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Ukraine : Une attaque russe a tué des civils en fuite

Le bombardement continu d’une voie d’évacuation à Irpin est susceptible d’avoir violé les lois de la guerre

Ces deux soldats ukrainiens aidaient une femme ayant du mal à marcher, après une attaque russe à Irpin, dans le nord de l’Ukraine, le 6 mars 2022. L’attaque a été menée à un carrefour situé près de l’église orthodoxe ukrainienne Saint-Georges, alors que des civils tentaient de fuir la ville. © 2022 AP Photo/Andriy Dubchak

Pendant plusieurs heures, le 6 mars 2022, les forces armées russes ont bombardé une intersection sur une route que des centaines de civils utilisaient pour fuir l’avancée russe dans le nord de l’Ukraine en direction de Kiev, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. La nature répétée de ces attaques, qui selon le gouvernement ukrainien ont tué au moins huit civils, suggère que les forces russes ont violé leurs obligations en matière de droit international humanitaire. En vertu de ces obligations, les forces russes ne doivent pas mener d’attaques indiscriminées ou disproportionnées posant un risque pour les civils, et doivent prendre toutes les mesures possibles pour éviter les pertes civiles.

Selon des témoins, une douzaine de membres des forces de sécurité ukrainiennes et au moins deux véhicules militaires se trouvaient à ce carrefour à Irpin pendant l’attaque, mais leur nombre était largement dépassé par celui des civils qui prenaient la fuite. Certains membres des forces de sécurité aidaient les civils à porter leurs bagages et leurs enfants. Plusieurs personnes ont dit avoir entendu et avoir été témoins d’échanges de tirs entre forces ukrainiennes et russes, pas à proximité immédiate du carrefour, mais à une certaine distance. Si d’autres témoins n’ont pas pu être précis sur l’endroit où les échanges de tirs s’étaient produits, le New York Times, dont des journalistes se trouvaient sur place, a rapporté que les forces ukrainiennes avaient tiré des obus de mortier en direction des forces russes depuis une position militaire située à 180 mètres environ du carrefour. Néanmoins, les projectiles explosifs tirés par les forces russes ont touché l’intersection directement à plusieurs reprises.

« Des dizaines de civils fuyant le nord de l’Ukraine pour échapper aux bombardements et à une éventuelle occupation russe ont été victimes d’une nouvelle attaque russe », a déclaré Richard Weir, chercheur à la division Crises et conflits de Human Rights Watch. « Le bombardement, pendant plusieurs heures, d’un lieu où l’évacuation de civils était en cours fait craindre que les forces russes mènent des attaques indiscriminées ou disproportionnées, sans prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les pertes civiles ».

Les recherches et analyses de Human Rights Watch suggèrent que les projectiles utilisés lors du bombardement et leurs lieux d’atterrissage ont probablement été observés par les forces russes, qui disposaient vraisemblablement d’informations pouvant être utilisées pour ajuster les tirs. Si tel était le cas, le fait que des bombardements répétés blessent des civils plutôt que d’atteindre des objectifs militaires de taille considérable situés à une certaine distance reflète une imprudence ou une éventuelle intention délibérée de la part des responsables des tirs.

Human Rights Watch a mené des entretiens avec sept personnes qui étaient présentes lors des attaques du 6 mars, dont cinq liées aux médias et deux civils qui évacuaient les lieux, et a analysé la vidéo d’un projectile frappant l’intersection et six photographies prises après ces événements. Huit personnes, dont deux enfants, ont été tuées selon le maire d’Irpin, la ville que les civils fuyaient. Human Rights Watch a recueilli des informations au sujet de quatre personnes tuées pendant le bombardement, dont deux enfants, à partir de témoignages et de l’analyse de photos et de vidéos.

De 9h30 à 14h environ, heure locale, des témoins ont décrit un bombardement continu sur la route P30, qui relie le nord-ouest de l’Ukraine à Kiev. Jusqu’au 5 mars, les civils prenaient le train de la gare d’Irpin à destination de Kiev pour échapper aux combats, mais ce jour-là, les voies ferrées ont été endommagées lors d’une attaque. En conséquence, le 6 mars, des centaines de civils fuyant les zones situées au nord de Kiev ont utilisé la route P30 pour rejoindre Kiev, d’où ils espéraient continuer leur voyage.

Carte montrant l’emplacement de l’intersection (point rouge) à Irpin, en Ukraine, où les forces russes ont tiré des projectiles explosifs le 6 mars 2022, alors que des civils tentaient de fuir, à pied et en voiture, en direction de Kiev. © 2022 Human Rights Watch

Ce carrefour est situé au sud d’Irpin, à six kilomètres de la limite nord-ouest de la ville de Kiev. Le carrefour se trouve en face de l’Église orthodoxe ukrainienne Saint-Georges et d’une statue commémorant les combattants de la Seconde Guerre mondiale, et juste au sud d’un pont que les forces ukrainiennes ont détruit pour ralentir l’avancée russe.

Un membre de forces de sécurité ukrainiennes s’agenouillait (à l’arrière-plan de la photo) près de civils blessés et tués par l’explosion d’un projectile tiré par les forces russes à Irpin, dans le nord de l’Ukraine, le 6 mars 2022. © 2022 Donbas Frontliner

Avant et pendant l’attaque, des témoins ont décrit un flot continu de civils marchant sur les décombres du pont détruit, pour traverser la rivière Irpin. Les gens se rassemblaient ensuite au carrefour pour monter dans des bus ou des voitures qui se dirigeaient vers le centre de Kiev, ou continuaient à marcher.

Alors que l’assaut débutait, un témoin qui se trouvait à ce carrefour de 9h30 à midi, a déclaré qu’un projectile frappait le carrefour ou ses environs toutes les dix minutes. « Les Russes faisaient pleuvoir des obus de mortier sur la zone », a-t-il expliqué. « Les gens couraient dans tous les sens pour échapper aux bombardements ». Ce témoin a dit avoir vu quelques soldats ukrainiens dans la zone, ainsi que deux camions qui semblaient être utilisés par les forces de sécurité, mais aucun autre équipement militaire d’importance. Dans une vidéo de l‘attaque qui a largement circulé en ligne, on aperçoit un véhicule vert foncé qui pourrait être un véhicule militaire ukrainien.

Un civil qui a traversé la zone vers 10h30, a déclaré avoir vu deux véhicules blindés, dont un avec une mitrailleuse montée sur le toit, et environ huit membres des forces de sécurité. Lors de son passage, il a assisté à la détonation de six projectiles en provenance d’Irpin et de Stoyanka, où se trouvaient les troupes russes.

Une autre civile qui passait par le carrefour à 10 heures a estimé que cinq projectiles avaient explosé à cet endroit et a dit en avoir entendu un sixième exploser juste au moment où elle montait à bord d’un minivan, un type de mini-fourgonnette sans fenêtres à l’arrière. Elle a indiqué que juste au moment de l’explosion qui a eu lieu à côté du véhicule, le conducteur avait appuyé sur l’accélérateur, alors que les portes coulissantes n’étaient même pas encore refermées.

Les deux civils interrogés par Human Rights Watch ont déclaré ne pas avoir vu les forces ukrainiennes, à proximité immédiate ou dans les environs, tirer sur des positions russes, à aucun moment lors de leur franchissement de ce carrefour.

À 13h29, un média local en ligne, Donbas Frontliner, a publié sur son compte Instagram une vidéo et six photographies, que Human Rights Watch a examinées. La vidéo, filmée par un journaliste indépendant travaillant pour le New York Times, montre d’abord un membre des Forces de défense territoriale ukrainiennes (TDF), composée de volontaires, debout près d’une barrière métallique sur la route P30. Il est identifiable grâce au brassard jaune des TDF, et porte une arme à la ceinture. À l’arrière-plan de la vidéo, plus d’une dizaine de personnes marchent en tirant leurs valises à roulettes. Soudain, un flash lumineux est accompagné du bruit d’une forte explosion. Quelques secondes plus tard, on voit le membre des Forces de défense territoriale à terre, aidé par d’autres personnes. Deux hommes en uniforme courent vers quatre autres personnes gisant par terre. Une troisième personne se tient à proximité et crie « un médecin, un médecin ! »

L’une des photographies montre la scène près de l’église Saint-Georges avec les quatre corps habillés en civil au sol, entourés de deux bagages et d’une boîte pour transporter un petit animal. Une autre photographie montre ce qui semble être un homme mort sur une civière à côté du parking d’un supermarché en face de l’église. Human Rights Watch n’a pas pu confirmer si cette photographie a été prise à ce moment-là, ou lors d’une précédente série de bombardements à Irpin.

Maxim Dondyuk, un journaliste indépendant, est arrivé sur le site vers midi et est resté dans la zone pendant deux heures environ. Selon lui, les forces russes ont tiré des projectiles sur le carrefour et ses environs toutes les 5 à 10 minutes. Lorsqu’une explosion a retenti vers 14 heures, un fragment métallique a touché et blessé Dondyuk à l’épaule droite. Il a déclaré que les civils continuaient à arriver à pied depuis le pont détruit, avant de s’entasser dans des voitures et tenter de se diriger vers le sud. Il a également déclaré que la seule présence militaire qu’il avait pu constater était constituée de 10 membres des forces de sécurité ukrainiennes.

Ces derniers jours, les forces russes et ukrainiennes ont tenu des pourparlers pour discuter de l’ouverture de voies d’évacuation sûres pour les civils dans les zones de l’Ukraine touchées par de violents combats, mais ces efforts ont échoué. Le 3 mars, lors du deuxième cycle de pourparlers, les deux parties ont accepté le principe d’établir des couloirs humanitaires pour l’évacuation des civils « pacifiques » et la livraison de médicaments et de nourriture dans les zones les plus touchées par le conflit.

Cependant, comme l’a souligné le Comité international de la Croix Rouge (CICR), l’absence d’un accord détaillé et fonctionnel entre les parties a résulté dans la poursuite des bombardements sur plusieurs sites, malgré les tentatives d’évacuation qui étaient prévues et que les autorités ont dû annuler. À ce jour, aucun accord spécifique n’a été conclu entre les parties sur la conclusion d’un cessez-le-feu temporaire ou sur l’ouverture d’un couloir humanitaire pour les civils qui cherchent à fuir le nord de l’Ukraine, comme ceux qui sont pris sous les bombardements russes, juste à l‘extérieur de Kiev le 6 mars.

Les lois de la guerre exigent des parties à un conflit qu’elles veillent constamment, pendant les opérations militaires, à épargner la population civile et qu’elles « prennent toutes les précautions possibles » pour éviter ou réduire au minimum les dommages causés aux civils et aux biens à caractère civil. Ces précautions consistent notamment à faire tout ce qui est possible pour vérifier que les cibles attaquées sont des objectifs militaires et non des personnes civiles ou des biens à caractère civil et à donner un « avertissement préalable et non équivoque » aux personnes civiles lorsque les circonstances le permettent.

Les parties au conflit doivent prendre toutes les mesures possibles pour éloigner la population civile du voisinage des combats ou du matériel militaire. Les lois de la guerre interdisent les attaques délibérées, indiscriminées ou disproportionnées contre les civils. Les responsables d’attaques délibérées ou inconsidérées qui portent atteinte à des biens civils peuvent être poursuivis pour crimes de guerre.

Les forces ukrainiennes ont également l’obligation de prendre toutes les précautions possibles pour éviter ou minimiser les dommages causés aux civils. Ces précautions consistent notamment à éviter d’opérer depuis les zones où se trouvent des civils et des biens à caractère civil et à empêcher les civils de pénétrer dans les zones d’hostilités actives.

L’utilisation d’armes explosives ayant des effets à grande échelle dans des zones peuplées renforce les craintes d’attaques illégales, indiscriminées et disproportionnées. Ces armes ont un large rayon de destruction, sont intrinsèquement imprécises ou délivrent plusieurs munitions en même temps. Cela inclut l’utilisation de projectiles de gros calibre non guidés et non observés, qui pourraient également avoir été utilisés lors de l’attaque d’Irpin le 6 mars. L’utilisation de ces armes doit être évitée dans les zones habitées.

La Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur la situation en Ukraine. Les décès de civils à Irpin soulignent l’importance de l’examen de la Cour. La commission d’enquête créée le 4 mars par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève devrait enquêter sur les attaques illégales présumées à Irpin.

« Les deux parties à ce conflit ont l’obligation de prendre toutes les mesures possibles pour éviter les dommages aux civils et permettre à la population civile d’évacuer en toute sécurité », a conclu Richard Weir. « Les enquêtes internationales en cours devraient faire passer le message que ceux qui se rendent responsables d’attaques inconsidérées et indiscriminées pourraient devoir un jour répondre de leurs actes devant la justice. »

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