(La Haye) – Une importante audience qui se tiendra à la Cour pénale internationale (CPI) le 24 mai dans le cadre du procès d’Ali Kushayb constitue une étape décisive dans la quête de justice pour les crimes graves commis au Darfour, au Soudan, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Quatre autres suspects majeurs – y compris l’ancien président soudanais Omar el-Béchir – seront toutefois absents, et il est crucial qu’ils soient transférés sans délai par les autorités soudanaises à la CPI.
Ali Kushayb, également connu sous le nom « Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman », est un ancien chef de milice janjawid qui a également occupé des postes de commandement au sein des Forces de défense populaires supplétives et de la Police centrale de réserve du Soudan. Le 27 avril 2007, la CPI a émis un premier mandat d’arrêt contre Ali Kushayb. Il y était visé par 50 chefs d’accusation portant sur des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Le mandat d’arrêt mettait notamment en cause sa responsabilité présumée pour viols, destruction de biens, actes inhumains, attaques contre la population civile et meurtres de civils dans quatre villages au Darfour-Occidental, entre 2003 et 2004.
« Cette avancée dans les poursuites contre Ali Kushayb est un grand pas pour la justice rendue aux victimes d’atrocités commises à travers tout le Darfour et à leurs familles terrorisées par les miliciens janjawid », a déclaré Elise Keppler, directrice adjointe du Programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Mais l’absence à la Cour d’Omar el-Béchir et de trois autres suspects du Darfour fait grandement défaut et les autorités soudanaises devraient rapidement y apporter une réponse. »
Ali Kushayb s’est rendu volontairement, alors qu’il se trouvait en République centrafricaine. Le 9 juin 2020, la CPI a annoncé qu’il était en garde à vue. En 2018, un second mandat d’arrêt a été rendu public, ajoutant trois nouvelles charges de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et ce, pour meurtre et actes inhumains commis dans le village de Deleig et ses alentours au Darfour en mars 2004.
À l’issue de l’audience de confirmation des charges qui débutera le 24 mai, les juges de la CPI évalueront si les preuves sont suffisantes pour aller jusqu’au procès.
Les autres suspects recherchés par la CPI pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis au Darfour sont, outre Omar el-Béchir : Ahmed Haroun, ancien ministre d’État chargé des affaires humanitaires et gouverneur du Kordofan du Sud, Abdulraheem Mohammed Hussein, ancien ministre de la Défense, et Abdallah Banda Abakaer, chef rebelle du Mouvement pour la justice et l’égalité au Darfour. À l’exception de ce dernier, tous sont actuellement détenus au Soudan.
Le gouvernement de transition soudanais, en place depuis 2019, a promis de coopérer avec la CPI, marquant ainsi une rupture avec le gouvernement déchu qui avait fait obstruction aux enquêtes de la CPI. Il a accueilli la procureure de la CPI pour la première fois en octobre dernier, et a signé un accord de coopération avec la Cour pour ce qui est des poursuites contre Ali Kushayb. Le gouvernement de transition devrait toutefois renforcer ses efforts de coopération conformément au droit international, a déclaré Human Rights Watch.
Le Soudan a l’obligation légale de remettre les quatre suspects à la CPI. La résolution de 2005 par laquelle le Conseil de sécurité a saisi la Cour pénale internationale de la situation au Darfour, en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, indique spécifiquement que le Soudan doit coopérer avec la CPI pour l’arrestation et la remise de suspects.
Selon le principe de complémentarité de la CPI, les tribunaux nationaux dans lesquels des crimes ont été perpétrés ont la responsabilité première des enquêtes et des poursuites à l’encontre de ces crimes. Toutefois, si des mandats d’arrêt ont déjà été émis par la CPI à la suite de ses propres enquêtes, les autorités nationales doivent prouver à la Cour qu’elles jugent déjà les suspects pour les mêmes crimes que ceux visés par la CPI si elles veulent que l’affaire soit considérée admissible.
D’après les informations disponibles, aucune poursuite n’est en cours au Soudan à l’encontre des quatre suspects. Fin 2019, le procureur général du Soudan en poste a ouvert une enquête sur les crimes commis au Darfour, mais aucun progrès n’a été constaté.
Il serait extrêmement compliqué de juger les affaires de la CPI dans un tribunal soudanais, a expliqué Human Rights Watch. Ce n’est que plus de cinq ans après le début des atrocités perpétrées à travers le Darfour que génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ont été reconnus comme crimes par la loi soudanaise. Le principe de responsabilité de commandement, selon lequel les dirigeants sont jugés coupables, n’existe pas dans la loi soudanaise. D’autres obstacles existent : l’immunité fonctionnelle, les limites statutaires et l’absence de protections du droit à un procès équitable.
La création d’un tribunal spécial pour les crimes au Darfour, tel que prévu dans l’accord de paix de Djouba, est un pas important mais il faudra du temps et des ressources pour sa mise en oeuvre, a déclaré Human Rights Watch.
Début mai, l’un des suspects toujours recherchés, Ahmed Haroun, a annoncé qu’il préférerait être jugé par la CPI, ont signalé les médias. L’affaire d’Ali Kushayb et la sienne avaient été regroupées, mais la CPI les a séparées après qu’Ali Kushayb s’est rendu et qu’Ahmed Haroun est resté fugitif. Le bureau du Procureur a affirmé qu’ils avaient « agi de concert, et en collaboration avec d’autres, en poursuivant l’objectif commun de mener des attaques contre les populations civiles de ces quatre villes et villages ».
« Le Soudan ne devrait pas chercher à retenir les suspects recherchés par la CPI et ce, contrairement à ses obligations internationales, uniquement parce que le gouvernement de transition aspire à juger un jour ces suspects pour les mêmes crimes que ceux visés par la Cour », a déclaré Elise Keppler. « Cette approche ne sert ni aux victimes ni au gouvernement. »
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