukrainiennes peuvent s’appuyer sur une expérience nationale déjà existante, en collaborant avec les membres de la communauté internationale qui sont en mesure d’offrir une aide dans les domaines du recueil de preuves, technique et opérationnel afin de faciliter les enquêtes et les poursuites en justice des auteurs de crimes internationaux. Suivre cette voie facilitera les efforts visant à préserver les preuves et les scènes de crimes, et pourrait aider à bâtir un cadre robuste pour le soutien aux victimes et la protection des témoins.

Nous nous joignons également à nos collègues de la société civile ukrainienne pour appeler l’Ukraine à ratifier le Statut de Rome, ce qui lui permettra d’exercer les pleins droits dévolus aux membres de l’Assemblée des États parties, l’instance dirigeante de la CPI.

En plus de cette ratification, nous exhortons l’Ukraine à mettre sa législation nationale pleinement en conformité avec le Statut de Rome et le droit international. Un projet de loi adopté par le parlement ukrainien en mai 2021, qui pourrait aider les autorités à poursuivre au niveau national les auteurs de graves crimes, n’a toujours pas été ratifié pour prendre force de loi. 

Recommandations à la communauté internationale

Afin d’assurer que des comptes soient rendus pour les graves crimes commis en Ukraine, une approche transversale à niveaux multiples sera nécessaire, incluant une série d’acteurs au niveau international : la CPI, les tribunaux nationaux, ainsi que divers efforts de documentation.

Nous exhortons les acteurs internationaux engagés dans ces efforts à se concentrer sur cinq grandes priorités:

Premièrement – et comme beaucoup l’ont souligné – il est impératif d’assurer une coordination entre les différents acteurs œuvrant à l’établissement des responsabilités, avec une stratégie globale. Ceci inclut l’adoption de normes communes pour la collecte, la préservation et l’archivage des éléments de preuve.

Deuxièmement, l’impartialité des enquêtes et des poursuites judiciaires est essentielle. L’enjeu est de maintenir la justice au-dessus de la politique, pour ce conflit et au-delà.

Troisièmement, la communauté internationale devrait s’assurer que la justice ne soit pas mise à l’écart lors de négociations de paix, et que tout compromis sur la justice soit rejeté. L’expérience montre que les décisions de renoncer à faire rendre des comptes peuvent se révéler coûteuses à long terme.

Quatrièmement, les autorités devraient travailler avec la société civile pour informer les processus judiciaires. Au-delà du travail de documentation, la société civile peut faciliter l’accès à l’information et aux opérations de soutien pour les victimes et les communautés affectées.

Enfin, nous espérons que la communauté internationale profitera de ce moment pour renforcer la cause de la justice dans le monde entier. Nous nous félicitons de l’engagement en faveur de l’établissement des responsabilités pour les crimes commis en Ukraine et nous aimerions voir le même genre de soutien basé sur les principes s’appliquer à d’autres conflits dans lesquels les civils souffrent, comme au Yémen, en Éthiopie et en Palestine. Ne pas le faire reviendrait à affaiblir le système de justice international dans son ensemble.

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