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Cinq leçons tirées de 2021 sur notre humanité commune et le chemin vers l’avenir

Quelques réflexions à l'occasion de la Journée internationale des droits humains

La Journée internationale des droits humains – qui marque l’anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 – est l’occasion de célébrer notre humanité commune. Et le fil directeur de ce que nous avons appris cette année, c’est que chacun des défis posés à notre santé, à notre sécurité et à notre avenir repose sur des remises en cause de cette humanité que nous avons en partage. Toute réponse efficace à cela — que nous cherchions à vivre dans un monde débarrassé de la pandémie ou à mettre fin aux graves violations commises à travers le monde, du Xinjiang au Tigré — dépend de l’élaboration de solutions collectives et collaboratives. C’est la quintessence du travail de défense des droits humains. 

Alors que nous sortons d’une période tumultueuse, cette Journée des droits humains est l’occasion de réfléchir à cinq domaines dans lesquels nous pouvons faire des droits une réalité. 

  1. La crise du Covid-19  

Omicron, le dernier « variant inquiétant » du Covid-19 démontre le danger d’un accès inégal aux vaccins. Certains pays parmi les plus riches du monde, dont ceux de l’Union européenne, le Royaume-Uni et la Suisse, ainsi que les entreprises pharmaceutiques compromettent un accès universel et équitable aux vaccins contre le Covid-19, aux tests de dépistage et aux traitements, en bloquant une suspension temporaire des règles mondiales de la propriété intellectuelle et du commerce. Pour que les règles du jeu soient justes et que les vaccins puissent être produits en quantité suffisante pour répondre aux besoins urgents à l’échelle mondiale, ces gouvernements devraient accepter la levée des brevets recommandée par l’Organisation mondiale du commerce et effectuer les transferts de technologie nécessaires.

Améliorer la disponibilité des vaccins est essentiel mais insuffisant. Même là où ces vaccins sont disponibles, il peut y avoir des hésitations compréhensibles à les recevoir au sein des communautés marginalisées et privées d’autonomie. Accroître le niveau de confiance envers le système en rendant les soins médicaux — pas seulement les vaccins — réellement accessibles à tous serait une avancée cruciale pour prévenir les contaminations et les décès dûs au Covid-19. 

  1. La mainmise des Big Tech   

La mainmise des grosses multinationales technologiques (Big Tech) qui se fait sentir à travers le monde – dans certains pays, les Big Tech sont même plus puissantes et moins redevables que les gouvernements – est dangereuse du fait que la profitabilité de ces entreprises repose sur la collecte de quantités massives de données nous concernant, sur la création de profils détaillés de chacun de nous, sur la captation de notre attention et sur la vente d’éléments de ces profils à des annonceurs publicitaires et à des tiers. La pénible réalité est que les modèles commerciaux de ces entreprises sont souvent en contradiction avec les droits humains, avec de graves dommages collatéraux. 

L’attaque contre le Capitole américain cette année a donné à réfléchir sur la capacité de nuisance des réseaux sociaux comme de possibles vecteurs et amplificateurs de désinformation qui peut, dans certains cas, mener à la violence. Ceci n’est en rien nouveau pour le reste du monde – de la crise des Rohingyas au Myanmar aux violences anti-musulmans en Inde – mais cette fois, cela s’est produit dans le pays d’implantation de la plupart des entreprises du Big Tech.  

Les efforts de ces plateformes pour remédier aux dommages causés par l’utilisation de leurs services n’ont pas été à la hauteur. Afin d’assumer leurs responsabilités en matière de droits humains, ces entreprises devraient appliquer le principe de diligence raisonnable en matière de droits humains dans toutes leurs opérations dans le monde. Elles devraient investir dans la modération de contenus en proportion de leurs bases d’utilisateurs et répondre aux risques en matière de droits humains partout où leurs plateformes sont utilisées.

Les plateformes devraient également être plus transparentes quant aux algorithmes qui influencent ce que les utilisateurs voient sur leurs sites. Elles devraient s’attaquer au rôle que jouent les algorithmes en orientant les utilisateurs vers une désinformation néfaste et donner aux utilisateurs davantage de pouvoir sur la forme qu’ils souhaitent donner à leurs activités en ligne. Il semble improbable que ces entreprises décident d’elles-mêmes de renoncer à leurs modèles commerciaux abusifs, c’est pourquoi des règles strictes de protection des données personnelles sont nécessaires.  

3. Recul des droits des femmes  

En dépit d’importants succès remportés par un mouvement mondial de défense des droits des femmes plus interconnecté que jamais, ces derniers ont récemment subi de cinglants revers dans un nombre alarmant de pays. En Afghanistan, depuis le retour au pouvoir des Talibans le 15 août, des femmes et des filles se voient dénier l’accès à l’éducation, à un emploi rémunéré, à toute  représentation politique et même à la possibilité de marcher seules dans la rue. Aux États-Unis, 65 millions de femmes risquent de perdre le droit à l’avortement. En Pologne, des militantes ont été menacées à cause de leur travail ou de leur soutien supposé à des sujets liés aux droits des femmes. En Iran et en Chine, les autorités se servent de nouvelles législations et politiques pour limiter les choix des femmes en matière de santé reproductive.  

Mais toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises. De l’Argentine au Mexique, à la Corée du Sud et à la Thaïlande, les femmes ont obtenu la reconnaissance de leurs droits d’accéder à des soins de santé reproductive. Des filles enceintes en Tanzanie ont retrouvé le droit de rester scolarisées. Si 2021 nous a montré que ces victoires obtenues de haute lutte devaient être protégées, développées et consolidées, 2022 sera l’occasion de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils adoptent des lois visant à protéger les droits des femmes et à renforcer leur sécurité, à allouer des ressources adéquates aux services qui leur sont dédiés et à s’assurer qu’ils soient accessibles à chacune d’entre elles.  

4. La force de la solidarité  

La campagne de répression des autorités chinoises dans la région du Xinjiang, l’infâme « guerre anti-drogue » du président  Duterte aux Philippines, la brutale répression de la junte au Myanmar contre les manifestants protestant contre son coup d’État, les atrocités commises en Éthiopie dans le cadre du conflit du Tigré sont toutes des situations démontrant combien les autorités sont habiles à user d’instruments à leur disposition – qu’il s’agisse de leurs arsenaux législatifs, de leurs forces de sécurité, ou des deux à la fois – pour commettre des crimes massifs contre les populations, y compris des crimes contre l’humanité.  

Chacune de ces situations, et les réponses qui y ont été faites, offrent d’importantes leçons pour 2022. Premièrement, ignorer les abus ne peut aboutir qu’à leur aggravation. Les généraux à la tête du coup d’État au Myanmar avaient déjà déchaîné leur brutalité contre les Rohingyas en 2017 et contre d’autres minorités ethniques pendant des décennies, et ils n’en avaient subi pratiquement aucune conséquence, ce qui les a encouragés à recourir à la force une nouvelle fois afin de maintenir leur emprise sur le pouvoir.  

Deuxièmement, comme l’a montré l’incapacité  des Philippines ou de l’Éthiopie à rendre justice au plan national pour des abus, il est impossible de faire confiance aux gouvernements pour qu’ils rendent eux-mêmes des comptes au sujet de leurs actes. C’est pourquoi il est essentiel de créer des mécanismes crédibles dans le cadre de l’ONU pour recueillir et préserver les preuves des graves crimes et violations commises, de sorte que les victimes puissent un jour obtenir justice. Troisièmement, les gouvernements respectueux des droits sont plus forts lorsqu’ils présentent un front uni, comme l’ont montré les condamnations croissantes dans le monde des politiques abusives de Pékin au Xinjiang. Nous devons persévérer et encourager cette solidarité. 

5. Faire face à la crise climatique   

La crise climatique a des conséquences de plus en plus néfastes sur la vie, la santé et les moyens de subsistance de la population mondiale. Et, comme nous l’avons vu cette année avec les inondations dévastatrices en Allemagne et aux États-Unis et les vagues de chaleur mortelles au Canada et au Pakistan, les gouvernements échouent à protéger les populations à risque contre les dommages prévisibles des changements climatiques. Leurs récentes promesses d’agir de manière plus ambitieuse pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre continuent d’être bien en-deçà de ce qui est nécessaire pour éviter les effets les plus catastrophiques du réchauffement de la planète. 

Heureusement, quelques victoires importantes ont été remportées cette année, pour une large part grâce aux pressions coordonnées des organisations de défense de l’environnement et des droits humains à travers le monde. En octobre, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a reconnu le droit à un environnement propre, sain et durable et a nommé un rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques. Ces mesures positives permettront d’accroître la redevabilité des gouvernements dans les cas où leur action serait insuffisante pour faire face à la crise climatique.  

Les gouvernements doivent reconnaître le savoir-faire considérable des communautés locales et des organisations de la société civile et en tirer parti pour lutter contre les impacts des changements climatiques de manière équitable. Et surtout, ils devraient entendre les appels des activistes climatiques à redoubler d’efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre avant qu’il ne soit trop tard.    

La Journée internationale des droits humains ne doit pas être un temps de lamentations sur ce que nous avons perdu ou de ce qui pourrait advenir, mais un appel à l’action. Cette journée est un rappel que les avancées obtenues de haute lutte doivent être préservées et étendues et que parvenir à la réalisation des droits humains pour tous exige une implication active des gouvernements et des organes internationaux. Mais elle nous rappelle également que l’élément moteur de la protection de nos droits fondamentaux est la mobilisation des activistes et des défenseurs dans chaque région du monde.  

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Tirana Hassan est directrice de la division Programmes à Human Rights Watch.  

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