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Burundi : Le Conseil des droits de l’homme devrait poursuivre son examen minutieux de la situation et son travail en faveur de la justice et de la redevabilité

Lettre conjointe à l’attention des Représentants permanents des États Membres et Observateurs du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Genève (Suisse)

Madame, Monsieur le Représentant permanent,

Lors de la 45ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (ci-après le Conseil), en octobre 2020, le Conseil a renouvelé le mandat de la Commission d’enquête (CoI) sur le Burundi pour une année supplémentaire. Cette décision a permis au seul mécanisme indépendant ayant pour mandat de documenter les violations et atteintes aux droits humains de suivre et de faire rapport publiquement sur la situation au Burundi de poursuivre effectivement son travail. En adoptant la résolution 45/19, le Conseil a recon­nu que des évolutions po­litiques n’équivalent pas à des changements en matière de droits hu­mains et a réaffirmé sa responsabilité de soutenir les victimes et les survivants de vio­lations et de continuer à œuvrer à améliorer la situation dans le pays.

En amont de la 48ème session du Conseil (13 septembre-8 octobre 2021), nous vous écrivons afin d’exhorter votre délégation à soutenir les efforts visant à s’assurer que le Conseil poursuive son exa­men minutieux de la situation et son travail en faveur de la justice et de la redevabilité au Bu­rundi. En l’absence d’améliorations structurelles et à la lumière d’une récente augmentation des violations des droits humains contre les personnes perçues comme des opposants au Gouver­nement, nous considérons qu’il n’existe aucune base ni progrès mesurable qui justifieraient un abandon de l’approche actuelle ou un non-renouvellement du mandat de la CoI. Lors de la session prochaine, au minimum, le Conseil devrait adopter une résolution reflétant la réalité du terrain, notamment via les éléments suivants.

En premier lieu, la résolution devrait reconnaître que malgré quelques avancées observées lors de l’an­née écoulée, la situation des droits humains au Burundi n’a pas changé de façon substantielle ou du­rable. Tous les problèmes structurels que la CoI et d’autres acteurs ont identifiés depuis 2015 restent inchan­gés. Au cours des derniers mois a été documentée une augmentation des arrestations arbitraires d’oppo­sants politiques ou de personnes perçues comme telles, ainsi que des cas de torture, de disparitions for­­cées et d’assassinats ciblés, ce qui apparaît comme un retour en arrière par rapport aux progrès ini­tiaux ayant suivi les élections de 2020. Des violations graves, dont certaines pourraient être constitutives de crimes contre l’humanité, se poursuivent. L’impunité reste généralisée, en particulier en ce qui concer­ne les graves crimes commis en 2015 et 2016[1]. Si certains défenseurs des droits humains ont été libérés, les organisations nationales et internationales de défense des droits humains se trouvent toujours dans l’impossibilité de mener leurs opérations dans le pays.  

La résolution devrait reconnaître que tout changement substantiel d’approche du Conseil envers la situ­ation au Burundi dépend de progrès mesurables et durables en relation avec des problèmes clefs en matière de droits humains. L’approche du Conseil devrait reposer sur des indicateurs destinés à mesurer des progrès tangibles et s’appuyant sur les indicateurs identifiés par la CoI[2]. Le Gouvernement bu­run­dais devrait explicitement reconnaître les défis existants en matière de droits humains, permettre aux méca­nismes indépendants de protection des droits humains d’accéder au pays, et coopérer avec eux. Il devrait également élaborer un plan précis de mise en œuvre doté d’un calendrier.

En second lieu, l’approche du Conseil devrait se focaliser sur les fonctions essentielles suivantes :

(i) Poursuite d’un travail indépendant de documentation et de suivi des violations, ainsi que des rap­ports publics sur la situation des droits humains au Burundi, appuyé par des ressources suffisantes.

Ces fonctions demeurent essentielles, particulièrement en l’absence d’un mouvement de défense des droits humains solide et d’institutions indépendantes au Burundi. Ce travail devrait être conduit par la CoI ou par un mécanisme ou une équipe d’experts qui soit similairement indépendant, dont le mandat soit dédié au Burundi, et utilisant des méthodologies professionnelles pour collecter des infor­mations détaillées. Le mécanisme ou l’équipe d’experts devrait avoir pour mandat d’établir les respon­sabilités et d’identifier toutes les personnes dont la responsabilité pénale pourrait être en­ga­gée. Afin d’assurer un suivi du travail de la CoI, y compris concernant les liens entre les violations des droits humains et les réseaux économiques et la corruption, le mécanisme ou l’équipe d’experts devrait s’appuyer sur une analyse approfondie des dynamiques politiques, sociales et économiques à l’œuvre au Burundi. À cet effet, un niveau adéquat d’expertise, de ressources financières et de res­sources humaines est requis.

(ii) Suivi du travail et des recommandations de la CoI, particulièrement en ce qui concerne la justice et la redevabilité.

Les rapports et les recommandations de la CoI, de 2017 à ce jour, forment une feuille de route pour les réformes. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de la justice et de la redevabilité. Le Gouvernement burundais n’a pris aucune mesure en vue de reprendre sa coopération avec le Bureau de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) ou de coopérer avec les mécanismes régionaux de protection des droits humains[3]. L’institution nationale des droits humains, la Commis­sion nationale indépendante des droits de l’Homme du Bu­run­di (CNIDH), souf­fre d’un manque d’indé­pendance qui est démontré par son refus d’enquêter et de faire rapport sur les violations politiquement motivées. Elle ne peut donc pas constituer un substitut pour la CoI, mal­gré la réat­tri­bution de son statut A. Un mécanisme indépendant ou une équipe disposant d’un mandat pour conduire un travail substantiel dans le domaine de la justice et de la redevabilité demeure par consé­quent essen­tiel. En plus de documenter les violations et d’identifier toutes les per­sonnes dont la responsabilité pénale pourrait être en­ga­gée, son travail devrait inclure des recom­mandations visant à mettre fin à l’impunité.

La CoI, qui présentera un rapport écrit au Conseil lors de sa prochaine 48ème session, continue de fournir un aperçu vital de la situation des droits humains au Burundi. Comme sa prédécesseure, l’Enquête indé­pendante des Nations Unies sur le Burundi (EI­NUB), elle a documenté des violations et des atteintes flagrantes, généralisées et systématiques aux droits humains. Tant la minutie que la visibilité de son travail ont envoyé un signal aux personnes dont la responsabilité pénale pourrait être en­ga­gée que leur comportement était surveillé et documenté.

Des améliorations concrètes et durables concernant la situation des droits humains au Burundi n’inter­viendront pas suite à un relâchement par le Conseil de sa surveillance. Au contraire, une attention inter­nationale continue et un travail substantiel en faveur de la justice et de la redevabilité constituent la meilleure chance de parvenir à des changements réels dans le pays. 

Lors de sa 48ème session, le Conseil devrait éviter d’envoyer au Gouvernement burundais des sig­naux décourageant des réformes nationales en faveur de la protection des droits humains. Le Conseil devrait s’assurer d’une continuation du travail de documentation, de suivi de la situation et de rapports publics, ainsi que des débats publics sur la situation des droits humains au Burundi, avec une attention soutenue aux questions de justice et de redevabilité. Il devrait exhorter les au­to­rités burundaises à prendre des engagements concrets pour mettre en œuvre des réformes dans le domaine des droits humains, lesquelles devraient être encadrées par un calendrier précis et mesurées au moyen d’indicateurs de progrès détaillés.  

Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à ces préoccupations et nous tenons prêts à fournir à votre délégation toute information supplémentaire. Nous vous prions de croire, Madame, Mon­­sieur le Représentant permanent, en l’assurance de notre haute considération.

  1. Action des chrétiens pour l’abolition de la torture – Burundi (ACAT-Burundi)
  2. African Centre for Justice and Peace Studies (ACJPS)
  3. AfricanDefenders (Réseau panafricain des défenseurs des droits de l’homme)
  4. Amnesty International
  5. Article 20 Network  
  6. Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH)
  7. Association des Journalistes Burundais en Exil (AJBE)
  8. Center for Constitutional Governance (CCG)
  9. Centre mondial pour la responsabilité de protéger (GCR2P)
  10. Centre pour les droits civils et politiques (Centre CCPR)
  11. CIVICUS
  12. Coalition burundaise pour la Cour pénale internationale (CB-CPI)
  13. Coalition burundaise des défenseurs des droits de l’homme (CBDDH)
  14. Collectif des avocats pour la défense des victimes de crimes de droit international commis au Burundi (CAVIB)
  15. Commission internationale de juristes (CIJ)
  16. Coalition de la société civile pour le monitoring électoral (COSOME)
  17. DefendDefenders (Projet des défenseurs des droits humains de l’Est et de la Corne de l’Afrique)
  18. Ethiopian Human Rights Defenders Center
  19. Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH)
  20. Fédération internationale des ACAT (FIACAT)
  21. Forum asiatique pour les droits de l’Homme et le développement (FORUM-ASIA)
  22. Forum pour la conscience et le développement (FOCODE)
  23. Genève pour les Droits de l’Homme / Geneva for Human Rights
  24. Human Rights Watch
  25. Lawyers’ Rights Watch Canada
  26. L'Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB)
  27. Institut du Caire pour l’étude des droits de l’Homme (CIHRS)
  28. Light For All
  29. Ligue Iteka
  30. Mouvement érythréen pour la démocratie et les droits humains (EMDHR)
  31. Mouvement INAMAHORO, Femmes et Filles pour la Paix et la Sécurité
  32. Mouvement international contre toutes les formes de discrimination et de racisme (IMADR)
  33. Observatoire de la lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME)
  34. Odhikar
  35. Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
  36. Organisation pour la transparence et la gouvernance (OTRAG)
  37. Protection International Africa
  38. Reporters Sans Frontières
  39. Réseau des citoyens probes (RCP)
  40. Réseau européen pour l'Afrique centrale (EurAc)
  41. SOS-Torture/Burundi
  42. Tournons La Page
  43. TRIAL International
 

[1] Dans sa dernière mise à jour orale au Conseil, évaluant la situation des droits humains en s’appuyant sur les points d’action détaillés identifiés dans son rapport de septembre 2020, la CoI a conclu que « [l]a situation actuelle au Burundi est trop complexe et incertaine, pour pouvoir parler d’une véritable amélioration » (Présentation orale de la Commission d’enquête sur le Burundi, 46ème session du Conseil des droits de l’homme, 11 mars 2021, disponible via : https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/Pages/NewsDetail.aspx?NewsID=26879&LangID=F).

[2] Voir la lettre 2020 de la société civile, disponible via : DefendDefenders et al., « Burundi : le rôle vital de la Commission d’enquête dans l’optique de progrès concrets en matière de droits humains », 21 August 2020, https://defenddefenders.org/wp-content/uploads/2020/08/HRC45-Civil-society-letter-regarding-BURUNDI-FR.pdf  (consultée le 22 juillet 2021). Le dernier rapport de la CoI est disponible via : https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/CoIBurundi/Pages/CoIBurundiReportHRC45.aspx.

[3] Les observateurs de l’Union africaine (UA) n’ont jamais été pleinement déployés et ont fait face à un certain nombre de restrictions à leur travail. Leur mission s’est achevée le 31 mai 2021. Le Burundi n’a jamais coopéré avec la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) pour mettre en œuvre ses résolutions.

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