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Nicaragua : Lettre ouverte d'ONG au Conseil des droits de l'homme de l'ONU

Lettre conjointe appelant à la création un mécanisme pour enquêter sur les violations des droits humains commises au Nicaragua

4 mars 2022

Excellences,

LETTRE OUVERTE AUX REPRÉSENTANTS PERMANENTS AUPRÈS DU CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME DES NATIONS UNIES

Nous, les organisations de défense des droits humains soussignées, prions instamment vos délégations d’apporter un plein et entier soutien à une résolution forte lors de cette session du Conseil des droits de l'homme (CDH) des Nations Unies, qui établisse un mécanisme robuste pour enquêter sur les crimes internationaux et les violations des droits humains commis au Nicaragua. Nous considérons qu'un tel mécanisme est nécessaire, étant donnés le refus du gouvernement de participer de manière constructive au processus du CDH jusqu’à ce jour, ainsi qu’à tout autre mécanisme universel et régional. Et l’aggravation de la crise des droits humains dans le pays, en particulier depuis mai 2021.  L’établissement d’un tel mécanisme serait la suite logique de l'approche progressive adoptée face à la crise aux niveaux régional et international depuis 2019.

Malgré les efforts déployés par l'ONU et les organismes régionaux pour faire face à la crise au cours des trois dernières années, la situation au Nicaragua continue de s'aggraver. En effet, le gouvernement a refusé de mettre en œuvre les recommandations formulées par le HCDH[1] ou le Groupe interdisciplinaire d'experts indépendants (GIEI) établi par l'Organisation des États américains[2], et a renforcé sa répression, notamment dans le contexte des élections de l'année dernière. Depuis l'adoption de la dernière résolution par le CDH en mars 2021, nos organisations ont été alarmées par la poursuite des détentions arbitraires et des poursuites judiciaires pénales, dépourvues des garanties élémentaires du procès équitable, à l'encontre de dizaines de personnes perçues comme des détracteurs du gouvernement, notamment des opposants politiques, des leaders étudiants, des représentants des paysans (« campesinos »), des avocats de la défense, des journalistes et des militants. Certaines de ces personnes ont été soumises à des disparitions forcées pendant des semaines ou des mois et des détenus auraient été torturés ou auraient subi de mauvais traitements[3].

En février 2022, le Procureur Général de la République a annoncé par le biais d'un communiqué de presse qu'il allait mener des procès contre des détenus nicaraguayens, les qualifiant de "criminels et de voleurs". Jusqu'à présent, 8 procès ont été menés, et tous ont abouti à des condamnations rapides pour le crime de "conspiration visant à porter atteinte à l'intégrité nationale", le Procureur Général demandant des peines de prison de 15 ans pour certains détenus. Les procès se sont déroulés dans la prison "El Chipote". Les autorités ont imposé la présence d'avocats commis d'office lors des audiences initiales dans la plupart des cas, et de nombreux détenus n'ont pas été autorisés à rencontrer leur avocat en privé avant le début des procès de février.

En plus des arrestations de l'année dernière, plus de 130 personnes perçues comme des détracteurs[4] ont été arbitrairement détenues pendant une période prolongée dans le contexte plus large de la crise des droits humains dans le pays.

Cette aggravation alarmante de la situation des droits humains comprend aussi des atteintes aux libertés d'expression et d'association, à la liberté de la presse, ainsi que d'autres restrictions à l'exercice des droits civils et politiques. Depuis 2018, l'enregistrement légal d'au moins 61 organisations non gouvernementales a été annulé[5], et les attaques contre les médias indépendants ont continué. Récemment, l'Assemblée nationale a également annulé le statut juridique de plusieurs universités dans le but manifeste de museler la contestation étudiante.

Le système judiciaire manque d'indépendance à l’égard du pouvoir exécutif, ce qui se traduit par un manque d'impartialité dans le jugement sur des questions juridiques et sur la reddition de comptes pour les abus commis[6].  La Commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH) a récemment mis à jour son décompte du nombre de personnes tuées, qui s'élève à au moins 355 personnes[7]. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et le Centre nicaraguayen des droits de l'Homme (CENIDH) ont analysé au moins 113 de ces morts et ont conclu qu'il s'agissait d'exécutions extrajudiciaires. Dans son rapport, le GIEI a conclu que les actions menées contre les manifestants et les dissidents constituent des crimes contre l'humanité[8].

Le gouvernement a refusé l’accès au pays aux observateurs internationaux des droits humains depuis l’expulsion des membres du personnel de la CIDH et du HCDH fin 2018. Comme l’a documenté un collectif d’organisations de défense des droits humains dans une évaluation récente, le gouvernement nicaraguayen refuse de mettre en œuvre l’une quelconque recommandation contenue dans la résolution 46/2 du Conseil des droits de l'Homme, contribuant ainsi à l'aggravation des schémas de violations des droits humains documentés au cours des trois dernières années[9], y compris des droits économiques, sociaux et culturels.

Il est essentiel à ce stade que le CDH adopte une approche plus ferme pour lutter contre l'impunité qui continue d'alimenter les violations graves, ainsi que pour envoyer un message clair aux autorités nicaraguayennes : la non-coopération et le désengagement face aux violations ne seront pas tolérés. Cela va dans le sens de la recommandation de la Haute-Commissaire selon laquelle le Conseil devrait « envisager toutes les mesures en son pouvoir pour promouvoir l'obligation de rendre des comptes pour les graves violations qui ont eu lieu depuis 2018 »[10]. Le gouvernement ne montrant aucune intention de désescalader sa répression à court terme, il est essentiel de commencer à poser les bases de futurs processus de reddition de comptes au niveau international ou national. Il est essentiel de veiller à ce que les graves violations commises lors des manifestations de 2018 - notamment les meurtres, la torture, les viols et autres actes de violence sexuelle - ainsi que les autres violations des droits humains commises depuis lors ne restent pas impunies à long terme.

Compte tenu de la persistance des violations graves et de l'impunité, ainsi que du refus des autorités à coopérer et travailler avec les mécanismes régionaux et internationaux, il est essentiel que le CDH adopte une approche plus ferme à l’égard de la crise des droits humains au Nicaragua lors du CDH49. Le Conseil ne peut continuer à "faire comme si de rien était" face à des violations si flagrantes. À cet égard, nous espérons que vos délégations soutiendront et travailleront en faveur d'une résolution forte établissant un mécanisme d'enquête robuste, avec un mandat pour suivre de près et rendre compte de la situation, mener des enquêtes approfondies et impartiales sur les violations des droits humains et les crimes en vertu du droit international, et contribuer à la reddition de comptes pour ces crimes internationaux. L'impunité rampante qui continue d'alimenter les violations au Nicaragua doit être combattue.

En vous priant de croire, Excellences, en l'assurance de notre plus haute considération,

Organisations signataires :

Amnesty International
Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA)
Center for Justice and International Law (CEJIL)
Centre for Civil and Political Rights
Centro de Asistencia Legal a Pueblos Indígenas (CALPI)
Centro de Derechos Humanos Miguel Agustín Pro Juárez A.C. (Centro Prodh)
Centro de Estudios Legales y Sociales
Centro por la Justicia y Derechos Humanos de la Costa Atlántica de Nicaragua (CEJUDHCAN)
CIVICUS: World Alliance for Citizen Participation
Colectivo 46/2*
Colectivo de Derechos Humanos Nicaragua Nunca Más
Fedération internationale pour les droits humains (FIDH)
Hirschfeld-Eddy Stiftung
Human Rights Watch
International Institute on Race, Equality and Human Rights
International Service for Human Rights (ISHR)
Lesben- und Schwulenverband in Deutschland
Movimiento Autónomo de Mujeres (MAM)
Peace Brigades International
Réseau international des droits humains (RIDH)
Urnas Abiertas

* Le Colectivo 46/2 est une coalition de 21 organisations nationales et internationales qui suivent la mise en œuvre par l’Etat du Nicaragua des 14 recommandations formulées dans la résolution 46/2 adoptée par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU en mars 2021.

 

[4] Mecanismo para el reconocimiento de personas presas políticas, lista informe preliminar, 31 janvier 2022.

[8] FIDH et CENIDH, Rapport, Assez d’impunité ! Exécutions extrajudiciaires et répression au Nicaragua, jusqu’à quand ? février 2021. Le rapport analyse 113 exécutions extrajudiciaires commises entre avril et septembre 2018, démontrant leur nature systémique et la coordination entre l’Etat et les agents paraétatiques dans leur commission.

[9] Mecanismo para Nicaragua, Framework of Evaluation, janvier 2021.

[10] CDH, Dialogue interactif sur la mise à jour orale par la Haut-Commissaire sur la situation des droits humains au Nicaragua, Statement concerned countries, 14 décembre 2021.

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